
Les 149 propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat – CCC viennent d’être rendues publiques : il est à craindre que cela ne débouche que sur peu de choses !
La Convention Citoyenne pour le Climat a été instituée par Emmanuel Macron pour, à côté d’autres dispositifs, sortir du conflit avec les Gilets Jaunes. Mise en place en octobre 2019, elle devait faire des propositions pour « réduire d’au moins 40% par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre en 2030 dans le respect de la justice sociale. » Elle vient de rendre son rapport.
Les 150 ‘Conventionnels’ ont été sélectionnés par tirage au sort. Il ne leur a pas été demandé au départ s’ils étaient informés, intéressés, concernés, impliqués par ces problématiques sur l’écologie, le climat, la transition énergétique… ; on leur a juste demandé s’ils étaient volontaires pour participer aux travaux de cette assemblée. Les interviews de plusieurs d’entre eux montrent ainsi que les profils étaient très disparates. Ce qui est surprenant – mais qui prouve toutefois qu’un citoyen, lorsqu’il est informé, peut s’approprier tous les sujets, même les plus larges et les plus complexes – c’est que les participants sont maintenant convaincus de « l’urgence climatique : la Terre peut vivre sans nous, mais nous ne pouvons pas vivre sans elle » ; « nous ne sommes pas uniquement devant le choix d’une politique économique pour faire face à une crise économique, sociale et environnementale, nous devons agir sans plus attendre pour stopper le réchauffement et le dérèglement climatique qui menacent la survie de l’humanité ». Ils ont ainsi décidé de créer une association pour, entre autres, veiller au suivi de leurs propositions : « ouvrons donc les yeux et bougeons-nous ».
Cette Convention est un succès par la grande qualité du travail réalisé, par la richesse et l’étendue des propositions formulées autant que par la solidité de leur argumentation, par la vision d’ensemble que les ‘Conventionnels’ ont su adopter, par le large éventail de domaines qu’ils ont su aborder.
Les propositions sont regroupées sous 5 thématiques : « consommer », « produire et travailler », « se déplacer », « se loger », « se nourrir ». Chaque thématique est ensuite divisée en familles puis en objectifs pouvant regrouper plusieurs propositions ; chacune de ces dernières fait l’objet d’une présentation détaillée et d’une évaluation des impacts et des freins éventuels à sa mise en œuvre. Pour partie d’entre elles, une transcription légistique (juridique) – c’est-à-dire la proposition d’un projet de loi, d’un décret, d’un règlement – a également été faite.
Les propositions portent également sur des modifications de la Constitution. Le rapport final présente aussi un certain nombre d’orientations de financements.
[ Je vous invite à aller sur le site de la Convention Citoyenne pour le Climat afin de ‘feuilleter’ les propositions faites : https://propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/ ]
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Mais il est à craindre que beaucoup de ces propositions ne recueille pas l’assentiment tant d’Emmanuel Macron, de son gouvernement et de LREM que des représentants et des défenseurs de l’idéologie économique néo-libérale qui prévaut actuellement.
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Les 150 ‘Conventionnels’ proposent d’introduire dans le préambule de la Constitution « la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité » et dans son article 1er « la préservation de la biodiversité, de l’environnement et (la) lutte contre le dérèglement climatique. » Ces deux propositions, selon les membres de la CCC, doivent être soumis à un référendum. Il sera objecté que le préambule de la Constitution fait explicitement référence aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ; mais ses 7 considérants et ses 10 articles trouveront utilement à être appuyés (et précisés s’agissant de l’article 1er) dans le corps même de la Constitution.
Les membres de la Convention soumettent aussi à la réflexion collective deux axes de réflexion. Le premier vise à « renforcer le contrôle des politiques environnementales ». Leur objectif est d’accorder une place plus importante aux citoyens dans les mécanismes de contrôle, de renforcer l’efficacité des instances existantes et d’envisager la création d’un « Défenseur de l’environnement » à l’image du Défenseur des droits. Le second est orienté vers une « réforme du Conseil Economique Social et Environnemental ». Les participants proposent en particulier de rendre plus efficaces, visibles et transparents les avis du CESE ou des instances citoyennes qu’il pilote et d’intégrer les citoyens à la prise de décision.
Les 150 citoyens de la CCC suggèrent que soit aussi soumis à référendum, l’orientation générale de « sauvegarder les écosystèmes en légiférant sur le crime d’écocide ». Il faut se rappeler cependant que le Sénat (à majorité de droite) en mars 2019 puis l’Assemblée Nationale (où LREM et ses affidés disposent d’une majorité absolue) en octobre 2019 ont été saisi de propositions de lois sur l’écocide ; ces 2 assemblées les ont rejetées ! Par ailleurs, le Gouvernement Macron / Philippe, par la voix de Nicole Belloubet, Ministre de la Justice, semble d’ores et déjà écarter cette possibilité. Ceci au motif que le crime d’écocide n’est pas décrit de façon suffisamment précise. Les membres en donnent pourtant une définition qui, très probablement, peut être amendée / améliorée. Ils en proposent aussi une transcription juridique pour le Code pénal et pour le Code de l’environnement qui, une fois le crime d’écocide adopté par voie référendaire, pourra être votée par le Parlement. Mais tout n’est pas perdu ; Nicole Belloubet est prête à « à réfléchir à un délit plus général de pollution des eaux, des sols, de l’air, qui pourrait trouver place dans notre droit pénal de l’environnement ». La caresse après la baffe !
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Les propositions formulées par les membres de la Convention sont très larges et couvrent de très nombreux domaines.
Je regrette toutefois en ce qui me concerne, que peu d’objectifs n’aient été consacrés à la production d’électricité alors même que, entre autres, on incite de plus en plus à l’électrification du parc automobile. Rien notamment concernant les centrales hydrauliques et les centrales nucléaires. Je n’ai également rien vu en ce qui concerne la gestion de l’eau qui, à certains moments, peut se révéler très problématique.
Pourtant, ces deux sujets sont d’une totale actualité, en particulier car le gouvernement prévoit toujours de privatiser un tiers des concessions hydroélectriques françaises. Les barrages ne veillent pas seulement à l’équilibre du système d’approvisionnement électrique national et au refroidissement des centrales nucléaires ; ils sont également essentiels à d’autres domaines tels que la distribution d’eau potable ou l’agriculture. L’eau est un bien commun indispensable et non privatisable !
Ceci ne modifie toutefois en rien l’appréciation très positive que je porte sur ce rapport.
Parmi les propositions faites, on retrouve certes les ‘classiques’ – si je peux m’exprimer ainsi – de la lutte contre le réchauffement climatique.
Il en est ainsi par exemple de la rénovation énergétique globale (toit, isolation, fenêtre, chauffage et ventilation mécanique contrôlée [VMC]) des bâtiments – qui représentent 16% des émissions nationales. Mais la CCC souhaite la rendre obligatoire. A l’heure actuelle, et depuis des années, bien que cet objectif soit classé ‘priorité nationale’, cela ne se fait que « par petits gestes et à petits pas ». En raison de l’impact important que cela peut représenter, la Convention propose des mesures d’accompagnement, en particulier pour les classes moyennes et les ménages modestes et très modestes. Une volonté politique affirmée et pérenne est néanmoins indispensable pour que cela se fasse !
On peut aussi citer la volonté de « lutter contre l’artificialisation des sols » – qui progresse d’environ 8,5 % par an, soit une augmentation équivalente à un département français moyen en moins de 10 ans entre 2006 et 2015 – ainsi que contre « l’étalement urbain ». Les 150 participants à la Convention n’hésite pas à appeler à l’interdiction immédiate de tout nouvel « aménagement de zones commerciales périurbaines (qui sont) très consommatrices d’espace » et à l’adoption de toutes mesures permettant de « faciliter les réquisitions de logements et bureaux vacants ».
A mentionner aussi ici la volonté de « garantir un système permettant une alimentation saine, durable, moins animale et plus végétale, respectueuse de la production et du climat, peu émettrice de gaz à effet de serre et accessible à tous » en développant par exemple les « circuits courts » et celle de « faire muter notre agriculture pour en faire une agriculture durable et faiblement émettrice de gaz à effet de serre » en développant les « pratiques agroécologiques » – là, j’aurais préféré l’objectif à mon sens plus ambitieux de l’agriculture biologique qui est certes citée mais n’est pas mise en avant.
Le lien est ici fait avec l’international quand la CCC préconise de « tenir une position ambitieuse de la France pour la négociation de la PAC (Politique Agricole Commune) » et d’ « utiliser les aides de la PAC comme levier de transformation » pour notamment, favoriser le développement des pratiques agroécologiques.
Les 150 ‘Conventionnels’ demandent aussi de « renégocier le CETA au niveau européen pour y intégrer les objectifs climatiques de l’accord de Paris ». Il est vrai que la non-ratification de cet accord proposé au niveau européen permettra à la France d’œuvrer pour « mettre en place un modèle de politique commerciale d’avenir, soucieux d’encourager une alimentation saine et une agriculture faible en émissions de gaz à effet de serre », notamment en inscrivant « le respect des engagements de l’accord de Paris comme objectifs contraignants des accords commerciaux » et en mettant fin « aux tribunaux d’arbitrage privés qui permettent à des entreprises d’attaquer les États lorsqu’ils adoptent des mesures de protection de l’environnement » – on peut ajouter leur possibilité d’attaquer aussi les mesures de protection de la santé et les mesures de protection sociale. Il est en effet nécessaire d’engager une véritable réflexion pour la redéfinition de la politique commerciale de l’Union Européenne dans le cadre des objectifs environnementaux du Green Deal proposé par Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, en décembre 2019, aussi perfectible que soit ce plan visant à rendre l’Union Européenne neutre en carbone d’ici 2050. Personnellement, je crois qu’il faut aussi ajouter à la politique commerciale européenne les objectifs sanitaires, sociaux et de souveraineté alimentaire.
Mais les 150 participants se penchent aussi sur des sujets bien plus polémiques tel que « modifier l’utilisation de la voiture individuelle en sortant de l’usage de la voiture en solo et en proposant des solutions alternatives ». Voitures individuelles qui, il faut le rappeler, représentent plus de 15% des émissions de gaz à effet de serre en France. Parallèlement aux incitations à « développer d’autres modes de transports » et aux mesures visant à « aménager les voies publiques pour permettre de nouvelles habitudes de déplacement », les 150 membres de la CCC souhaitent « réduire la vitesse sur autoroute à 110 km/h maximum ». Conscients de la bronca que cette proposition va soulever, ils soulignent que les avantages pour le climat sont réels puisqu’ils permettent une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en moyenne sur ces transports et qu’ils permettent également d’économiser du carburant, de faire baisser la mortalité et les dommages corporels sur les routes et peuvent contribuer à réduire les bouchons. Ils proposent aussi, en cas d’amendement, des options intermédiaires comme, par exemple, la mise en place de tarifs différenciés selon les émissions des véhicules.
[ J’avoue que là, je fais partie de ceux que cela va faire râler ! Mais tout bien réfléchi, je suis plutôt d’accord. ]
Il en est de même de la proposition faite en vue d’ « aider (à) la transition vers un parc de véhicules propres », d’ « interdire dès 2025 la commercialisation de véhicules neufs très émetteurs » (plus de 110g de CO2/km) et celle de « renforcer très fortement le malus sur les véhicules polluants et (d’y) introduire le poids comme un des critères à prendre en compte ». Même si cela n’est pas expressément dit, les SUV, volumineux, lourds et polluants, sont dans la ligne de mire. Il faut dire qu’ils constituent actuellement près de 40% des ventes de véhicules neufs en France, contre moins de 10% il y a une dizaine d’années.
On peut aussi mentionner la proposition de « réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non-choisies à la consommation » et celle d’ « interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES ». Les 150 participants proposent de le faire dès maintenant sur la base des « mesures d’impact environnemental » existantes mais encore peu nombreuses (par exemple, la consommation des véhicules automobiles) et à terme, de le faire selon un « CO2-score » où « chaque étape devra être évaluée : fabrication / extraction et acheminement de matières premières, fabrication, stockage, transport vers le lieu de distribution, distribution, consommation… jusqu’à son traitement en tant que déchet ou son recyclage ». Pour mettre en exergue l’importance de ce « CO2-score », il est peut-être opportun de rappeler que 80% de la dépense énergétique d’un smartphone se produit au moment de sa fabrication.
Vous avez dû voir comme moi les réactions outrées, ulcérées, tonitruantes mais très réductrices à ces dernières propositions et à quelques autres, de certains « économistes » à qui la presse mainstream a largement ouvert ses colonnes et ses micros. Un petit florilège : « voyage vers la décroissance » – mais il n’est pas du tout question de cela ; « écologie punitive » – alors qu’il ne s’agit que de lutter contre certains comportements ‘écocide’ ; « on a besoin de beaucoup de croissance pour faire de l’écologie, du développement durable et de la transition énergétique » – pour ce monsieur, le système actuel est le seul qui puisse exister ; « on va fermer les frontières » – bonjour l’épouvantail des pires pensées nationalistes ; « cet autre monde où les lots ‘interdire’ et ‘contraindre’ sont rois » – tout est question de savoir ce qu’il faut réellement interdire et contraindre pour protéger notre planète et pourquoi ; etc., etc., etc…
Par ailleurs, les mesures d’ordre financier proposées par les 150 participants à la CCC vont prendre à rebrousse-poil Emmanuel Macron. Dans le chapitre « financement » du rapport final, il est ainsi préconisé l’ « intégration d’une nouvelle tranche d’imposition pour les revenus au-delà de 250 000 euros », l’ « augmentation de l’assiette fiscale et de taxation des plus hauts patrimoines privés, pouvant se traduire par le rétablissement de l’Impôt sur la fortune (ISF), ou sous une forme rénovée de type impôt écologique sur la fortune » et le « rétablissement de la progressivité d’imposition des revenus financiers en supprimant le prélèvement forfaitaire unique (ou Flat Tax) qui prévoit un taux unique d’imposition sur les revenus du capital des personnes physiques ». Voilà qui ne va pas du tout plaire aux amis riches, très riches et hyper-riches d’Emmanuel Macron !
Les dirigeants des multinationales, autres amis d’Emmanuel Macron (mais ce sont parfois les mêmes), ne vont pas apprécier quant à eux, la proposition qui prévoit que « les entreprises qui distribuent plus de 10M€ de dividendes annuels participeront à l’effort de financement collectif de la transition écologique, à hauteur de 4 % du montant des dividendes distribués, chaque année » ni celle qui prévoit la « création d’une taxe sur les profits des banques réalisés sur les projets d’investissement néfastes pour le climat (à hauteur de 40 % des profits réalisés) ».
Mais ce volet financier contient beaucoup d’autres dispositions dont certaines sont indiquées dans les présentations des objectifs et propositions. Je voudrais juste mentionner celle qui propose la « mise en place d‘un moratoire sur l’évolution de la taxe carbone pendant 5 ans, le temps que les ménages soient informés de l’urgence climatique et aient les moyens de changer leurs habitudes (au-delà de ce délai, la question devra été réétudiée en fonction du contexte économique et social) » – cela me semble être une réponse à l’une des demandes fondamentales des Gilets Jaunes – ou celle prévoyant la « création d’une taxe sur les produits alimentaires nocifs » à savoir ultratransformés, trop gras, trop salés, trop sucrés, plein d’additifs artificiels…
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Et maintenant ? Emmanuel Macron doit intervenir le lundi 29 juillet devant les 150 citoyens qui ont produit ce travail remarquable. Que dira-t-il alors ?
Il a aussi promis de se « réinventer » et doit « faire des propositions aux français » pour la fin de son quinquennat d’ici le 14 juillet. Y intégrera-t-il les travaux de la Convention Citoyenne sur le Climat ?
Il est possible / probable qu’un remaniement ministériel intervienne. Qui sera le nouveau Premier Ministre (s’il change) ? Quelles seront les grandes orientations de son programme de gouvernement, les principales réformes et mesures qu’il veut mettre en place et qu’il détaillera lors de sa déclaration de politique générale ?
Beaucoup d’incertitudes donc ! Et aussi, il est vrai, un certain pessimisme de ma part.
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Mais je veux laisser la conclusion de cet article aux 150 ‘Conventionnels’ : « nous considérons que la réussite de cette Convention dépendra en grande partie du respect par l’Exécutif de son engagement à transmettre nos propositions “sans filtre”, c’est-à-dire dire sans être reformulées ni adaptées, mais également à leur prise en compte par le pouvoir Législatif ».