Finance Watch : Réduire les risques financiers liés au financement des énergies fossiles par les banques françaises

J’ai l’honneur d’être l’un des co-auteurs de cette étude de Finance Watch, organisation non-gouvernementale européenne, dont la vocation est « de contrebalancer le lobby de l’industrie financière ».

ICI le lien vers le rapport en anglais.

Ci-dessous son résumé en français.

PS : les grands esprits se rencontrent ! Cette étude rejoint dans ses préconisations, celles formulées par l’Institut Rousseau dans sa réponse à la consultation du Comité de Bâle en mars 2022. (à voir ICI sur ce blog ou LA sur le site de l’Institut Rousseau)

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1 350 milliards de dollars d’expositions aux risques liés aux énergies fossiles et une sous-évaluation des risques

Les instances de surveillance du secteur bancaire sont de plus en plus préoccupées par les liens entre les changements climatiques et la stabilité financière. Le financement bancaire du secteur des énergies fossiles se situe au coeur du problème : en effet, les énergies fossiles sont le principal facteur d’accélération des changements climatiques, et de nombreux actifs associés aux énergies fossiles (« actifs fossiles ») devront être abandonnés avant la fin de leur durée de vie économique (« actifs échoués ») pour assurer la transition vers une économie neutre en carbone.

Finance Watch estime que les 60 plus grandes banques du monde sont exposées à des risques d’un montant d’environ 1 350 milliards de dollars liés à des actifs fossiles dans leurs bilans. Cette somme colossale est supérieure au montant des actifs à risque (« subprimes ») auxquels étaient exposées les banques juste avant la crise financière mondiale, et les instances de surveillance constatent que les risques actuels liés aux énergies fossiles ne sont pas encore pleinement pris en compte dans les exigences de fonds propres des banques. Cela pourrait compromettre la solvabilité et la stabilité financière des banques lorsque les risques liés au climat deviendront de plus en plus concrets.

La manière la plus cohérente et la plus efficace d’y remédier serait d’adopter une mesure technique, qui fait actuellement l’objet d’un examen par les législateurs de l’UE et du Canada, et qui consisterait à ajuster les exigences en matière de fonds propres afin de tenir compte des risques accrus associés au financement des énergies fossiles. Il faudrait alors :

appliquer un coefficient de pondération des risques sectoriels de 150 % aux expositions des banques à des actifs fossiles

Pour mettre en œuvre cette mesure, les banques auraient besoin de fonds propres supplémentaires. Dans une étude publiée récemment, Finance Watch analyse les répercussions sur les banques de l’application d’un coefficient de pondération des risques de 150 %, et conclut que cette proposition pourrait être mise en œuvre sans compromettre la capacité des banques à accorder des prêts.

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Fonds propres supplémentaires nécessaires au niveau mondial et en France

L’étude porte sur les 60 plus grandes banques du monde, parmi lesquelles les 22 plus grandes banques de l’UE en termes d’actifs, dont six sont françaises. On constate qu’en moyenne, l’application d’un coefficient de pondération des risques de 150 % aux banques actuellement exposées à des actifs fossiles exigerait une augmentation de leurs fonds propres équivalente à environ 3 à 5 mois de bénéfices de ces banques en 2021.

Le montant moyen des fonds propres supplémentaires s’élèverait à 2,69 milliards d’euros pour chaque établissement, ce qui équivaut à 2,85 % des fonds propres actuels des banques (au 31 décembre 2021) ou à 3,42 mois de leur bénéfice net pour 2021.

Les six banques françaises comprises dans cette étude – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE / Natixis, Crédit Mutuel et La Banque Postale – ont un niveau global d’exposition aux énergies fossiles similaire à la moyenne mondiale mais supérieur à la moyenne européenne. À elles toutes, ces banques possèdent 125 milliards d’euros d’actifs fossiles dans leurs bilans, soit 1,31 % du total de leurs actifs, contre une moyenne de 1,05 % dans l’UE et de 1,47 % à l’échelle mondiale.

Cela signifie que les banques françaises devraient en moyenne mobiliser chacune 2,97 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires, contre une moyenne de 2,69 milliards d’euros au niveau mondial ou de 1,36 milliard d’euros au niveau de l’UE, afin d’appliquer un coefficient de risque plus élevé à leurs actifs fossiles.

Compte tenu des bénéfices qu’elles ont dégagé en 2021, nous estimons que ces six banques françaises pourraient y parvenir en moyenne en 6,54 mois de bénéfices non distribués.

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Conséquences pour les prêts

Dans les années qui ont suivi la crise financière mondiale, les banques ont été en mesure de mobiliser un volume important de capitaux sur 18 à 24 mois, sans pour autant réduire leurs prêts ni leurs actifs totaux, en ayant recours à la rétention de bénéfices et à l’augmentation de leurs marges de crédit.

Le capital supplémentaire requis dans le cadre de la présente proposition est beaucoup plus faible et équivaut, pour les banques françaises, à accumuler six mois de bénéfices non distribués, même si, dans la pratique, les banques disposeraient de plus de temps pour y parvenir, car ce type de mesure est généralement mis en œuvre progressivement sur de plus longues périodes.

En prévoyant une période de transition adaptée, il serait tout à fait possible pour les banques de combler le nouveau déficit de capital grâce à des bénéfices non distribués, sans compromettre leurs capacités à accorder des prêts, ce qui est important pour assurer une transition durable.

Cela n’empêcherait pas les banques d’accorder des prêts au secteur des énergies fossiles, mais elles devraient prévoir une prime de risque plus élevée pour ces prêts afin de tenir compte des risques qui y sont associés.

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Conclusion

La révision législative en cours des règles prudentielles de l’UE pour le secteur bancaire – règlement et directive sur les exigences de fonds propres – est une occasion unique d’introduire une pondération sectorielle des risques pour l’exposition aux énergies fossiles. Les instances de surveillance devraient ensuite travailler en collaboration avec les banques pour mettre en place progressivement ces changements sur une période appropriée. Cette démarche est essentielle pour protéger les banques françaises contre les risques climatiques liés au financement du secteur des énergies fossiles et des bouleversements résultant de l’accélération des changements climatiques, sans pour autant réduire leurs capacités à accorder des prêts. 

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