Je viens de regarder ‘Made in Bangladesh’. Très très beau film !

Cette œuvre de la cinéaste bangladaise Rubaiyat Hossain raconte l’histoire de Shimu, employée du textile à Dacca au Bangladesh, qui décide, avec l’appui de quelques collègues de monter un syndicat. Ce film montre ainsi les conditions de travail très dures de ces ouvrières, l’exploitation dont elles font l’objet, les salaires de misère qui leur permettent tout juste de (sur)vivre, le délabrement des locaux dans lequel elles travaillent (l’une des premières séquences du film est celle d’un incendie qui se déclare et qui déclenche la panique).
Ce film aborde aussi la condition de la femme dans une société bangladaise, majoritairement de confession musulmane, au caractère patriarcal très fort : « nous sommes des femmes. Fichues si l’on est mariée, Fichues si on ne l’est pas ».
Dans son combat, Shimu doit ainsi se battre contre ses patrons, tous des hommes, d’autant plus virulents qu’ils ne veulent pas de syndicats dans leur usine et qu’ils sont pleins de préjugés machistes. Elle doit aussi se battre contre son mari (au chômage) pour pouvoir continuer à monter cette organisation syndicale. Elle doit enfin se battre contre une administration (personnifiée par une femme sans réelle pouvoir et par son chef, un homme), au mieux tatillonne et pleine d’inertie (volontaire ?), au pire corrompue.
Ce film effleure aussi le rôle libérateur de l’éducation. Par son étude du Code du travail, Shimu montre à ses collègues qu’elles peuvent lutter, ensemble en étant organisées, contre les abus qu’elles subissent (le décalage dans le paiement d’heures travaillées, le caractère illégal du renvoi d’une de leurs collègues).
Mais surtout, ce film, sorti en décembre 2019, est une dénonciation d’une mondialisation qui n’hésite pas à exploiter sans aucun état d’âme et sans aucune vergogne ces ouvrières.
Un dialogue entre Shimu et la militante féministe qui l’épaule dans son combat :
– Combien de ces tee-shirts fabriquez-vous par jour ?
– 1650
– Dis-toi que deux ou trois de ces tee-shirts valent un mois de ton salaire ».
Dialogue qu’il faut rapprocher de la visite de l’usine par deux donneurs d’ordres occidentaux. Ils s’inquiètent, sans insister, sur les conditions de sécurité mais surtout, ils font remarquer que les prix sont trop élevés ! Et accessoirement, que l’usine n’est pas conforme.
En novembre 2012, un incendie dans un usine textile près de Dacca a fait plus de 110 morts. Elle fabriquait des vêtements destinés pour la plupart à l’exportation vers les pays occidentaux. Elle avait pour clients des marques internationales du textile.
En avril 2013, 1129 employés du textile sont morts et au moins 350 autres ont ‘disparu’ dans l’effondrement du Rana Plaza, l’immeuble dans lequel ils travaillaient. Les entreprises clientes du Rana Plaza étaient aussi essentiellement des marques internationales d’habillement ou des groupes, notamment français, de la grande distribution.
Et on pourrait continuer longtemps le macabre décompte d’une multitude d’accidents n’ayant fait, chacun, ‘que’ quelques victimes !
D’un côté, l’industrie textile représente 80% des exportations du Bangladesh et emploie 4 millions de personnes, à 85% des femmes ; sans doute la main-d’œuvre la moins chère du monde. Mais cette industrie a permis de faire chuter de plus de 20% le taux d’extrême pauvreté dans le pays en une quinzaine d’années.
De l’autre côté, on peut facilement parler d’esclavage quand on regarde les conditions de travail et les salaires de ces ouvriers et ouvrières, encore aujourd’hui.
Quel dilemme !!! Continuer à acheter des vêtements venant du Bangladesh mais aussi du Pakistan, d’Inde, de Chine ? Ne pas le faire ?
Ou militer pour que les bénéfices qui profitent essentiellement aux groupes internationaux soient mieux répartis. Et notamment, qu’une part plus importante soit consacrée à une rémunération décente de l’ensemble de ces travailleurs et à la mise en place de bonnes conditions de travail et de sécurité dans les usines.
C’est sans doute une solution !
Mai 2020