Banque Centrale Européenne et changement climatique

[ Cet article dont je suis l’un des co-auteurs, a initialement été publié sur le site de l’Institut Rousseau. Vous pouvez l’y consulter ICI ]

Intégration des enjeux climatiques dans la politique monétaire de la Banque centrale européenne : après ces premiers pas, la route reste encore longue

La BCE reconnait son rôle en matière de risque climatique : il était temps !

« La Banque Centrale Européenne prend de nouvelles mesures visant à intégrer le changement climatique à ses opérations de politique monétaire ». Tel est le titre du communiqué que la BCE vient de publier 1. Les dispositions suivantes seront mises en œuvre :

  • La BCE intégrera désormais des critères relatifs à la performance climatique des entreprises dans le cadre de son programme d’achat d’obligations d’entreprises (« Corporate Sector Purchase Program », CSPP) ;
  • La BCE limite la part des titres liés à des entreprises polluantes admise comme garantie des emprunts des banques auprès des banques centrales des États européens, sous la forme d’une décote automatique de la valeur des titres les plus vulnérables aux risques climatiques 2 ;
  • La BCE contrôlera le respect par les entreprises de l’obligation de publier leurs informations climatiques (directive dite « Corporate Sustainability Reporting », CSRD), sous peine de les exclure de ses mécanismes de garantie de crédit ;
  • La BCE renforcera ses efforts d’évaluation et de gestion des risques climatiques, notamment par lamise en place d’un ensemble de normes communes pour intégrer les risques liés au climat dans les notations produites par les systèmes d’évaluation du crédit par les banques centrales nationales.

L’Institut Rousseau se réjouit de constater que la BCE sort de son positionnement attentiste en matière de risque climatique. Pour la première fois, elle reconnait explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours du ferme attachement au principe de neutralité des marchés qu’elle brandissait jusqu’alors pour justifier son manque de volontarisme à l’égard des enjeux climatiques. La BCE et ses dirigeants reconnaissent finalement le rôle primordial et moteur qu’ils doivent jouer dans l’indispensable transition que doit mener le système financier, au-delà des déclarations de principe. Ceci en particulier dans la juste appréciation des risques que constituent les actifs échoués, ces prêts mis en place à destination des filières dépendantes du charbon, du pétrole et gaz, et qui pâtiront de la transition écologique à venir (voir la note de l’Institut Rousseau qui traite du risque que représentent particulièrement les actifs fossiles : « actifs fossiles, les nouveaux subprimes »3).

Si les actions associées ne sont pas suffisamment ambitieuses, les déclarations de la BCE ne constitueront que les perles d’un très beau collier

La BCE admet finalement la validité des arguments des économistes qui appelaient intégrer les risques climatiques au cadre de politique monétaire européen – comme l’Institut Rousseau l’a fait dans nombre de ses travaux. Les raisons énoncées par la BCE pour justifier ce changement, toutes pertinentes et justifiées, ne constituent toutefois à ce stade que les perles d’un très beau collier.

Ainsi, la BCE reconnait que l’inclusion de critères liés aux risques climatiques permettra de « réduire le risque financier lié au changement climatique dans le bilan de l’Eurosystème ». Elle se dit prête à « soutenir la transition écologique de l’économie » pour permettre un « alignement sur les objectifs de l’accord de Paris et les objectifs de neutralité climatique de l’UE » (voir à ce sujet le rapport de l’Institut Rousseau sur les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 4).

La BCE cite également la nécessité d’« intégrer les questions liées au changement climatique au cadre de politique monétaire de l’Eurosystème »  et enfin d’« inciter les entreprises et les établissements financiers à faire preuve de davantage de transparence en ce qui concerne leurs émissions de carbone, et à les réduire » (voir à ce sujet la note de l’Institut Rousseau appelant à une réforme de la règlementation financière en matière de climat 5).

On pourrait croire, à la lecture de ce communiqué, qu’au-delà des grandes déclarations de principe, la BCE et ses dirigeants prennent enfin conscience du rôle moteur et primordial qui doit être le leur dans la réorientation des flux financiers vers des produits soutenables du point de vue écologique, et dans la meilleure appréciation des risques que constituent les actifs « fossiles » mentionnés plus haut.

Les premiers pas effectués par la BCE démontrent effectivement un revirement de doctrine bienvenu, qui était attendu depuis que la revue stratégique de politique monétaire 6 en juillet dernier avait posé les prémisses d’une modification du cadre d’intervention, malgré le fait que la BCE n’avait alors pas explicitement accepté de renoncer à la doctrine de la « neutralité de marché ». Ce principe désigne le fait que la BCE s’efforçait jusqu’à présent d’investir dans des actifs financiers qui représentent fidèlement la masse de titres financiers en circulation, afin de ne pas créer de distorsion sur les marchés. Cela l’a empêchée jusqu’ici d’imposer des critères écologiques dans ses stratégies d’investissement. Le communiqué du 4 juillet 2022 représente donc un tournant majeur, en ce que la BCE reconnait pour la première fois explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours, peut-on espérer, du ferme attachement au principe de neutralité de marché dont elle faisait preuve jusqu’alors. Cette modification traduit un changement profond dans la manière d’envisager les risques climatiques et environnementaux, et reflète un consensus concernant la légitimité de l’action de la BCE dans le cadre de son mandat actuel pour lutter contre les dérèglements climatiques et favoriser la transition.

Toutefois, cette première avancée notable ne doit pas éclipser le fait que ces annonces demeurent pour l’heure largement insuffisantes au vu de l’ampleur considérable des changements à mener, et de l’urgence de la tâche.

Le périmètre et les délais de mises en œuvre des mesures annoncées : limites majeures de l’initiative de la BCE

Concernant les programmes d’achat, il faudra savoir ce que la BCE entend par « des émetteurs présentant de bons résultats climatiques » vers lesquelles elle veut orienter ses réinvestissements. La définition donnée, à savoir les entreprises ayant « une bonne performance climatique (qui) sera caractérisée par de faibles émissions de gaz à effet de serre, des objectifs ambitieux de réduction des émissions de carbone et des déclarations satisfaisantes en matière de climat », est très large et particulièrement floue. Elle devra notamment être précisée afin d’exclure les entreprises dont les plans d’alignement sont trop peu crédibles et relèvent avant tout d’une démarche de « greenwashing ».

L’une des limites principales de la mesure est que l’intégration de ces critères d’analyses environnementaux ne s’appliquera pour commencer qu’« aux seuls instruments de dette négociables émis par des entreprises n’appartenant pas au secteur financier (sociétés non financières) ». Cela signifie que cette mesure concernera exclusivement le programme d’achat du secteur privé (CSPP), soit une fraction minime des programmes d’achat d’actifs de la BCE qui sont essentiellement dédiés aux obligations souveraines d’États européens (« Public Sector Purchase Programme », PSPP). Par ailleurs, il est à noter que ces programmes avaient pour objectif initial de stimuler l’inflation afin qu’elle atteigne son objectif d’inflation de 2 %, conformément à la mission fixée par le traité fondateur de la Banque centrale européenne. Compte-tenu des niveaux récents d’inflation, qui dépassent très largement la cible de 2 % (8,1 % en mai 2022 puis 8,6 % en juin 2022), la BCE a annoncé en juin son intention de réduire progressivement ces programmes, jusqu’à l’arrêt complet 7. Ainsi, la décision d’inclure des critères climatiques dans le programme d’achat de titres de dettes émis par des entreprises intervient à quelques temps de la fin du programme, et sera donc suivi d’effets probablement très limités. Pour aller plus loin, la BCE pourrait instaurer un programme d’achats spécifique, ciblé et de long terme de titres émis par des entités ayant l’obligation d’investir dans la reconstruction écologique, notamment des banques publiques d’investissement.

Par ailleurs, la BCE entend désormais limiter « la part des actifs émis par des entités à empreinte carbone élevée qui peuvent être apportés en garantie par des contreparties dans le cadre d’emprunts auprès de l’Eurosystème ». Elle annonce également que désormais, « l’Eurosystème tiendra compte des risques liés au changement climatique lors de ses révisions des décotes appliquées aux obligations d’entreprise utilisées comme garanties ». Cette évolution s’inscrit en cohérence avec la suggestion de l’Institut Rousseau dans sa contribution à la consultation publique du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) sur les risques climatiques 8. Elle pourrait en effet mener à appliquer une pondération de risque supplémentaire aux instruments financiers issus d’entreprise des filières et secteurs les plus intensifs en carbone, afin de refléter le risque additionnel pesant sur ces acteurs économiques qui seront les premiers affectés par les politiques publiques de transition écologique et énergétique. Toutefois, pour que les mesures annoncées soient suffisamment ambitieuses et contraignantes, la BCE devra préciser les critères retenus pour définir les « entités à empreintes carbone élevée ». Au-delà d’une simple décote, une partie de ces actifs devrait être tout simplement interdite comme collatéral au refinancement. Parmi ceux-là, les travaux de l’ONG Urgewalg qui a publié la « Global Oil and Gas Exit List » (GOGEL) recensent plus de 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et qui couvre ainsi plus de 80% du secteur ainsi que la « Global Coal Exit List 10 » (GCEL) qui compte plus de 1000 entreprises du secteur du charbon.

Ces mesures auraient pour effet d’obliger les banques à renforcer leurs fonds propres et à les rendre ainsi plus à même de faire face aux crises qui pourraient survenir. Les stress-tests climatiques réalisés par la BCE en 2022, et dont les résultats ont été publiés le 8 juillet 11, démontrent explicitement la corrélation entre l’intensité carbone des expositions des banques et les probabilités de défaut associées à celles-ci. Par ailleurs, ces risques de perte augmentent à mesure que les entreprises, les banques et les États tardent à engager la transition. Pour des raisons tant économiques qu’écologiques, il est grand temps d’agir !

La BCE annonce toutefois que la mise en œuvre de ces dispositions interviendra « à mesure que la qualité des données relatives au climat s’améliorera ». En effet, les données financières propres à la vulnérabilité de chaque établissement manquent toujours (ex. : émissions de gaz à effet de serre associées à chaque ligne de prêt, diagnostic de performance énergétique de chaque bien sous-jacent à un prêt immobilier). En revanche, les études et travaux relatifs au climat rédigés par le GIEC, l’Agence Internationale de l’Energie, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, l’Organisation Météorologique Mondiale – pour ne citer que ceux-là – tout comme les scénarios climatiques développés par le NGFS, le Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier 12 sont suffisamment élaborés pour rendre compte de l’urgence à agir. Bien qu’ils soient encore perfectibles, ces travaux permettent toutefois d’agir sur le fondement du principe de précaution, une disposition définie lors du sommet de Rio de 1992 selon laquelle, malgré l’absence de certitudes dues à un manque de connaissances techniques, scientifiques ou économiques, les acteurs publics et privés sont tenus de prendre des mesures anticipatives de gestion de risques pour éviter des dommages potentiels immédiats et futurs sur le climat et l’environnement.

L’absence d’encadrement des conséquences climatiques des flux financiers, marge de progression majeure du cadre de politique monétaire

Une autre limite majeure des annonces de la BCE est justement qu’elles ne limitent que très faiblement et très indirectement la capacité du système bancaire à financer les secteurs des combustibles fossiles. Et on sait aujourd’hui que les grands établissements financiers mondiaux ne s’en privent pas – et sont même particulièrement généreux 13.

D’autant plus que, dans le contexte international, l’urgence climatique est devenue… moins urgente aux yeux des décideurs politiques. Du fait de la crise énergétique découlant du conflit russo-ukrainien, les acteurs publics et privés renoncent progressivement aux mesures encadrant ou limitant la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, en particulier ceux en eaux profondes et dans l’Arctique ou ceux issus de la fracturation hydraulique, désastreuse pour les nappes phréatiques, l’environnement et le climat. Les entreprises européennes portent à elles seules un nombre important de fossiles de grande ampleur et engageants sur le long terme, d’ores et déjà lancés (ports méthaniers, gazoducs) ou en cours de financement (notamment East Gas Program, EACOP, etc.). Les banques européennes sont ou seront engagées dans le financement de tous ces projets, et augmenteront ainsi le volume de leurs actifs risqués.

Pour contribuer à enrayer efficacement le processus de dérèglement climatique, la règlementation financière devrait être structurée autour d’une approche duale, en encadrant à la fois les risques mentionnés plus haut que le changement climatique fait peser sur la stabilité financière, mais également ceux auxquels les acteurs financiers exposent l’environnement et la société. À cet effet, nous réaffirmons l’importance que les institutions économiques européennes accélèrent les travaux d’élaboration d’une taxonomie brune, c’est-à-dire d’une définition européenne commune des instruments financiers considérés comme préjudiciables à l’environnement : la transformation indispensable de notre économie passera par une réorientation des flux financiers vers des activités plus soutenables, et donc par un processus de sortie de ces investissements dits « bruns ». Pour y arriver, les régulateurs et superviseurs devront pouvoir se fonder sur une norme européenne commune sur laquelle établir les règles visant à dissuader ou interdire les investissements dans certains secteurs d’activités. En permettant d’interdire le financement des activités les plus polluantes, l’élaboration d’une taxonomie brune emportera des conséquences vertueuses systémiques sur l’ensemble du secteur économique.

Pour conclure, il faut reconnaitre à cette revue de politique monétaire le mérite, essentiellement symbolique, de rompre enfin avec l’illusion de la « neutralité de marché » brandie par la BCE pour justifier son inaction à l’égard des enjeux climatiques. En prenant acte de la nécessité d’agir pour contrôler davantage le système financier en la matière, et en entérinant sa capacité à agir en ce sens dans le cadre de son mandat actuel, la BCE ouvre la voie politique, juridique et technique à de futures mesures plus radicales qui permettront d’aligner les flux financiers sur les objectifs des accords de Paris. Toutefois, cet optimiste doit pour l’heure être tempéré par le caractère restreint des mesures annoncées par la BCE, qui n’auront finalement qu’un effet de contrainte minime sur les flux financiers en circulation actuellement. Cette insuffisance est encore renforcée par les indications de calendrier avancées par la BCE : affichant l’intention de laisser aux acteurs financiers le temps de s’adapter à l’évolution du cadre de politique monétaire, les mesures de la BCE n’entreront en vigueur que très graduellement entre 2024 et 2026 pour les plus tardives.

Les derniers volets du sixième rapport du GIEC parus au cours des derniers mois l’ont pourtant réaffirmé avec force : les acteurs publics et privés doivent prendre des mesures immédiates, et drastiques, pour espérer contenir le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité à des niveaux soutenables pour l’avenir. En outre, les instruments présentés ici ne permettent pas d’imaginer la politique monétaire comme un véritable levier de la reconstruction écologique, ce qu’elle pourrait devenir si nous instaurions un financement monétaire de certaines dépenses écologiques, le financement long et à taux préférentiels des banques publiques d’investissements ou de fonds ad hoc agissant pour le climat, et cela grâce à des mécanismes de contrôle politique et citoyen qui lui font pleinement défaut aujourd’hui.


[1] Voir le communiqué de la BCE en juillet 2022 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ecb.pr220704~4f48a72462.fr.html

[2] Cette proposition avait notamment été faite dès février 2020 par Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean dans « Une monnaie écologique » publié aux éditions Odile Jacob.

[3] Voir la note sur le site de l’Institut Rousseau : https://institut-rousseau.fr/actifs-fossiles-les-nouveaux-subprimes/

[4] https://institut-rousseau.fr/2-pour-2c-resume-executif/

[5] https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/lecologie-combat-du-siecle-la-transformation-de-la-finance-na-pas-eu-lieu/

[6] Voir le communiqué de la BCE en juillet 2021 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2021/html/ecb.pr210708_1~f104919225.en.html

[7] Voir le communiqué de la BCE en juin 2022 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ecb.mp220609~122666c272.en.html

[8] Voir la contribution de l’Institut Rousseau pour le CBCB sur notre site : https://institut-rousseau.fr/consultations-en-matiere-de-reglementation-bancaire-ecologique-notre-reponse/

[9] Voir les travaux de l’ONG Urgewalg : https://gogel.org/sites/default/files/2021-11/urgewald%20GOGEL%202021%20Methodology.pdf

[10] Voir les travaux de l’ONG Reclaim Finance : https://reclaimfinance.org/site/wp-content/uploads/2021/10/Media-Briefing_GCEL_ENG_07102021.pdf

[11] Voir le communiqué de la BCE le 8 juillet 2022 : https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ssm.pr220708~565c38d18a.en.html

[12] Le NGFS met à disposition l’ensemble des données et variables climatiques, énergétiques et économiques modélisées pour 132 pays dont ceux de l’Union Européenne Ses travaux couvrent les risques de transition et les risques physiques liés au changement climatique :  https://www.ngfs.net/ngfs-scenarios-portal/

[13] Voir le rapport « Banking on climate chaos, fossile fuel finance report 2022 » https://www.bankingonclimatechaos.org/

La guerre en Ukraine doit accélérer la lutte contre le réchauffement climatique, pas le contraire

[ Cet article a initialement été publié sur le site de l’Institut Rousseau. Vous pouvez l’y consulter ICI ]

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« Nous marchons les yeux fermés vers la catastrophe climatique » ; 

« Si nous continuons comme ça, nous pouvons dire adieu à l’objectif de 1,5 °C. Celui de 2 °C pourrait aussi être hors d’atteinte ».

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Ce cri d’alarme lancé par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors d’une conférence sur le développement durable organisée par The Economist à Londres le 21 mars, ne peut que nous conforter dans le sentiment d’urgence qui a conduit l’Institut Rousseau à publier, il y a quelques jours, son rapport « 2% pour 2°C » ; rapport qui montre qu’il est totalement réalisable que la France s’inscrive pleinement et de façon volontaire et irréprochable sur la trajectoire du respect des Accords de Paris.

Antonio Guterres ne peut que s’alarmer – et regretter – qu’en dépit de l’aggravation de la situation, les émissions de gaz à effet de serre des grandes économies du monde ont continué d’augmenter ces dernières années, faisant craindre un réchauffement supérieur à 2°C, voire “bien supérieur ». Contrairement à toutes les habitudes consistant à ne citer aucun pays en particulier, Antonio Guterres n’a pas hésité à pointer du doigt l’Australie et une « poignée de récalcitrants » pour ne pas avoir présenté de plans significatifs à court terme pour réduire leurs émissions. Il ne nommait pas alors expressément la Chine et l’Inde qui ont refusé d’adhérer pleinement à l’objectif de 1,5°C et de fixer des objectifs plus ambitieux de réduction des émissions à court terme.

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Antonio Guterres appuie alors sa réflexion sur le second volume de son 6e rapport d’évaluation sur le changement climatique que le GIEC a publié le 28 février 2022 [1] et qui est consacré aux impacts, à l’adaptation et aux vulnérabilités au changement climatique. 

Les conclusions des experts du GIEC dont les termes ont été négociés ligne par ligne par les 195 Etats membres, sont sans appel. Elles sont d’autant plus préoccupantes que les conséquences du réchauffement provoqué par les activités humaines se conjuguent au présent !

Sécheresses, inondations, canicules, incendies, insécurité alimentaire, pénuries d’eau, maladies, montée des eaux… De 3,3 à 3,6 milliards de personnes – sur 7,9 milliards d’humains – sont déjà « très vulnérables » au réchauffement climatique.

Dans le premier volet de son évaluation publiée en août dernier, le GIEC estimait que le mercure atteindrait le seuil de +1,5°C de réchauffement autour de 2030, soit bien plus tôt que prévu et de manière bien plus sévère. Il laissait toutefois une porte ouverte, évoquant un retour possible sous +1,5°C d’ici la fin du siècle en cas de dépassement. Le deuxième volet publié le mois dernier souligne que même un dépassement temporaire de +1,5°C provoquerait de nouveaux dommages irréversibles sur les écosystèmes fragiles, avec des effets en cascade sur les communautés qui y vivent, souvent les moins aptes à y faire face.

Le troisième volume du 6e rapport du GIEC [2] consacré aux solutions pour atténuer le changement climatique a été publié le 4 avril. Dans le communiqué de presse qui accompagne cette publication, les scientifiques du GIEC préviennent que pour « limiter le réchauffement à environ 1,5 °C, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient atteindre leur valeur maximale avant 2025 puis diminuer de 43% d’ici à 2030 ». Nous avons trois ans pour conserver un monde ‘vivable’ ; si nous restons sur la trajectoire actuelle, le réchauffement serait de l’ordre de 3,2°C à la fin de ce siècle ! 

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Tout au long des 3 opus de ce 6e rapport, les experts du GIEC démontrent l’urgence à agir face aux risques croissants et de plus en plus visibles de l’élévation des températures ; risques qui vont s’amplifier avec « chaque fraction supplémentaire de réchauffement ». Ils démontrent aussi les conséquences de l’inaction sur toutes les populations (tant celles des pays riches que celles des pays moins favorisés et tant sur leur santé physique que mentale), sur les systèmes socio-économiques, sur les écosystèmes (qu’ils soient terrestres, d’eau douce ou marin) et sur la biodiversité. Encore et encore, ces scientifiques veulent nous convaincre que « le changement climatique menace le bien-être de l’humanité et la santé de la planète ». 

Ils veulent aussi – et peut-être surtout – en convaincre les dirigeants et les décideurs pour les faire adhérer à l’idée qu’une gouvernance globale (i.e. impliquant tous les pays) et inclusive (i.e. fondée sur l’équité et sur la justice sociale et climatique), des politiques adaptées et de long terme et des efforts financiers très importants sont indispensables. Ils veulent ainsi les convaincre que les décisions politiques doivent dépasser les échéances électorales !

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L’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait pénaliser encore plus les actions en faveur du climat. Pour répondre à la crise climatique, nous avons besoin de paix, de solidarité, de coopération entre tous les États. Ainsi, par exemple, le Conseil de l’Arctique auquel la Russie participait, a suspendu tous ses travaux. Cet organisme intergouvernemental qui coordonne la politique dans cette région traite notamment des questions liées à l’exploration, à l’extraction des ressources et aux études d’impact environnemental ; sachant que l’Arctique est, après la forêt amazonienne, le deuxième plus grand puits de carbone au monde et que, pour l’instant, les mécanismes de la fonte du pergélisol et ses conséquences sont assez peu connues.

De nombreux pays, y compris en Europe, se sont engagés dans une recherche effrénée de nouveaux approvisionnements en gaz et pétrole pour remplacer leurs importations russes, confortant ainsi leur dépendance aux combustibles fossiles. Insistant sur l’urgence due au contexte actuel, les entreprises du pétrole et du gaz commencent quant à elles à « suggérer » de lever les mesures les limitant dans la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements, en particulier ceux en eaux profondes et dans l’Arctique ou ceux de gaz de schiste qui, faut-il le rappeler, sont désastreux pour les nappes phréatiques et pour le climat. 

Cela est totalement à rebours des préconisations de tous les scientifiques ; non seulement ceux du GIEC mais aussi ceux du Programme des Nations Unis pour l’Environnement, de l’Agence internationale de l’Énergie ou en France, du Shift Project, de négaWatt, de l’Institut Rousseau, de RTE, de l’ADEME… Tous prônent une réduction drastique de l’usage des combustibles fossiles et un développement rapide et important des alternatives à leur utilisation. 

En Europe et en particulier en France, les lobbys de l’agro-industrie et tous les tenants d’une agriculture intensive et productiviste s’activent depuis son annonce pour tenter de réduire la portée de la stratégie « de la ferme à la fourchette », volet agricole du Pacte vert pour l’Europe – Green Deal – porté par la Commission européenne et visant à mettre en place un système alimentaire plus durable à l’horizon 2030. Arguant des conséquences de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire, ils avaient amplifié leurs actions. Ils viennent d’obtenir satisfaction ! 

Lorsqu’elle a présenté le 23 mars ses mesures d’urgence pour préserver la sécurité alimentaire mondiale et pour soutenir les agriculteurs et consommateurs européens touchés par les conséquences de la guerre en Ukraine, la Commission européenne a accepté de déroger temporairement aux règles régissant les terres à laisser en jachère pour la biodiversité. Elle a aussi mis en suspens le texte relatif à la limitation de l’usage des pesticides et des engrais d’ici 2030. Édulcorant ainsi très fortement les stratégies « de la ferme à la fourchette » et « biodiversité » qu’elle porte et réduisant à peau de chagrin une part notable de ses ambitions pour une agriculture respectueuse de l’environnement et du climat ! 

Certaines organisations professionnelles militent aussi – et le gouvernement français actuel semble aller dans leur sens – pour l’adoption de mesures visant à « simplifier » le droit de l’environnement dans le but de « faciliter » l’implantation des activités industrielles et de raccourcir les délais de traitement des dossiers pour les porteurs de projets industriels et logistiques. Ceci, est-il affirmé, dans l’optique de construire le plus rapidement possible, une plus grande autonomie stratégique et énergétique.

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L’urgence climatique est, aujourd’hui plus que jamais, un sujet qui doit être au cœur de nos préoccupations

Le contexte actuel doit nous inciter à aller encore plus vite dans les politiques énergétiques visant à abandonner les énergies fossiles et dans celles visant à développer l’agroécologie et l’agriculture biologique en remplacement des pratiques conventionnelles. Il ne doit surtout pas servir de prétexte à un ralentissement des efforts à faire ! 

N’oublions pas qu’il n’y a qu’une seule Terre, qu’une seule humanité, qu’un seul futur !  


[1] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/

[2] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/

Une réglementation bancaire écologique : la réponse de l’Institut Rousseau à la consultation du Comité de Bâle

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[ Cet article dont je suis le co-auteur, a d’abord été publié sur le site de l’Institut Rousseau. Vous pouvez l’y consulter ICI ]

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Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) qui rassemble les superviseurs bancaires de nombreux pays et qui est en charge des standards réglementaires pour les banques à l’échelle mondiale, a ouvert une consultation publique sur les risques climatiques.

Les banques comptent parmi les principaux bailleurs de fonds des entreprises et des projets liés aux combustibles fossiles cause du changement climatique. Et leurs financements aux filières, tant du pétrole et du gaz que du charbon, sont toujours aussi importants contrairement à ce que ces établissements financiers veulent nous faire croire. Les analyses, études, enquêtes réalisées ces derniers mois par de nombreuses associations (Oxfam, Reclaim Finances, Les Amis de la Terre, Urgewald, Attac pour n’en citer que quelques-unes) vont à l’encontre du discours rassuré que les banques tentent de porter sur le sujet.  

Même si elles continuent aujourd’hui de largement sous-estimer ce risque, les banques seront fortement impactées par les événements liés au climat.

Cette consultation doit déboucher sur un nouvel ensemble de principes mondiaux concernant la manière dont les banques gèrent et les autorités de surveillance supervisent les risques financiers liés au changement climatique. On ne peut qu’espérer que le résultat de cette consultation ne soit pas très éloigné des réels enjeux climatiques et que les décisions prises soient fortes. Nous y contribuons pour que les avis des lobbys bancaires, toujours très actifs lors de ces consultations, ne soient pas les seuls à être pris en compte.

L’Institut Rousseau a donc décidé d’apporter sa contribution à cette consultation ; ce qui a été fait le 15 février 2022

En voici le texte :

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« Les actifs liés au financement des énergies fossiles constituent un double risque : un risque pour le climat et un risque pour la stabilité financière et monétaire. Or les banques continuent de financer toutes les activités de ces filières ; que ce soit l’exploration, l’extraction et toutes les activités qui y sont liées (études sismiques, obtention des permis d’exploration) ainsi que le stockage, le commerce et le transport du brut et des hydrocarbures. Voire elles augmentent leurs concours ! [1]

Tous ces actifs vont très probablement devenir des « actifs échoués » c’est-à-dire des actifs ayant fortement perdu de leur valeur et de leur liquidité. Car le respect de l’Accord de Paris entrainera une baisse importante et continue de l’utilisation des énergies fossiles. Or ce risque est actuellement très largement sous-estimé par les milieux financiers ; la dévalorisation de ces actifs fossiles, si elle n’est pas anticipée et accompagnée, pourrait produire d’importantes turbulences, voire générer une nouvelle crise financière d’ampleur.

Banquiers, superviseurs et grand public ne peuvent plus arguer aujourd’hui qu’ils n’ont pas une connaissance large de toutes les entreprises impliquées dans les énergies fossiles, tant conventionnelles que non conventionnelles – pétrole et gaz de schiste, forages en eaux profondes et en zones arctiques ; elles sont bien connues – et pas seulement des ‘majors’. Ainsi, l’ONG Urgewalg a publié le 4 novembre 2021 la ‘Global Oil and Gas Exit List’ (GOGEL)[2] qui recense plus de 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et qui couvre ainsi plus de 80% du secteur. Cette liste complète la ‘Global Coal Exit List’ (GCEL) [3] qui compte plus de 1000 entreprises du secteur du charbon.

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Les 18 principes énoncés dans le document du Comité de Bâle, ‘Principles for the effective management and supervision of climate-related financial risks‘, sont très généraux et sont plutôt en deçà de ce que l’urgence climatique nécessiterait.

Ces principes en effet ne prennent pas en compte le risque ‘climat’ comme un risque en lui-même et par lui-même mais uniquement au travers des entreprises qui y sont exposées.

Et cela tant pour les risques identifiés aujourd’hui – comme ceux liés aux entreprises des filières des combustibles fossiles, objet de cette consultation – que pour les risques à venir qui ne manqueront pas de se faire jour. Par exemple, sur les entreprises de l’agro-industrie impliquées dans la production animale – non seulement bovine à l’origine aujourd’hui d’une très large part des émissions de CO2 et de méthane mais aussi porcine, ovine, avicole… – et son négoce, avec la diminution voulue et encouragée de la consommation de viande et avec une évolution souhaitée des pratiques intensives d’élevage ; par exemple aussi, les entreprises touchées directement ou indirectement par l’élévation du niveau des océans.

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1) Dans un rapport paru en juin 2021 sur le site de l’Institut Rousseau, « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ? Quand financer la crise climatique peut mener à la crise financière »[4], Gaël Giraud[5] et Christian Nicol[6] préconisaient la création de « fossil banks », structures de défaisance dans lesquelles seraient cantonnés les actifs fossiles des banques et qui conduiraient leur extinction progressive, de façon ordonnée.

Sans attendre la création de ces structures, il est indispensable d’avoir une connaissance précise et exhaustive de l’ensemble de ces financements. Les banques et établissements financiers doivent ainsi déclarer de façon régulière l’ensemble des encours portées par les contreparties œuvrant dans les filières des énergies fossiles – et, demain, dans les filières professionnelles et les zones géographiques identifiées comme présentant un risque climatique.

Cela permettra d’avoir une connaissance précise aux niveaux national et régional de ces financements et de leur évolution et pourra servir de base à la prise, si nécessaire, de mesures correctives.

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2) Les exigences en fonds propres au titre du pilier -1- doivent être fortement augmentées pour toutes les entreprises exposées à des risques financiers en liaison avec le climat.

Un des moyens possibles pour ce faire est d’attribuer à ces entreprises, du seul fait de leur activité dans certaines filières ou certains secteurs, une notation exprimant au minimum des réserves, sans dérogation possible. Et cela, que la notation des contreparties soit fondée sur une approche interne (IRB) ou externe. Ce faisant, ipso facto, les allocations en fonds propres devront être augmentées. En diminuant parallèlement le coussin d’actifs liquides de haute qualité, le ratio de liquidité à court terme des banques sera en conséquence renforcé.

Cette approche, en rupture nette avec ce qui se fait actuellement, rendra les banques plus solides et mieux à même de faire face aux risques que constituent dès aujourd’hui ces actifs ‘fossiles’.

Mais cela aura aussi pour effet d’exclure ces actifs des rachats d’actifs des banques centrales (‘quantitative easing’) et de la liste des collatéraux acceptés lors de leurs opérations de refinancement.

Ces mesures doivent ainsi être mises en œuvre de façon progressive mais, au vu de l’urgence climatique, rapide.

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Pour l’Institut Rousseau, son directeur, Nicolas Dufrêne »

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[1] https://reclaimfinance.org/site/2021/03/24/rapport-les-banques-francaises-plus-grands-financeurs-europeens-des-energies-fossiles-en-2020/

[2] https://gogel.org/sites/default/files/2021-11/urgewald%20GOGEL%202021%20Methodology.pdf

[3] https://reclaimfinance.org/site/wp-content/uploads/2021/10/Media-Briefing_GCEL_ENG_07102021.pdf

[4] https://institut-rousseau.fr/actifs-fossiles-les-nouveaux-subprimes/#_ftnref1

[5] Gaël Giraud est économiste et directeur de recherche au CNRS. Chef économiste à l’Agence Française de Développement (AFD), il est aujourd’hui directeur du Environmental Justice Program à l’Université de Georgetown, Washington DC, dont il est le fondateur.

[6] Christian Nicol est cadre dans une banque et militant écologique.

Le droit international ? Aujourd’hui, il est au plus mal. Il faut qu’il reprenne la première place ! Pour la paix partout dans le monde !!!

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Le droit international ? C’est l’ensemble des règles qui régissent les relations entre les états dans le but de maintenir la paix. Dit autrement, c’est l’ensemble des règles instituées dans le but de gérer tout conflit potentiel par la diplomatie et la négociation. Ou encore, c’est l’ensemble des règles instituées dans le but d’éviter tout recours à la force, à la violence, à la guerre.

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[ Ah oui ! Mettons tout de suite les choses au point. Je condamne de façon absolue et sans aucune réserve l’intervention militaire russe en Ukraine.

Ceci d’autant plus que, comme dans toutes les guerres, les victimes sont les civils et les militaires qu’on envoie se battre ; ceux qui ont déclenché le conflit n’en sont jamais victimes ; « La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas » a écrit Paul Valéry.]

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Il est important que nous comprenions pourquoi les guerres se déclenchent afin que nous puissions éviter que cela se reproduise, pour que l’histoire ne se répète pas encore et encore. D’où l’importance de l’analyse et de la compréhension des faits qui doivent être débarrassés autant se faire que peut, des biais de la ‘propagande’, des ‘propagandes’ d’où qu’elles viennent. Ce travail doit ainsi être mené de la façon la plus neutre, la plus honnête et la plus complète possible.

D’où l’importance aussi que les faits ne soient pas observés et analysés sous le seul prisme des ressorts émotionnels et compassionnels qui le plus souvent, il faut bien l’avouer, ne durent que le temps que cette ‘information’ reste à la une des médias. Cela permet notamment d’éviter que ces faits ne soient vus que de façon manichéenne : le Bien contre le Mal : « la guerre que nous menons est juste, nécessaire et inévitable » ou l’exact inverse selon le camp dans lequel on se positionne. Ne pas adopter cette posture permet aussi d’éviter de donner au récit de toute situation, un début précis ce qui conduit à passer sous silence tout ce qu’il y a avant et à en masquer les causes.

N’oublions surtout pas que, selon l’adage bien connu, la vérité est la première victime de la guerre !

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Le droit international précise qu’un état n’a pas le droit de se faire justice lui-même et d’intervenir militairement dans un autre état si ce n’est sous mandat des Nations Unis.

La Russie a reconnu les deux républiques du Donbass et de Lougansk qui ont fait sécession de l’Ukraine en 2014, à la suite du renversement du président Viktor Ianoukovytch qui menait une politique pro-russe et, selon ses adversaires, anti-démocratique. Ce conflit, malgré sa résolution prévue par les accords de Minsk de 2015, n’a en fait jamais cessé. A l’appel des dirigeants de ces deux entités, entre autres raisons avancées, la Russie a commencé à envahir l’Ukraine. En totale violation du droit international !

En 1999, dans le conflit opposant la République fédérale de Yougoslavie et le Kosovo, l’OTAN intervient au côté des forces luttant pour la sécession du Kosovo. L’OTAN effectue ainsi, pendant deux mois et demi, des centaines de bombardements aériens par jour sur des cibles militaires, industrielles et civiles situées en Serbie. En totale violation du droit international !

En 2014 également, parallèlement à la sécession de deux républiques russophones d’Ukraine, la Russie a envahi la Crimée. Au terme d’un processus électoral contesté, notamment par les nouvelles autorités de Kiev, la Crimée est rattachée à la Russie [1] ; ainsi que Sébastopol, son port et sa base navale. Une grande crainte de Vladimir Poutine et de la Russie était que, l’Ukraine devenant membre de l’Union Européenne et de l’OTAN, la marine russe ne puisse plus accéder à ce port et que celui-ci soit à la disposition des USA. Ici aussi, une totale violation du droit international !

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Totale violation du droit international en 2003 lors de l’invasion de l’Irak par les USA qui ont menti de façon éhontée et répétée pour essayer d’emporter l’adhésion du Conseil de Sécurité de l’ONU. Faut-il d’ailleurs rappeler l’extraordinaire discours de Dominique de Villepin [2] ?

Totale violation du droit international en 2011 quand, en Libye, détournant une décision de l’ONU visant à protéger des populations civiles lors d’une guerre civile, la France et la Grande-Bretagne ont en fait principalement visé la chute d’un régime, certes totalitaire et assassin de son propre peuple.

Totales violations du droit international quand, en 2014 et 2015, une coalition internationale menée par les USA d’un côté, la Russie de l’autre interviennent en Syrie.

Totale violation du droit international quand en 2015, l’Arabie Saoudite à la tête d’une coalition arabe soutenue par les Etats-Unis et la France [3], entre en guerre contre la minorité chiite du pays (soutenue par l’Iran) qui veut faire sécession. Guerre au Yémen qui s’annonce comme une des plus grandes catastrophes humanitaires contemporaines avec pas loin de 400 000 morts [4] dont les trois quarts sont dus aux conséquences indirectes du conflit, telles que le manque d’eau potable, la faim et les maladies. Selon l’ONU, au Yémen, un enfant de moins de cinq ans meurt toutes les neuf minutes !!!!

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Ne peut-on pas aussi parler de violation du droit international quand un pays décide de façon unilatérale et sans passer par les Nations Unis, de sanctions économiques plus ou moins larges, voire d’embargos à l’encontre d’autres pays : Cuba (depuis 1962 !), l’Iran (le principal embargo ayant été mis en place par les Etats-Unis en 1995 ; d’autres ont suivi en 2006 et 2007 sous l’égide des Nations Unis), la Russie en 2014, le Venezuela (par l’administration Trump) en 2019.

Ah, les sanctions économiques ! Elles sont toujours présentées comme une alternative à une guerre militaire. Un ministre français [5] ne vient-il pas d’ailleurs d’avouer que les sanctions économiques constituent de fait une « guerre économique et financière » qui peut être « totale ». Mais, comme dans toutes les guerres, les victimes sont les populations civiles : les sanctions peuvent conduire à un effondrement de l’économie, provoquer des pénuries de produits de première nécessité (alimentation, médicaments…) [6], amener à un délabrement des infrastructures, hypothéquant ainsi l’avenir.

Les sanctions ont aussi leurs limites. Suite à celles prises à son encontre en 2014, la Russie a décrété un embargo des importations de produits agricoles, notamment en provenance de l’Union Européenne (nos agriculteurs en ont bien souffert !). Dans le même temps, elle a fortement accéléré sa production nationale. En 2020, la Russie a exporté des produits agroalimentaires pour des montants qui approchent ceux des exportations de gaz [7] même si ces dernières ont été en baisse en raison du ralentissement de la demande mondiale du fait de la pandémie du Covid19. Aussi, la Russie a développé depuis 2015 son propre système de messagerie (SPFS), un analogue du système de règlement SWIFT. Le SFPS est relié aux systèmes de paiement d’autres pays comme la Chine, L’inde et l’Iran ; mais son efficacité est moindre (doit-on dire ‘encore moindre’).

Et n’est-ce pas une violation du droit international quand un pays se donne le droit de sanctionner, là non pas des pays mais des entreprises d’autres pays si elles n’obéissent pas aux décisions qu’il a prises ? On ne peut que citer ici l’extraterritorialité du droit américain qui couvre de vastes domaines envers les pays contre lesquels les USA ont décidé, en dehors de l’égide des Nations Unis, de sanctions économiques et financières. On n’est certes pas dans une guerre militaire mais dans une guerre économique dans laquelle sont impliqués, contre leur gré, des pays tiers.

Par contre, il ne faut pas cesser de le répéter, les sanctions économiques et financières ont souvent pour effet de renforcer le pouvoir en place dans les pays autoritaires et d’exacerber les sentiments nationalistes.

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Totale violation du droit international, aujourd’hui, en Afghanistan quand des sanctions économiques et financières font le lit d’une catastrophe humanitaire de grande ampleur. Les Nations unies estiment à 23 millions le nombre de personnes, plus de la moitié de la population, qui sont confrontées à la famine et qu’un million d’enfants risquent de mourir [8]… Et le directeur des opérations du CICR s’insurge [9] : « Les sanctions financières ont ruiné l’économie et entravent également l’aide bilatérale ». Les obligations juridiques découlant des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unis freinent, quand elles ne les arrêtent pas, les opérations conduites par les bailleurs de fonds et les organisations humanitaires

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Il faut totalement restaurer le droit international. Il faut impérativement remettre sur le devant de la scène la diplomatie. Celle-ci doit œuvrer, maintenant encore plus qu’avant, pour la paix. Car, la crise que nous connaissons aujourd’hui en Europe en constitue une preuve : quand il n’y a pas de diplomatie, il y a la guerre, il y a le malheur.

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Ne nous leurrons pas. Nous allons connaitre d’autres crises ; des crises diplomatiques (on peut d’ores et déjà en constater à divers endroits sur Terre), des crises militaires, des crises écologiques (migrations climatiques forcées, accès à l’eau, aux produits alimentaires, aux matières premières) …

Seule la diplomatie permettra d’y faire faire et de les résoudre de la façon la meilleure et la plus juste possible. L’analyse des succès et des échecs passés doit alors permettre d’éviter de reproduire les mêmes errements et les mêmes erreurs et de renouveler les bonnes pratiques. La diplomatie, toujours, doit triompher !

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Pour (librement) paraphraser Dominique de Villepin [10], je dirais : « La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont ceux des dirigeants et des décideurs aujourd’hui, doivent les conduire à toujours donner la priorité à la paix ».

Sinon, les conflits armés, les guerres, les désastres humanitaires et écologiques, avec leurs cortèges de victimes innocentes, ne seront que le constat et la sanction de leur échec, de notre échec !

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[1] – Un point ‘anecdotique’ : la Crimée, à l’époque glorieuse de l’URSS sous Nikita Khrouchtchev, a été détachée de la Russie pour être rattachée à l’Ukraine en 1954.

[2] – La vidéo de l’intervention : https://www.youtube.com/watch?v=5WyCMaoVXIo – Le texte du discours : https://clio-texte.clionautes.org/discours-de-villepin-onu-fevrier-2003.html

[3] – L’utilisation par l’Arabie Saoudite d’armes fournies par la France et l’implication de ses services de renseignements sont maintenant bien documentés.

[4] – https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/yemen/yemen-le-conflit-a-fait-377-000morts_4859887.html

[5] – https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/01/nous-allons-provoquer-l-effondrement-de-l-economie-russe-affirme-bruno-le-maire_6115679_823448.html

[6] – L’embargo infligé à l’Irak en 1990 sous l’égide de l’ONU a causé la vie à 500 000 enfants du fait de l’augmentation de la mortalité infantile selon le Fonds des Nations unis pour l’enfance. Mais « le prix en vaut la peine » selon Madeleine Allbright, alors ambassadrice des USA à l’ONU, en 1996 : https://www.monde-diplomatique.fr/2022/03/RICHARD/64416

[7] – https://www.monde-diplomatique.fr/2022/03/RICHARD/64416

[8] – https://www.courrierinternational.com/article/reportage-en-afghanistan-la-catastrophe-humanitaire-est-la

[9] – https://www.icrc.org/fr/document/afghanistan-une-catastrophe-humanitaire-pourtant-evitable

[10] – La citation exacte est : « La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix ».

A la veille de la COP26, il faut rappeler que de nombreux rapports sur l’urgence climatiques sont disponibles

Ces derniers mois, ont été publiés de nombreux rapports, bilans, analyses, études qui documentent le réchauffement climatique et l’urgence à y faire face et qui proposent des changements à mettre en œuvre et des trajectoires à suivre. On ne peut toutefois s’empêcher de penser que nos dirigeants ne se les approprient pas dans les responsabilités qui sont les leurs et même n’en tiennent pas compte, si ce n’est par quelques citations au détour d’un discours.

La COP 26 qui se tient du 31 octobre au 12 novembre 2021 à Glasgow verra-t-elle une évolution des comportements de ses participants ? Les négociations qui s’y tiendront déboucheront-elles sur un rehaussement de l’ambition climatique à un moment où l’urgence est de plus en plus grande ? Les solutions et actions qui y seront arrêtées, seront-elles à la hauteur des enjeux ? Et seront-elles mises en œuvre ?

Voici un petit inventaire, bien succinct et forcément très incomplet, de quelques rapports, études, analyses, enquêtes dont la lecture devrait alimenter la réflexion de nos dirigeants. C’est tout ce que l’on espère !

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A tout seigneur tout honneur ! Il faut commencer par citer le GIEC, le « Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat » auquel 195 gouvernements (sur les 197 actuellement reconnus par l’ONU) participent.

« Le changement climatique se généralise, s’accélère et s’intensifie » : le ‘Résumé à destination des décideurs’ en date du 7 août 2021 est franchement catastrophique (en anglais ici ; en français – traduction non officielle –  ; et là la synthèse faite par ‘The Shifters’). Il en est de même du rapport sur l’état des connaissances sur le changement climatique publié simultanément.

Loin de moi l’idée de faire ici une synthèse ou un résumé de ce document d’une quarantaine de pages que, quant à eux, tous nos dirigeants devraient lire et relire. Juste quelques points, parmi une foultitude d’autres, que je veux mettre en exergue.

Car il y aurait tant à dire sur l’état actuel du climat ou sur les différents scénarios d’évolution future ou sur les impacts prévisibles sur les sociétés humaines et sur les écosystèmes. Juste peut-être que, même en cas de réduction immédiate des émissions de GES, il est plus ‘probable qu’improbable’ (pour reprendre les termes du Résumé) que la barre des +1.5°C sera atteinte voire dépassée d’ici 2040 ; peut-être même d’ici 2025 ; mais que, dans le meilleur des scénarios (SSP1-1.9), elle pourrait redescendre légèrement sous ce seuil d’ici la fin du XXIe siècle. Et que dans le pire des scénarios (SSP5-8.5 – celui du ‘business as usual’ ?), les émissions annuelles de GES tripleraient et la température augmenterait de 4.4°C d’ici la fin de ce siècle (fourchette large des estimations de 3.3 à 5.7°C). Ou que toute augmentation du réchauffement diminue également l’efficacité des puits de carbone naturels (océans, sols, végétation). Ou encore (oh combien est-ce pessimiste !), que quoi que nous fassions, du fait de l’inertie des océans et des glaces terrestres qui est bien plus grande que celle de l’atmosphère, de nombreux changements dus aux émissions de gaz à effet de serre, qu’elles soient passées et futures, sont irréversibles sur plusieurs siècles, en particulier les changements concernant les océans, les calottes glaciaires et le niveau mondial des océans… Il y aurait tant à dire !

Un des résultats majeurs de ce rapport est que la limitation du réchauffement à +1,5°C à horizon 2100 – le but affiché de l‘Accord de Paris, de la COP 21 de 2015 – est impossible sans une réduction majeure et immédiate des émissions de GES, suivie par l’élimination nette de CO2 atmosphérique. En particulier, cela implique d’arriver à la neutralité carbone (les émissions doivent être compensées par des captures de CO2) peu après 2050. Un second est la réaffirmation forte qu’il y a une relation quasi-linéaire entre la quantité cumulée de GES dans l’atmosphère et le réchauffement climatique.

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Les critiques des rapports du GIEC sont nombreuses. Et le plus souvent, les stratégies développées sont dans le droit fil de celles des Majors de l’industrie du tabac qui ont réussi pendant des années à cacher la nocivité et les dangers de la cigarette ; ces stratégies sont maintenant parfaitement bien documentées [1].

On est ainsi face à des ‘manipulations scientifiques’ qui visent à discréditer les travaux de la multitude de scientifiques qui contribuent aux rapports du GIEC ; des ‘manipulations médiatiques’ avec de soi-disant experts qui minimisent les impacts et l’ampleur des phénomènes décrits et de leurs conséquences – quand ils n’accusent par les contributeurs et relecteurs des rapports de ‘manipuler’ les données sur le climat ; des ‘manipulations sociétales’ lorsqu’il est affirmé que le bien-être, si ce n’est le bonheur, des êtres humains est gravement menacé par les luttes menées pour éviter un changement climatique (trop) important ; des ‘manipulations de greenwashing’ quand les industries les plus polluantes et tous leurs lobbys – tant au niveau de l’extraction des énergies fossiles que de leur transformation et de leur utilisation sous ses différentes formes – multiplient les communications censées montrées qu’elles sont des acteurs importants dans la lutte contre le réchauffement climatique [2]

Il est sans doute utile aussi de rappeler que le « Résumé technique » et le « Résumé à l’intention des décideurs » sont approuvés ligne à ligne, voire mot à mot, par les représentants des 195 gouvernements impliqués – qui ont parfois des intérêts très différents – et les experts scientifiques ; ils sont donc l’expression du consensus. En outre, la transparence du processus de sélection des auteurs et des relecteurs, puis des publications scientifiquespermet de garantir un haut niveau de neutralité politique.

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Dans son bulletin annuel paru le 25 octobre (à lire ici), l’Organisation météorologique mondiale fait un constat sans appel : le taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère progresse de façon alarmante. Et cela est vrai tant pour le gaz carbonique – CO2 – que pour le méthane – CH4 – ou l’oxyde nitreux – N2O. A leur rythme actuel, l’augmentation de la concentration de ces gaz dans l’atmosphère conduit à une hausse des températures bien supérieure aux objectifs fixés par l’Accord de Paris.

Dans ce rapport s’expriment aussi de sérieuses inquiétudes quant à l’efficacité future des ‘puits de carbone’ dont la capacité à agir comme un tampon contre une augmentation plus importante de température pourrait se réduire. Et cela est aussi vrai pour les écosystèmes terrestres en raison des conséquences du changement climatique en cours comme la fréquence accrue des sécheresses et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des incendies de forêt que pour les océans avec l’augmentation des températures à la surface de la mer, l’acidification due à l’absorption de CO2 et le ralentissement de la circulation océanique méridienne dû à la fonte accrue de la glace de mer. Les effets du réchauffement climatique amplifient et accélèrent le réchauffement climatique !

Le Secrétaire Général de cette agence de l’ONU lance ainsi un cri d’alarme : « la dernière fois que la Terre a connu une concentration comparable de CO2, c’était il y a 3 à 5 millions d’années, lorsque la température était de 2 à 3 °C plus élevée et que le niveau de la mer était de 10 à 20 mètres plus haut qu’aujourd’hui. Mais il n’y avait pas 7,8 milliards d’habitants à l’époque ».

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Dans son « rapport 2021 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions » publié le 26 octobre 2021 (à voir ici), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) rappelle que les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître, excepté en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19 (- 5,4 %). Il indique que les dernières promesses climatiques pour 2030 mettent le monde sur la voie d’une augmentation de la température d’au moins 2,7°C au cours du siècle.

A la veille de la COP26, les « contributions déterminées au niveau national » (NDC) – ces feuilles de route climatiques avec 2030 pour horizon que chaque Etat élabore lui-même et pour lui-même – qui ont été présentées sont notablement insuffisantes ; d’autres sont même en repli sur celles présentées il y a 6 ans ; et certains Etats n’ont pas présenté leurs engagements de décarbonation de leur société.

A ce jour, selon Climate Action Tracker (CAT), réseau international de climatologues, seule la Gambie a une trajectoire compatible avec le scénario + 1,5 °C d’ici à la fin du siècle

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Il convient de mentionner aussi une initiative assez peu connue : la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes qui se déroule de 2021 à 2030 (présentation à voir ici).

2030 ! Cette date a été choisie encore une fois comme cible pour atteindre les objectifs de développement durable car elle constitue notre dernière chance selon les scientifiques, d’éviter des changements climatiques catastrophiques. Mais cela est-il encore nécessaire de le rappeler ?

Ce n’est pas le premier appel que l’ONU lance dans ce domaine. Il y a déjà eu la proclamation de la Décennie des Nations Unies pour les déserts et la lutte contre la désertification (2010-2020), de la Décennie pour la biodiversité (2011-2020), de la Décennie internationale d’action sur le thème « L’eau pour le développement durable » (2018-2028), de la Décennie pour l’océanologie au service du développement durable (2021-2030) et de la Décennie pour l’agriculture familiale (2019-2028).

Sans doute faut-il rappeler à nos dirigeants tous ces engagements qu’ils ont pris ! Il ne s’agit pas là de rapports édités par des organismes ici et là, certains même étant gouvernementaux. Non ! il s’agit là d’engagements qu’ils ont ratifiés de façon très officielle.

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En mai 2021, l’Agence Internationale de l’Energie a publié, à la demande de la présidence de la COP 26, un rapport ‘Net Zéro by 2050’ (lien ici) sur la trajectoire à adopter pour décarboner le secteur de l’énergie d’ici 2050. Elle y appelait en particulier à ne plus investir dans de nouvelles installations charbonnières, pétrolières et gazières, à un déploiement massif et immédiat de toutes les sources d’énergie propres et à faire de l’investissement dans l’innovation l’une des priorités. Elle y évoquait aussi le recours nécessaire au nucléaire.

Mais elle avertissait que, même si toutes les promesses étaient tenues, cela ne permettra pas de limiter le réchauffement climatique à 1.5 °C ; surtout que nombre des engagements ne se sont pas traduits par des mesures concrètes.

Dans son édition 2021 du ‘World Energy Outlook’ (voir ici), l’Agence Internationale de l’Energie confirme que le développement au rythme actuel des énergies renouvelables (solaire, éolien), des véhicules électriques et des autres technologies bas carbone n’est pas suffisant pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle appelle ainsi à pousser encore plus l’électrification bas carbone des usages.

Le Directeur exécutif de l’AIE avertit ainsi les décideurs que « le secteur de l’énergie doit réaliser une transformation totale d’ici à 2050 ». Et il regrette que « jusqu’ici, beaucoup d’entre eux l’ont mal compris. » Et il appelle à « un signal clair d’ambition et d’action de la part des gouvernements à Glasgow ». Sera-t-il entendu ?

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En France, de nombreux rapports sont publiés dans l’optique de proposer au niveau national des scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et limiter ainsi le réchauffement climatique dans les limites de l’Accord de Paris.

Le 25 octobre, RTE, le gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité, a publié ses scénarios de production et de consommation électrique permettant l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 (lien ici). Il insiste sur le fait que « quel que soit le scénario choisi, il y a urgence à se mobiliser ».

6 scénarios sont ainsi présentés qui, tous conduisent à ce que, en 2050, la neutralité carbone – à savoir l’équilibre entre les émissions de GES et leur absorption par les puits de carbone – soit atteinte et à ce que « nous ne consommerons plus de pétrole ni de gaz fossile ». 3 sont bâtis sur la sortie du nucléaire et un mix à 100% en énergies renouvelables ; 3 le sont sur un mix incluant le nucléaire dans des proportions plus ou moins importantes en 2050.

Le 26 octobre, cela a été le tour de l’association Négawatt de présenter son scénario de transition énergétique pour la France (à voir ici). S’appuyant sur deux grands piliers, la sobriété et l’efficacité énergétique, il vise la neutralité carbone en 2050 sans recourir au nucléaire.

Le rapport couvre des domaines excédant la seule production d’énergie. La transition énergétique doit s’accompagner d’une transition sociétale ; ce qui implique de passer aussi par une transformation de nos modes de production et de consommation. Il s’attache ainsi à suivre les émissions des GES non seulement sur le territoire national mais aussi sur les biens et services importés. Il souligne aussi les impacts positifs sur la santé de cette transition, notamment du fait de la baisse de la pollution de l’air, d’une nette diminution des émissions de particules fines et d’une augmentation de l’activité physique liée à une pratique plus soutenue du vélo et de la marche à pied.

L’ADEME, l’agence de la transition écologique, devrait produire son rapport vers la mi-novembre à l’exception notable du volet électricité, reporté sine die. Est-ce parce que la version de travail qui a fuité offre une vision différente de celle de RTE sur des points sensibles tels que le niveau de consommation et la place du nouveau nucléaire ? Les quatre scénarios examinés par l’ADEME (contre six pour RTE) correspondent en effet à des modèles de société allant du très sobre au très énergivore, avec des niveaux de consommation très contrastés allant de 400 à 800 TWh contre 550 à 770 TWh chez RTE et un minimum chez Négawatt de 540 TWh. Des variations sont également appliquées selon le niveau de flexibilité et d’électrification du système.

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Le Directeur de Négawatt alerte : « Si l’on veut atteindre nos objectifs, ce quinquennat est celui de la dernière chance. On ne peut plus attendre encore et encore. Il faut passer de la politique des petits pas à celle des grandes enjambées. » Tant sur la base des travaux de son association que sur celles d’autres études et analyses (RTE, ADEME, il y en a certainement d’autres), toutes les informations pour élaborer et proposer des orientations politiques argumentées sont disponibles. Les candidats à la Présidentielle doivent impérativement s’emparer de ces problématiques et ne pas les réduire, comme c’est trop souvent encore le cas, à quelques slogans !

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Tous les rapports de transition énergétique tablent de façon plus ou moins importante sur l’efficacité énergétique que l’on peut définir comme étant la diminution de la quantité d’énergie nécessaire pour satisfaire un même besoin.

La sobriété y est nettement moins présente. Elle vise à modérer, à réduire notre consommation d’énergie et de biens matériels par un changement de nos comportements et de nos modes de vie, tant au niveau individuel que collectif. Elle est souvent opposée à ‘l’ébriété’ qui caractérise souvent nos sociétés de surabondance.

Quelques exemples. L’efficacité est de remplacer les lampes à incandescence par des lampes LED ; la sobriété, c’est de ne pas laisser nos appareils en mode veille quand nous ne nous en servons pas ; ou d’éteindre l’éclairage publique à certaines heures la nuit. La sobriété, c’est concevoir les produits pour qu’ils puissent être réparés plutôt que de devoir être remplacés. La sobriété, c’est de s’interroger sur l’utilisation d’une voiture pesant 1200 kg pour faire 5 km pour aller travailler quand un transport collectif est disponible ou que le faire à vélo est possible ; ou sur la nécessité de toutes les fonctions gadget dont nombre de nos produits sont pourvus…

La sobriété a ainsi fait l’objet d’études très abouties qui couvrent tous les aspects de notre vie. On peut citer, parmi certainement plusieurs autres, celle de Négawatt (ici) et celle de l’ADEME () – toutes deux, à mon avis, très intéressantes et instructives bien que différentes.

La sobriété est souvent ignorée de nos politiques dans les actions qu’ils proposent et/ou mettent en place, même s’ils la citent régulièrement, car elle suppose un effort particulier. Il lui préfère l’efficacité énergétique qui repose essentiellement sur de nouvelles solutions technologiques.

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Pour finir, je tiens à indiquer cette étude scientifique (en lien ici) publiée en septembre 2021 et qui a été menée auprès de 10.000 jeunes de 16 à 25 ans dans une dizaine de pays [3].

Sa conclusion est sans appel : « Les personnes interrogées dans tous les pays ont fait part d’un niveau d’inquiétude important, près de 60 % d’entre elles déclarant se sentir « très » ou « extrêmement » inquiets du changement climatique. Plus de 45 % ont déclaré que leurs sentiments à l’égard du changement climatique avaient un impact négatif sur leur vie quotidienne. »

Et leur avenir fait peur à 75% d’entre eux (74% en France) ! Ils sont aussi 56% (48% dans notre pays) à penser que l’humanité est condamnée ! C’est effrayant, n’est-ce pas ? Qu’en disent nos dirigeants ?

Car ces jeunes hommes et ces jeunes femmes sont aussi très critiques envers leurs dirigeants et les réponses qu’ils apportent au changement climatique. Ils sont ainsi 65% à se sentir abandonnés par leur gouvernement (55% en France) et 64% à penser qu’il leur ment sur les résultats des actions entreprises (58% en France). A l’inverse, ils ne sont que 33% (27% en France) à juger que leurs dirigeants les protègent, eux mais aussi la planète et les générations futures, du changement climatique.

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Le temps des annonces politiciennes, des coups de menton se voulant volontaires et des grandiloquents effets de manche doit cesser ! Il devient de plus en plus important que tous les gouvernants, tous les décideurs, en France et dans le monde, prennent conscience de la réalité climatique et s’engagent résolument dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il doit en être de même dans notre pays pour tous les candidats à l’élection présidentielle. Il est encore temps !

Pas pour eux.

Pour leurs enfants et petits-enfants, pour leur avenir, pour leur bien-être futur !!!

Pour l’humanité, pour les générations actuelles et futures, pour le bien-être futur de toutes et à tous sur Terre !!!

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Dans tout voyage, aussi long et difficile soit-il, il y a toujours un premier pas. Dans cette lutte contre le réchauffement climatique, jusqu’à maintenant, nous n’avons fait que piétiner. Il est temps que nos dirigeants fassent, que nous fassions toutes et tous un premier pas ! Un premier pas ferme, résolu, déterminé.

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Une seule planète, une seule humanité, un seul futur !

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29 octobre 2021                                

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[1]  A voir sur ce sujet ce documentaire d’Arte « Tabac, la conspiration – dans les rouages d’une industrie meurtrière« 

[2]  Je ne peux m’empêcher de citer ici l’étude d’Oxfam : « Oxfam décrypte les ressorts du greenwashing de Total« . Cette étude a été réalisé après que le groupe Total ait décidé de changer de son nom en ‘Total Energies’, ait annoncé sa transformation vers une entreprise « multi-énergies » et ait proclamé son engagement dans la transition énergétique. Ce qui n’est que du ‘pur greenwashing’ : la feuille de route sur le climat présentée va en effet à l’encontre des objectifs de l’Accord de Paris mais aussi du dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

[3]  « Young people’s voices on climate anxiety, government betrayal and moral injury : a global phenomenon ». Enquête menée en Australie, au Brésil, aux États-Unis, en Finlande, en France, en Inde, au Nigeria, aux Philippines, au Portugal et au Royaume-Uni.

Thomas Sankara : son discours sur la dette de juillet 1987 est d’une incroyable actualité

Thomas Sankara est une figure quasi-mythique dans son pays, le Burkina Faso – ‘Le Pays des hommes intègres’ comme il l’a rebaptisé lorsqu’il était au pouvoir ; il l’est tout autant dans l’ensemble du continent africain. Thomas Sankara est en effet considéré comme le « Che Guevara Africain ».

Socialiste, anti-impérialiste, démocrate, anticolonialiste ; mais aussi homme idéaliste, intègre, altruiste, rigoureux, plein d’humour. Les qualificatifs pour le nommer sont nombreux. Il a laissé à la postérité de nombreux discours expliquant ses pensées et ses actions lorsqu’il était à la tête du Burkina Faso.

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Le discours qu’il a prononcé pendant le sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine du 29 juillet 1987 à Addis-Abeba est certainement le plus célèbre.

[ Vidéo de ce discours par ce lien ]

[ Texte de ce discours à cette adresse ]

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Thomas Sankara y fait le lien entre le colonialisme et la dette qui, déjà il y a plus de 30 ans, étranglait certains pays africains. Mais surtout, il appelle les membres de l’Organisation de l’Unité Africaine à constituer un front uni pour refuser de la payer.

Il n’y a, bien sûr, aucune relation de cause à effet entre ce discours et son assassinat, intervenu 3 mois plus tard, le 15 octobre 1987. Juste une fâcheuse coïncidence ! Coïncidence qu’il prévoyait peut-être lorsqu’il dit : « si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ».

Certains passages de ce discours sont aujourd’hui d’une incroyable actualité.

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Lorsque Thomas Sankara dit en 1987 que la dette fait « en sorte que chacun d’entre nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser », il aurait tout aussi bien pu le dire il y a 20 ans, il y a 10 ans ; il pourrait tout aussi bien le dire aujourd’hui.

Sont maintenant bien connues les ‘techniques’ mises en place depuis le début des années 1980 par les institutions financières internationales – principalement le FMI et la Banque Mondiale –qui ont conduit de nombreux pays de par le monde à la situation d’endettement très élevé, voire de surendettement, qu’ils connaissent aujourd’hui. Sans pour autant qu’ils ne soient sortis des graves difficultés économiques qui avaient nécessité la mise en place de ces prêts. Ces techniques sont connues sous le terme très ‘savant’ de ‘programmes d’ajustement structurel’.

Programmes d’ajustement structurels généralement extorqués par un chantage du type : « si vous voulez qu’on vous prête, vous devez / vous devez continuer / vous devez encore plus, faire de l’austérité, privatiser, libéraliser, flexibiliser, ouvrir vos frontières… Et donc ouvrir votre pays aux vautours entreprises multinationales qui vont acquérir des pans entiers de votre économie dans le seul but de leur propre enrichissement, sans viser celui de votre peuple et sans tenir aucun compte de ses besoins et de ses intérêts… Bien sûr, il faudra faire en sorte que ces sociétés paient le minimum d’impôts et aient toute latitude pour faire ce qu’elles veulent comme elles le veulent… Et qui dit austérité dit aussi coupes dans les services publics, la santé, l’éducation, les infrastructures… Ah oui ! Le prêt sera libellé en dollars… Oui, on sait, cela va vous obliger à privilégier les exportations au détriment des besoins directs de votre peuple… Mais c’est comme ça ! »

Caricaturale, cette présentation ? Très peu, en fait ; juste peut-être dans la formulation peu ‘diplomatique’. Les dégâts causés par ces programmes sont nombreux et ont amenés de très nombreux pays à demander de nouvelles aides, donc de nouveaux ajustements structurels, donc… Du néolibéralisme pur jus ! Reconnu, il faut le dire pour être totalement honnête, comme inadapté et abandonné par le FMI depuis quelques années – cette appréciation est, par contre, dite de façon fortement diplomatique.

Ces derniers mois, le FMI a décidé d’alléger, sous forme de dons, la dette de 28 pays. Le G20, quant à lui, vient d’annoncer une nouvelle extension pour six mois du moratoire sur les intérêts de la dette vers ces pays ; moratoire sur les intérêts mais on ne touche pas au capital ! Le minimum donc.

Aujourd’hui, les appels à l’annulation sont de plus en plus pressants ; pour des raisons humanitaires immédiates certes mais aussi afin d’aider dans une optique de moyen et long terme ces pays dont beaucoup vont être directement confrontés aux conséquences du réchauffement climatique.

Le non-remboursement de leur dette par les pays les plus pauvres leur permettrait de sortir de la spirale infernale de l’endettement et de s’orienter vers des développements économiques plus tournés vers l’intérieur et non sur les exportations vers les pays développés, qui soient socialement justes et écologiquement durables.

N’est-ce pas ce qui disait Thomas Sankara lorsqu’il disait : « Faisons-en sorte que le marché africain soit le marché des Africains. Produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique. Produisons ce dont nous avons besoin et consommons ce que nous produisons au lieu de l’importer ».

Ou encore : « en évitant de payer, nous pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement ».

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Lorsque Thomas Sankara mentionne « la ruse, la fourberie » de certains bailleurs de fonds, il ne connaissait pas les créanciers de la Grèce – en grande partie français et allemands – mais il parlait déjà d’eux.

Car ce sont bien eux qui, avec l’aide de Goldman Sachs, ont trafiqué la dette du pays, un peu trop lourde pour permettre son entrée dans la zone euro en 2001. Et certains gouvernements, qui avaient fermés les yeux sur ces magouilles, se sont mués en parfaits défenseurs de ces créanciers : « il faut rembourser la dette ». Et la Troïka – Commission Européenne, BCE (qui, à un moment crucial, avait autoritairement suspendu toutes ses aides aux banques grecques, précipitant la ‘chute’ de ce pays) et FMI – a mis en place en 2010, au mépris de la volonté exprimée démocratiquement par le peuple grec, un plan qui n’avait rien à envier aux programmes d’ajustement structurel.

Là encore, laissons la parole à Thomas Sankara ; « maintenant qu’ils perdent au jeu, ils nous exigent le remboursement. Et on parle de crise ! Non, ils ont joué. Ils ont perdu, c’est la règle du jeu. Et la vie continue ». Le problème, c’est qu’en 1987, en 2010, aujourd’hui, la règle du jeu n’est pas respectée.

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Sur ce sujet, on ne peut éviter de parler de l’annulation de la majeure partie de la dette allemande en février 1953, le solde ayant fait l’objet d’aménagements à des conditions exceptionnelles. Certes, l’origine de cette dette, portant sur des périodes précédant et suivant la 2ème Guerre mondiale, est différente. Mais surtout, c’est le contexte qui l’est : nous étions en pleine guerre froide et il était nécessaire que l’économie de l’Allemagne de l’Ouest redémarre.

Dans le cas de la Grèce, les grandes puissances et les institutions financières internationales ont imposées des politiques conformes aux intérêts des créanciers et n’ont donc pas du tout été disposées à annuler des dettes. Il ne fallait surtout pas créer un précédent dont auraient pu se saisir les pays endettés !

Par ailleurs, la question des réparations de guerre réclamées par la Grèce à L’Allemagne n’a jamais été traité. Selon l’estimation grecque faite au moment de cette crise, elles s’élèvent à 279 milliards d’euros. Ce sujet a été vigoureusement écarté par le gouvernement allemand ; sur la base notamment du Traité de 1953 portant sur l’aménagement de la dette allemande.

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« Il y a crise aujourd’hui parce que les masses refusent que les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus. […] Il y a crise parce que face à ces richesses individuelles qu’on peut nommer, les masses populaires refusent de vivre dans les ghettos et les bas quartiers ».

L’accroissement des inégalités, son explosion pourrais-je même dire si on regarde l’accroissement de la précarité et de la pauvreté ces derniers mois, fait totalement écho à cette affirmation. Et il y a tant à dire sur ce sujet.

Hurler plutôt contre la suppression de l’ISF ; le Prélèvement Forfaitaire Unique des dividendes – la ‘flat tax’ qui s’est substitué à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus ; la diminution des prélèvements sur les stock-options ; la suppression de la tranche de la taxe sur les salaires supérieurs à plus de 150 000 €/an appliquée dans les métiers de la finance ; le refus d’introduire de nouvelles tranches supérieures de l’impôt sur les revenus ; le refus d’alourdir la contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus (revenu fiscal de référence supérieure à 250 000 €) ; les mesures élargissant les avantages fiscaux fait ces dernières années sur les placements financiers…

S’époumoner sur la réduction des APL – qui a pénalisé de nombreux jeunes et a augmenté le nombre de pauvres en 2018 par rapport à 2017 d’environ 190 000 personnes ; les ordonnances Pénicaud – détricotage, dans le droit fil des lois François Hollande / Myriam El Khomri, du droit du travail pour ceux qui l’ont oublié – qui a accru la précarité et donc la pauvreté – plus de 9 millions de personnes ‘pauvres’ selon la dernière estimation de l’Insee sur 2019 ; les Plans de Sauvegarde de l’Emploi qui permettent de diminuer les salaires, augmenter le temps de travail, revoir les conditions de travail mais n’imposent aucunement la limitation des dividendes ; le plan de relance du Gouvernement qui fait la part belle aux entreprises, sans contreparties sociales ou environnementales, mais est très chiche pour lutter contre la précarité, la pauvreté, la détresse sociale ; la mise en place de l’assurance chômage, suspendue quelques mois, mais qui entre ne vigueur en plein 3ème confinement et qui va précariser encore plus des dizaines de milliers de personnes déjà précarisées ; etc… ; etc. ; etc…

On n’arrête pas de le dire, de le crier pourtant. A preuve les multiples manifestations et contestations sous toutes leurs formes intervenues ces dernières années – contre les lois Travail sous François Hollande ou Emmanuel Macron ; contre la réforme des retraites ; celles de Gilets Jaunes ; pour la réelle prise en compte de l’urgence climatique ; pour la défense de services publics de qualité dans la santé, l’éducation, la justice, la police, l’aide aux plus démunis ; contre la privatisation d’ADP ; contre les lois liberticides et les violences policières…

Il ne faut pas s’arrêter !

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Lorsque je regarde cette phrase prononcée par Thomas Sankara : « la dette ne peut pas être remboursée parce que, d’abord, si nous ne la payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûr. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mourir », je ne peux pas m’empêcher de penser à la controverse existant actuellement sur l’annulation des dettes détenues par la BCE, en réalité par les Banques Centrales Nationales – la Banque de France en ce qui nous concerne.

On ne peut que s’irriter face à la propagande que mènent les tenants du néolibéralisme pour que des mesures de « maîtrise des dépenses » – nom hypocrite qu’ils donnent à l’austérité – soient mises en place pour rembourser la dette ; toute la dette ; même celle directement liée aux crises sanitaire, économique, écologique, sociale, sociétale que nous connaissons ; sans tenir aucun compte des impératifs environnementaux et climatiques qui sont les nôtres aujourd’hui.

Soyons clair ! Selon ce schéma, nous ne lésons aucun créancier privé en annulant ces dettes ; même si « ils ont perdu ». La Banque de France est détenue à 100% par l’Etat français ; par nous. Sans entrer dans des débats techniques aisément surmontables, on parle donc d’annuler des dettes que nous détenons. « Je me dois à moi-même 100 €. J’annule cette dette ». En définitive, je ne suis ni plus riche, ni plus pauvre.

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Il est difficile de conclure un tel article.

Laissons donc la conclusion, une double conclusion en fait, à Thomas Sankara. Elle montre sa totale et complète actualité :

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« La libération de la femme : une exigence du futur ! » (8 mars 1987 à Ouagadougou à l’occasion de la Journée de la femme).

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Et aussi :

« L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère » (Discours à l’ONU le 4 octobre 1984)

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Les États-Unis ‘mettent le paquet’ dans leurs plans de relance et souhaitent un taux minimum d’imposition des entreprises au niveau mondial

Et pendant ce temps, l’Europe chipote et programme même le retour de l’austérité.

Aux USA, pour relancer la machine à très court terme, pour renforcer l’économie à court et moyen terme, pour aider ceux qui ont le plus souffert de la pandémie du Sars-CoV-2, des moyens colossaux sont mis en œuvre.

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Ainsi, après le Plan Trump de relance de l’économie de près de 1000 milliards de dollars en fin d’année 2020, il y a eu le mois dernier le Plan Biden de relance de l’économie de 1900 milliards de dollars. Soit environ le montant du PIB en 2020 de l’Italie.

Mais ce plan de relance est, pour nombre d’observateurs, autant une réponse à l’urgence de la pandémie qu’un plan ambitieux et massif de lutte contre la pauvreté qui prolifère aux USA depuis des années et que la crise du Covid19 a notablement amplifiée. Ce plan a été voté par les seuls Démocrates. Les Républicains qui aspiraient, dans le cadre d’un consensus bipartisan, à notablement amoindrir certaines des dispositions qui ont été in fine adoptées, s’y sont opposés. Il faut par ailleurs noter que le consensus Démocrates-Républicains est depuis des années fondé sur le fait que, pour lutter contre la pauvreté, il était inefficace de donner directement de l’argent aux plus pauvres et qu’il valait mieux leur accorder des crédits d’impôts.

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Et voici, il y a quelques jours, la présentation d’un Plan d’investissement dans les infrastructures publiques à 2300 milliards de dollars sur 8 ans.

Plan indispensable toutefois pour compenser les manques d’investissements réalisés depuis des décennies. Les dépenses en la matière sont en effet nettement orientées à la baisse depuis les années 1980 ; et l’élection de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis.

Il est surprenant en effet de constater que les Etats-Unis affichent une situation très dégradée dans ce domaine. Dans son rapport 2021, l’American Society of Civil Engineers (ASCE), qui établit régulièrement un état des lieux en la matière, donne à l’ensemble du système américain la note de ‘C-‘ – sur une échelle allant de ‘A’ (très bonne qualité) à ‘F’ (inutilisable). Et sur les 17 secteurs analysés par les ingénieurs américains, 11 ont une note de ‘D+’, ‘D’ ou ‘D-‘. Un mauvais élève !

L’objectif affiché est de remettre le pays à niveau et de dynamiser son potentiel de croissance sur le long terme.

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Et déjà s’annonce un autre plan à 1000 milliards aux objectifs clairement sociaux. Seront ainsi notamment ciblées la santé et l’éducation.

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Et en Europe ?

Le plan de 750 milliards d’euros (900 milliards de dollars environ), accouché dans la douleur l’été dernier, n’est toujours pas mis en place. Une avancée remarquable de ce plan est qu’il repose sur un mécanisme sans précédent de dette commune à tous les Etats membres. Mais seule une partie de l’argent sera versée sous forme de subventions ; près de 50% de ce plan est constitué de prêts aux pays qui en auront besoin !

On est bien loin, pour ne pas dire à des années-lumière, du volontarisme étatsunien. Comme en 2008, l’Europe dépense moins et moins rapidement que les Etats-Unis. Selon les analystes, la relance aux USA (et aussi en Chine selon des mécanismes différents) porte sur des montants cinq à dix fois plus élevés et est bien plus concentrée dans le temps

L’Europe sortira ainsi bien plus lentement et bien moins vigoureusement de la crise actuelle que les 2 super-puissances mondiales ; comme cela a déjà été le cas en 2008 / 2010.

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Pour financer ces milliers de milliards de dollars de dépenses et d’aides, les USA ne se préoccupent plus du tout du niveau de leur endettement ou de leurs déficits. Il faut relancer l’économie alors ‘faisons-le’ !

En France, mais aussi au niveau de la Commission européenne, nos gouvernants annoncent d’ores et déjà le nécessaire retour au respect du sacro-saint ratio ‘déficit sur PIB inférieur à 3%’ et de son jumeau ‘dettes publiques sur PIB inférieur à…’ – selon les traités à 60% mais un consensus semble se dessiner pour 100%. Et donc annoncent sans vraiment oser le dire la mise en œuvre prochaine (dès 2022 a priori) de mesures de rigueur budgétaire et de politiques d’austérité ; ce qui signifie de nouvelles contractions des dépenses publiques – et donc de nouvelles dégradations des services publiques et encore plus de privatisations ; ce qui implique aussi des ‘efforts supplémentaires’ demandés aux classes moyennes et laborieuses – et donc une nouvelle progression des inégalités et un accroissement de la pauvreté.

Et ce qui, surtout, cassera la reprise qui semble s’amorcer.

Il suffit de regarder les conclusions de la commission Arthuis sur la « dette Covid » mise en place fin 2020 par le Gouvernement Macron / Macron / Castex. Son rapport final était très prévisible au vu de sa composition. Il n’utilise certes jamais le terme ‘austérité’ mais préconise une limitation des dépenses publiques dans l’optique de rembourser la dette. Nous savons tous ce que cela veut dire ! Mais nous pouvons être sûr que ce rapport sera mis en avant par les zélotes du néolibéralisme pour « vendre » toutes ces mesures.

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Pour financer en partie ces dépenses, les Etats-Unis veulent entre autres, augmenter les taxes sur les plus riches ainsi que l’impôt sur les sociétés.

Espérons qu’Emmanuel Macron entendra cela et reviendra sur les innombrables cadeaux faits aux plus riches sous le fumeux prétexte que les sommes non prélevées par l’Etat au titre des impôts « ruissellent » ensuite dans l’économie. Cela semble toutefois mal parti ; Bruno Le Maire a émis l’idée de remonter fortement les seuils – déjà bien hauts – à partir desquels les donations sont imposées. Un nouveau cadeau aux plus riches !

Le taux des impôts sur les bénéfices va passer outre-Atlantique de 21 % à 28 %. A côté d’autres mesures pour lutter contre l’optimisation fiscale, une taxation a minima de 15 % a été instituée. En outre, la nouvelle administration démocrate cible par diverses mesures, dans une optique de lutte contre le réchauffement climatique, les industries fossiles.

En France, on fait l’inverse : le taux d’imposition des bénéfices va passer de 26,5 % en 2021 à 25 % en 2022. Et toujours rien n’est fait pour combler les très larges écarts des taux d’imposition effectifs existant entre les TPE et PME et les grandes entreprises d’envergure internationale.

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Mais la Secrétaire au Trésor, Janet Yellen, veut aller plus loin.

La Ministre de l’Economie et des Finances de Joe Biden souhaite que soit instauré un taux minimum mondial d’imposition des bénéfices des entreprises, quels que soient les pays dans lesquels elles sont établies.

Un projet d’accord a été déposé au niveau du G20 et est à l’ordre du jour de la réunion qui commence ce 7 avril. Tous les secteurs d’activité sont concernés ; et notamment les multinationales du numérique dont les impôts qu’elles règlent sont souvent sans réel rapport avec le montant de leurs bénéfices.

Janet Yellen appelle ainsi de ses vœux la fin de la course au moins-disant des impositions des entreprises que se livrent les différents pays au titre de la compétitivité fiscal.

Cela constitue une réelle rupture avec la pensée économique néolibérale / ultralibérale dont le postulat de départ est que la concurrence fiscale et, plus généralement, la réduction des impôts et taxes sont positives car elles obligent les états à réduire leurs dépenses ; avec toutes les conséquences que nous connaissons aujourd’hui ! Ceci étant fondé sur la croyance quasi-mystique que les marchés sont efficients et efficaces et que, s’ils sont ‘libres d’agir’, tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Et cette évolution du crédo néolibéral est d’autant plus importante que les USA proposent aujourd’hui un taux minimum de 21% qui est bien supérieur au taux de 12.5% sur lequel des discussions étaient menées sans réelle conviction à l’OCDE depuis des mois. Il se rapproche aussi des 25% que prônent nombre d’économistes depuis des années.

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J’imagine les sueurs froides qui assaillent les dirigeants des paradis fiscaux.

Et j’ai une ‘pensée émue particulière’ pour les paradis fiscaux situés dans la Zone Euro : l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Chypre, Malte…

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Pour la 5G, nous avons besoin d’un vrai débat et pas d’anathèmes ‘à la mords-moi-le-nœud’.

Quand, enfant, je voulais expliquer le pourquoi d’une action que j’avais faite, il m’arrivait de mettre en avant que mes copains avaient fait la même chose. Ma grand’mère avait alors coutume de dire : « si tu es sur un pont très haut et que tu vois les gens qui marchent devant toi sauter tout à coup dans le vide, tu les suis sans te poser aucune question ? Tu enjambes la balustrade, juste comme ça, parce qu’ils le font ? Ou alors tu fais preuve d’intelligence et tu réfléchis ? Hein ! Tu fais quoi ? »

Adolescent, elle me rappelait l’histoire des moutons de Panurge. Panurge, ce personnage rabelaisien, qui, pour se venger des moqueries d’un marchand voyageant sur le même bateau, lui achète à prix d’or un mouton. Et qui le jette par-dessus bord sitôt qu’il en est propriétaire. Tous les autres moutons, alors, se bousculant et bêlant à qui mieux mieux, se précipitent dans la mer, suivant sans aucune réflexion leur congénère.

Les déclarations de nos décideurs politiques concernant leur refus d’un débat sur le déploiement de la 5G me rappelle immanquablement ma grand’mère et sa sagesse pleine de bon sens.

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Le dernier en date (et pas le moindre) : Emmanuel Macron qui, à côté de sa remarque méprisante et mesquine sur ses détracteurs qui préfèreraient le “modèle Amish” et souhaiteraient un “retour à la lampe à huile”, a dit : « La France va prendre le tournant de la 5G parce que c’est le tournant de l’innovation ». Dit autrement, c’est une innovation donc il faut le faire ! On ne réfléchit pas aux avantages et aux inconvénients apportés par cette innovation, à sa pertinence dans le cadre des grands défis écologiques, économiques, climatiques, sociétaux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, aux risques qu’elle peut faire courir à notre santé, aux dégâts qu’elle peut occasionner directement et indirectement à notre planète… Juste ; on le fait car c’est une innovation.

Et la palme peut-être à Agnès Pannier-Runacher alors qu’elle était Secrétaire d’Etat dans le gouvernement d’Edouard Philippe. Dans le cadre des questions au gouvernement, le 30 juin dernier, elle assenait : « comme la Suède, comme la Finlande, comme l’Allemagne, comme les Etats-Unis, comme la Chine, comme la Corée, comme la Nouvelle-Zélande, oui, nous allons lancer les enchères de la 5G. » Ce qu’on peut traduire par : « nos voisins sautent du pont dans le vide, nous allons faire de même. »

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[ Sur le sujet d’ailleurs, faut-il rappeler l’engagement d’Emmanuel Macron de faire siennes les propositions de la Convention Citoyenne sur le Climat ? L’instauration d’un “moratoire sur la mise en place de la 5G en attendant les résultats de l’évaluation sur la santé et le climat” ne faisait pourtant pas partie des jokers qu’il s’était octroyés. Encore une promesse non tenue ! ]

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Et pourtant les questions à débattre sont nombreuses et chacune d’elles est importante !

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La première à mentionner est sans aucun doute son impact environnemental et climatique. Et là, en fait, on connait la réponse à cette question qui est depuis longtemps très bien documentée et argumentée. La 5G sera une catastrophe écologique et son coût environnemental sera absolument désastreux.

On aura une forte progression de la consommation d’électricité. Les défenseurs de la 5G mettent en avant, il est vrai, que les nouvelles installations seront nettement moins consommatrices que celles utilisées pour les 4 précédentes générations de téléphonie. Mais le nouveau réseau ne va pas se substituer aux précédents ; il va s’y ajouter. En outre, les antennes relais et les stations de base vont structurellement être bien plus nombreuses et devront en plus gérer des trafics de données en forte augmentation. Et cet accroissement de données à traiter et à stocker va nécessiter l’implantation de nouveaux centres de données. On attend ainsi une multiplication par 3 de la consommation énergétique des opérateurs téléphoniques en France.

Et il va falloir fabriquer et produire. Des antennes relais et des stations de base en nombre suffisamment important pour avoir une couverture fine des territoires non seulement en France mais ‘all around the world’ (des centaines de milliers sans doute) ; des milliers de satellites prévus pour assurer une bonne couverture dans les endroits les plus reculés ; des centaines de milliers de serveurs, systèmes de stockage, commutateurs de réseau, routeurs et autres équipements et installations permettant d’agrandir les centres de données et d’en créer de nouveaux ; des milliards de smartphones en remplacement des terminaux mobiles prématurément obsolètes du fait de leur incompatibilité à la 5G ; des dizaines de milliards d’objets connectés les plus divers et les plus variés. Cela va nécessiter des quantités phénoménales de ressources non renouvelables comme les énergies fossiles, l’eau, les minerais (dont les terres rares) avec toutes les conséquences que l’on peut supposer en termes d’émissions de gaz à effet de serre, de pollutions des fleuves et des nappes phréatiques, de destruction des sols.

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On doit aussi prendre en compte les risques sanitaires. La pollution électromagnétique fait partie, selon de nombreux chercheurs, des causes de grandes maladies de la civilisation moderne – le cancer, le diabète, les maladies de cœur. Il a aussi été montré par de nombreuses études qu’elle est à l’origine de dommages à l’ADN, aux cellules et aux organes d’une grande variété de végétaux et d’animaux ; voire d’une augmentation de leur mortalité. Or, cette pollution va être en très forte augmentation.

Et n’oublions pas les phénomènes d’addiction qui existent déjà et qui touchent majoritairement les plus jeunes. On ne peut que craindre qu’ils ne se multiplient et s’amplifient.

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Il faut aussi étudier l’utilité sociale / sociétale de la 5G. On doit en effet se poser la question de savoir dans quelle société nous souhaitons vivre ; c’est une question primordiale ! Car le monde de la 5G est celui des objets connectés comportant le maximum de capteurs permettant de les commander à distance mais qui, aussi, collecteront autant de données que possible. Cet ‘internet des objets’ comme certains le désignent, risque de conduire à un monde entièrement connecté et numérisé et qui serait piloté par des algorithmes, par l’intelligence artificielle.

Cela n’est pas sans soulever la question de la protection des données individuelles. Ces fameuses ‘datas’ que nous donnons volontairement ou qui sont collectées sans que nous n’en ayons aucunement conscience. Ces myriades et myriades d’informations que tous les acteurs de l’économie souhaitent posséder et utiliser pour leur plus grand profit.

La cybersécurité devient dans ce ‘nouveau monde’ une problématique encore plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui en raison du nombre d’objets connectés. A quoi ces objets donneront-il accès ? Comment seront-ils protégés ? Quels sont les risques – qui sont potentiellement plus importants qu’aujourd’hui- s’ils sont hackés ?

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On ne peut passer sous silence la fracture numérique qui ne peut que se dégrader. Les opérateurs de la 5G, pour de simples questions de rentabilité, vont cibler en priorité les zones fortement peuplés. Or, pour paraphraser notre Président de la République, il y a aujourd’hui en France des Amish, des gens qui n’ont pas accès à un réseau de téléphonie mobile ou à Internet (et qui, très certainement, doivent encore s’éclairer avec des lampes à huile). Ce sont tous nos concitoyens et toutes nos concitoyennes qui vivent dans des zones blanches ! Qu’en sera-t-il avec la 5G ?

Et n’oublions surtout pas la proportion non négligeable de françaises et de français qui n’ont aucun outil numérique et/ou qui ne savent pas ou ne savent que très peu s’en servir. La multiplication des usages ne peut que les défavoriser encore plus. Et ceci d’autant plus si, pour continuer à ‘faire des économies sur les services publics’, le nombre des formalités et des démarches obligatoirement faites sur internet continue de croître.

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Et à quels avantages concurrentiels ou quels désavantages concurrentiels – pour reprendre une expression chère au néolibéralisme – s’exposerait la France si elle décidait d’avoir des réseaux 4G et Fibre optique hyper-performants mais de ne pas basculer à la 5G. Je n’ai pas le souvenir d’avoir lu un seul commentaire sérieux sur cette question. J’exclue, bien sûr, les commentaires du style : « il faut que nous le fassions parce que les autres le font ». Cela nécessite pourtant une réflexion importante sous ses différents aspects, tant du point de vue franco-centré que de celui de citoyen de la Terre aujourd’hui et demain.

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Pour finir, je tiens à signaler un sondage réalisé les 26 et 27 août dernier. Quatre chiffres à retenir : 65 % des Français jugent nécessaire un moratoire sur le déploiement de la 5G (donc 65% des françaises et français sont des Amish – je plaisante) ; 85 % des personnes consultées et opposées à la 5G lui préfèrent par exemple la fibre qui, selon elles, devrait plutôt mailler l’ensemble du territoire ; 76 % considèrent que la vitesse obtenue avec la 4G est suffisante ; 82 % des sondés considèrent que toutes les études sanitaires requises doivent être réalisées de manière impartiale avant l’arrivée de la nouvelle technologie en France.

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La question est donc de savoir si on saute du pont parce que les autres le font ou si on veut réfléchir sérieusement à cette problématique.

Oui ! Doit-on nous jeter à la mer comme les autres moutons ou doit-on faire preuve d’intelligence et de raison et étudier sérieusement la question sous tous ses angles ?

Ce qui nous permettra in fine de prendre de façon démocratique, une décision qui sera la nôtre (quelle qu’elle soit), qui sera murement réfléchie et prise sur des bases éclairées et qui ne sera pas juste celle des autres comme on nous le propose – impose – aujourd’hui.

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PS : je rappelle mon précédent billet sur la question datant de juin dernier : « la 5G ; et si, enfin, on en débattait ! ». Certains points traités ici succinctement – trop succinctement j’en suis conscient – y sont développés plus largement.

A lire (ou relire donc) si vous avez quelques minutes ! (  https://laurent-dicale.fr/2020/06/21/la-5g-et-si-enfin-on-en-debattait/ )

Stephen Hawking : « la montée de l’Intelligence Artificielle pourrait être la pire ou la meilleure chose qui soit jamais arrivée à l’humanité ». C’est déjà ce que nous vivons aujourd’hui !

Stephen Hawking pensait que « la montée de l’Intelligence Artificielle pourrait être la pire ou la meilleure chose qui soit jamais arrivée à l’humanité ».

Mais c’est en fait ce que nous vivons déjà aujourd’hui !

Le professeur Stephen Hawking, un des plus célèbres scientifiques contemporains, est surtout connu pour ses travaux sur l’astronomie et plus particulièrement sur les trous noirs et sur l’expansion de l’univers. Les dernières années de sa vie pourtant, il s’est exprimé à plusieurs reprises sur l’Intelligence Artificielle.

L’une de ses premières interventions sur le sujet a été faite en décembre 2014 à la BBC : il exprimait alors ses craintes à ce que « le développement d’une intelligence artificielle ‘complète’ puisse mettre fin à l’humanité… [Qu’] une fois que les hommes auraient développé l’intelligence artificielle, celle-ci décollerait seule, et se redéfinirait de plus en plus vite… [Que] les humains, limités par une lente évolution biologique, ne pourraient pas rivaliser et seraient dépassés ».

Cette déclaration avait eu un retentissement d’autant plus important que quelques mois plus tard il signait, à côté de plus d’un millier de personnes dont une majorité de chercheurs en IA et en robotique, un appel pour faire interdire les armes létales autonomes ; à savoir les robots tueurs, les armes capables de sélectionner et d’attaquer des cibles, quelles qu’elles soient – y compris donc humaines – de façon autonome, sans l’intervention d’aucun être humain. Parmi les autres signataires, on trouve notamment le dirigeant de Tesla, Elon Musk, le cofondateur d’Apple, Steve Wozniak et le fondateur de DeepMind, entreprise travaillant sur l’intelligence artificielle qui a été rachetée par Google, Demis Hassabis.

A côté des problèmes éthiques et juridiques que le développement de cette technologie suscite, les signataires posaient « la question clé de l’humanité, aujourd’hui, [qui] est de savoir s’il faut démarrer une course à l’armement doté d’IA ou l’empêcher de commencer ». Ils pointaient aussi les risques de dissémination de ces armes « dans les mains de terroristes, de dictateurs souhaitant contrôler davantage leur population et de seigneurs de guerre souhaitant perpétrer un nettoyage ethnique ».

Mais Stephen Hawking reconnaissait dans le même temps que les formes ‘primitives’ d’intelligence artificielle développées jusqu’à présent se sont déjà révélées très utiles. Il n’a ainsi pas hésité à déclarer en octobre 2016 que « l’IA pourrait être le plus important événement de l’histoire de notre civilisation ». Il indiquait notamment « qu’avec les outils de cette nouvelle révolution technologique, nous serons capables de défaire certains dégâts sur la nature de la précédente – l’industrialisation. Et nous pouvons espérer éradiquer enfin la maladie et la pauvreté ». En effet, l’IA rend notre vie plus aisée, plus facile, plus confortable ; nous en connaissons tous de multiples exemples.

Mais les inconvénients que constitue l’Intelligence Artificielle, même aujourd’hui où elle n’a pas atteint le niveau de complétude craint par Stephen Hawking, sont multiples.

Un des inconvénients qui vient rapidement à l’esprit est le remplacement de l’homme – et donc la progression du chômage. Et pas seulement pour des tâches mécaniques et répétitives mais pour des travaux parfois très complexes. Jusqu’à maintenant, il est toutefois admis que, globalement, le développement de l’utilisation de l’IA a créé plus d’emplois qu’il n’en a détruit.

Le premier exemple qui me vient à l’esprit est le répondeur automatique de notre fournisseur d’énergie ou d’accès à Internet ou de notre e-commerçant favori – et parfois honni – ou … ; nous avons tous été en contact à de nombreuses reprises avec ces ‘agents conversationnels’, ces ‘chatbot’. On peut aussi citer comme exemple les Transactions à haute fréquence – High Frequency Trading – réalisées sur les marchés boursiers par des algorithmes informatiques sans intervention humaine. Mentionnons également les avocats et l’arrivée dans leur métier de nouveaux acteurs tels que les LegalTech qui, certes, peuvent faciliter leur travail mais qui proposent aussi des offres de services juridiques en ligne, sans que l’un de ces professionnels du droit n’intervienne en chair et en os. Si on se projette dans le futur (proche ?), le développement des Camions Autonomes pourrait mettre au chômage une partie plus ou moins importante de toute une profession. La liste est longue !!!

Mais l’Intelligence Artificielle est aussi à la base de la reconnaissance faciale. Avec tous les problèmes que cela induit !

Amazone a annoncé ces derniers jours, interdire à la police pendant un an l’utilisation de son logiciel de reconnaissance faciale. Cette technologie utilisée aux USA depuis des années l’était en l’absence de tout cadre légal fédéral.

Mais ce qui a principalement motivé ce retrait, dans le contexte tendu suivant la mort de Georges Floyd, c’est le taux d’erreur important – à savoir le rapport entre les personnes identifiées comme criminelles du fait de leur ressemblance avec des photos présentes dans la base de données mais qui se sont révélées être totalement ‘innocentes’. Ce taux est tout sauf négligeable et selon les communications faites par des services de police aux USA mais aussi en Grande-Bretagne, il dépasse les 80% et peut atteindre 96% comme l’a reconnu il y a quelques jours le chef de la police de Détroit ! Il faut préciser en outre que la fiabilité de ces systèmes de reconnaissance faciale est moindre quand il s’agit de personnes non blanches.

Son utilisation potentielle pour cibler les minorités et pour envahir la vie privée est aussi mis en avant par Amazone. D’autres géants des hautes technologies de l’information et de la communication dont Google, Microsoft et IBM, se positionnent eux-aussi sur la même ligne.

Les possibilités de la reconnaissance faciale sont immenses. Elle peut être utilisée pour surveiller l’entrée de certains lieux. De nouvelles formes de paiement par reconnaissance faciale ont fait leur apparition il y a maintenant deux ans. Le système est déjà utilisé dans certains magasins pour détecter les émotions des clients et prévoir – et orienter – leurs comportements d’achat. On peut / pourra repérer certaines maladies sur le visage. On peut / pourra lire sur les lèvres. On peut / pourra détecter des « comportements suspects ». Etc., etc., etc…

Mais tous les gouvernements ne font pas preuve de la même retenue que les Etats-Unis. En Chine en particulier où on estime à plus de 200 millions le nombre de caméras en service, la reconnaissance faciale est présente dans le quotidien de chaque citoyenne et de chaque citoyen. Et elle peut se révéler très intrusive ; même quand elle n’est pas utilisée comme un instrument de surveillance et de répression. Il est inutile de rappeler l’usage qui en est fait au Xinjiang contre la population Ouïghour ou à Hong-Kong contre les manifestants. Faut-il aussi rappeler le Crédit social ? Ce système vise à surveiller, évaluer, réglementer, sanctionner le comportement social, moral, financier et éventuellement, politique des citoyens chinois ; il repose pour une part significative sur la reconnaissance faciale.

Et en France ? On assiste à la mise en place de dispositifs de reconnaissance faciale à travers tout notre pays ! Plusieurs projets ont émergé à Nice, à Toulouse, à Valenciennes, à Metz. A Marseille et à Nice, la CNIL a rejeté deux projets de portique virtuel de contrôle d’accès dans des lycées tout comme à Saint-Etienne, elle n’a pas autorisé le projet de surveillance de certains quartiers. A Paris, la région Ile-de-France souhaite utiliser la reconnaissance faciale dans les transports en commun pour lutter, officiellement, « contre la menace terroriste ». Par ailleurs, des systèmes de reconnaissance faciale sont utilisés par des entreprises à des fins privées.

Ces utilisations de la reconnaissance faciale – dont, rappelons-le, la fiabilité est régulièrement remise en question – se déroulent dans un cadre juridique notoirement insuffisant pour protéger nos libertés individuelles et collectives, privées et publiques, de ces dispositifs de surveillance de masse.

En outre, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) interdit « l’’utilisation de la reconnaissance faciale sans le consentement des personnes qui y sont soumises ». Ce qui veut dire, me semble-t-il, que seuls les individus qui ont donné leur accord peuvent être identifiés par ces systèmes. Mais quid de l’utilisation que prônent certains, du fichier des Titres électroniques sécurisés qui concentre les données personnelles et biométriques de toutes les françaises et tous les français possesseurs d’une carte nationale d’identité ou d’un passeport ? Quid aussi de celle du fichier de traitement d’antécédents judiciaires qui regroupe plusieurs millions de français ? Ceux-ci n’ont pas forcément été condamnés mais il suffit pour y être inscrit qu’un agent de police judiciaire les suspecte d’être les auteurs ou les complices d’un crime ou d’un délit.

Le gouvernement français envisage par ailleurs de lancer, à l’instar de la ville de Londres il y a quelques années, une expérimentation de la reconnaissance faciale dans les lieux publics pour une durée de six mois à un an.

Il faudra que nous soyons tous très attentif à cette expérimentation, surtout dans sa dimension sécuritaire, et à l’évolution du cadre légal qui devrait la suivre.

En fait, je crains que, in fine, nous ne devions clamer haut et fort notre total refus de la société de surveillance que d’aucuns souhaitent nous imposer sous des motifs tous plus nobles et plus généreux les uns que les autres !

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PS : pour finir cet article sur une note un peu plus gaie, une citation empreinte de l’humour dont Stephen Hawking savait faire preuve : « la meilleure preuve que nous ayons que le voyage dans le temps n’est pas possible et ne le sera jamais, c’est que nous n’avons pas été envahis par des hordes de touristes venus du futur ».

A moins que la reconnaissance faciale n’ait pas fonctionné !

La 5G : et si, enfin, on en débattait !

En catimini mais à marche forcée, à l’échelle mondiale, les gouvernements sont en train d’installer la 5ème génération de téléphonie mobile. Ceci en appui aux grandes entreprises technologiques.

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Généralement, quand on est face à un choix individuel ou collectif, il est nécessaire d’en évaluer les aspects positifs et les aspects négatifs, ce qu’on va gagner et ce qu’on va perdre, quels en sont les avantages et les risques, ce que cela va rapporter et les coûts que cela va engendrer…

Or la montée en puissance de cette nouvelle technologie se fait sans qu’aucun débat public d’aucune sorte n’ait lieu, sans qu’aucune évaluation sociale et sociétale mais aussi environnementale et sanitaire ne soit menée, sans que des discussions sur le modèle de développement à moyen et long terme que nous souhaitons ne soient tenues, sans que les alertes lancées sur ses multiples conséquences ne soient un tant soit peu écoutées… Cette mise en place se fait comme si les seuls à avoir voix au chapitre sont ses partisans et ses laudateurs. Généralement, ceux-ci représentent des intérêts privés – tendance néolibérale – dont l’objectif, le plus souvent (pour ne pas dire quasiment toujours), est uniquement à court terme et pour qui le futur de la Terre n’est aucunement une priorité. Et l’un de leur principal argument est : « les autres le font ».

En France, en pleine trêve des confiseurs (le 30 décembre 2019 pour être précis), le gouvernement a publié l’arrêté fixant les conditions de mise aux enchères des fréquences de la 5G. Initialement fixées au 21 avril et reportées en raison de la crise due à la Covid 19, les enchères se tiendront entre le 20 et le 30 septembre 2020.

Car il faut savoir que le déploiement de la 5G par les 4 opérateurs a déjà commencé dans notre pays. Des expérimentations sont même menées sur certains sites pilotes. Selon l’Autorité de régulation des communications électronique et des Postes – ARCEP – qui pilote le projet, les opérateurs pourraient lancer de premières offres commerciales 5G dans cinq à dix villes dès 2021 et les utilisateurs dans les zones urbaines et économiques (soit environ les deux tiers de la population) pourront disposer de la 5G pleine et entière en 2025. L’objectif est d’avoir un réseau 100% 5G d’ici à 2030.

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Cette technologie aura probablement des aspects positifs.

Nous aurons autour de nous de plus en plus de « choses intelligentes » avec qui nous serons constamment en relation : des maisons, des villes, des voitures (qui seront aussi autonomes), des routes et autoroutes, des usines, des robots, des appareils électroménagers, de multiples objets du quotidien. Tous contiendront des capteurs, détecteurs et autres micro-puces et tous seront connectés à Internet.

Et la 5G devant offrir des débits beaucoup plus élevés que la 4G, les milliards et les milliards et les milliards de données que cela nécessitera circuleront sans problème aucun.

Idéalement (et, c’est vrai, un peu caricaturalement), quand l’avant-dernier rouleau de papier hygiénique arrivera sur sa fin, son capteur commandera l’inscription de cet achat sur la liste des commissions. Et lorsqu’on passera à proximité du magasin ad hoc, notre voiture (autonome) fera un détour et s’arrêtera le temps qu’un drone vienne mettre dans le coffre un paquet de rouleaux. Arrivé chez nous, le robot domestique viendra prendre le paquet et positionnera les rouleaux aux endroits stratégiques. Un monde rêvé, quoi !

Plus sérieusement, des usages dans le domaine de la santé / la médecine ou dans celui de la connaissance de notre Terre et de ses mécanismes vont indéniablement aider l’humanité. Mais il faut que nous puissions choisir !

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Les aspects négatifs de cette technologie sont nombreux et de plus en plus documentés.

Le premier d’entre eux portent sur les conséquences sur notre santé et sur notre environnement.

Je veux me faire l’écho ici de l’appel lancé le 21 avril 2020 par des centaines et des centaines de médecins, de scientifiques et de membres d’organisations environnementales de 168 pays à destination de l’ONU, de l’OMS, de l’Union européenne et des gouvernements de tous les pays. Cet appel fait suite aux milliers d’études et de travaux menés et publiés depuis des années et qui se recoupent.

Les signataires mettent en avant la forte augmentation de l’exposition aux rayonnements de radiofréquence, tant par les antennes ‘terrestres’ que par un réseau d’environ 20.000 de satellites envoyant des faisceaux focalisés de rayonnement hyperfréquence intense au-dessus de toute la Terre. Ces rayonnements ne se substitueront pas à ceux induits par les réseaux de télécommunications 2G, 3G et 4G mais s’y ajouteront. Or la pollution électromagnétique est en partie la cause de grandes maladies de la civilisation moderne – le cancer, le diabète, les maladies de cœur. Elle est aussi à l’origine de dommages à l’ADN, aux cellules et aux organes d’une grande variété de végétaux et d’animaux.

Et vu la densité et la couverture espérées par les entreprises technologiques pour la 5G, pas un humain, pas un mammifère, pas un oiseau, pas un insecte et pas un brin d’herbe sur Terre ne pourra se soustraire à une exposition 24 heures sur 24 et 365 jours par an, au rayonnement de radiofréquence dont les niveaux pourraient être des dizaines, voire des centaines de fois supérieurs à ceux qu’on connait aujourd’hui.

En France, une analyse a été faite sur l’installation d’antennes relais par Orange à Marseille : la puissance des antennes 5G installées à ce jour émettent à elles-seules des rayonnements électromagnétiques deux fois plus forts que la somme des antennes relais des technologies 2, 3 et 4G réunies. Mais pour faire face au débit considérable d’informations, il sera nécessaire d’augmenter les puissances d’émission et d’installer des antennes supplémentaires ; et donc d’augmenter les rayonnements.

On ne peut pas, en outre, ne pas mentionner les problèmes d’addiction qui existent déjà et qui ne peuvent que se multiplier et s’amplifier. Ceci d’autant plus qu’ils touchent majoritairement les plus jeunes et les affectent tant psychologiquement et émotionnellement que physiquement, parfois de façon irréversible.

Un autre effet négatif de la 5G est son impact énergétique sur les opérateurs. Que ce soit au niveau des antennes, des stations de base et des équipements réseau mais aussi des centres de données, ceux-ci sont de très gros consommateurs d’électricité dont une part significative provient, il ne faut pas l’oublier, des énergies fossiles.

Juste trois chiffres pour se faire une idée de cet impact : au niveau mondial, la consommation totale d’énergie des centres de données est estimée à 2% de la consommation mondiale ; en France, Orange représente 0.5% de la consommation électrique nationale ; 70% de l’électricité consommée par les opérateurs l’est par les antennes mobiles.

Malgré les dénégations des opérateurs qui pointent la meilleure performance de leurs installations et équipements, il est attendu une multiplication par 3 de leur consommation énergétique en quelques années. Cela sera dû au déploiement d’un nouveau réseau d’antennes qui, étant de moindre portée, seront nécessairement bien plus nombreuses et sensiblement plus sollicitées pour obtenir une même couverture ainsi que par un développement important des centres de données appelés à traiter un nombre d’informations en hausse exponentielle.

En France, cela va représenter une augmentation de 2% de la consommation énergétique.

Les conséquences environnementales seront colossales. Pour pouvoir mettre en place cette nouvelle technologie, il va falloir fabriquer et produire.

Fabriquer et produire des antennes relais et des stations de base ; en France, les prévisions tablent sur 3000 sites en 2022, 8000 en 2024, 10 500 en 2025 où ne doivent être couvertes que les zones à forte densité de population. Combien en 2030 pour équiper la France entière ? Et combien pour couvrir toute la Terre comme le veulent nos sociétés de haute technologie et de télécommunication ?

Fabriquer, produire et lancer les 20.000 satellites (voire deux fois plus selon certaines sources) pour pouvoir assurer une bonne couverture même dans les endroits les plus reculés.

Fabriquer et produire des centaines de milliers de serveurs, systèmes de stockage, commutateurs de réseau, routeurs et autres équipements et installations permettant d’agrandir les centres de données et d’en créer de nouveaux. 

Fabriquer et produire des milliards de smartphones en remplacement des terminaux mobiles prématurément obsolètes du fait de leur incompatibilité à la 5G. Et il faut savoir que 80% de la dépense énergétique d’un smartphone se produit au moment de sa fabrication.

Fabriquer et produire des dizaines ou des centaines de milliards d’objets connectés de tous types et de toutes sortes car les gens vont être incités à s’équiper encore et toujours plus avec la 5G.

Ces fabrications et productions vont contribuer à épuiser les ressources non renouvelables comme les énergies fossiles, l’eau et les minerais (et notamment les métaux rares qui sont indispensables et, à ce jour, ne sont pas recyclables) ; à polluer les rivières et les fleuves tout comme les nappes phréatiques et à détruire les sols dans le cadre des processus d’extraction et de fabrication ; à accroitre la pauvreté et la désagrégation sociale dans certains pays extracteurs ou producteurs. Elles vont aussi, bien sûr, produire des émissions de gaz à effet de serre et donc, aggraver le réchauffement climatique.

Sans parler, bien évidemment, du nombre phénoménal d’équipements devenus des déchets qui, très souvent, sont peu, voire pas recyclables.

Les problématiques de fracture numérique vont être considérablement augmentés. Déjà que, tant au niveau mondial que national, la situation est préoccupante.

Dans son dernier Rapport sur le développement humain (décembre 2019), le Programme des Nations Unis pour le Développement (P.N.U.D.) analyse et quantifie, entre autres inégalités, la fracture numérique déjà existante. Dans les pays à développement humain faible (très très schématiquement, les pays les moins avancés), il y a 67 abonnements de téléphonie mobile pour 100 habitants contre 131.6 dans les pays à développement humain très élevé. La fracture est encore plus impressionnante encore concernant le très haut débit : le nombre d’accès pour 100 habitants est de 0.8 dans les pays où l’Indice de Développement Humain (I.D.H.) est faible contre 28.3 dans ceux où il est très élevé.

En France, la fracture numérique est bien plus importante que ce que le discours dominant et médiatique ne le laisse entendre. Ainsi, 18% des adultes n’utilisent jamais d’outils numériques ou se retrouvent bloqués en cas de difficulté ; dit autrement, cela veut dire que quasiment un adulte sur cinq n’a pas accès ou ne sait pas utiliser un ordinateur ou un smartphone ; et donc ne se servent pas d’internet. Près des 2/3 des personnes sans diplôme ne disposent pas d’un smartphone ; le taux de connexion à Internet de cette population est de 54% – tout juste un peu plus que la moitié – et est de 40 points inférieurs à celui des diplômés du supérieur. Tous s’accordent à reconnaitre que dans notre pays, les facteurs de discrimination sont multiples (géographiques, financiers, générationnels, éducatifs…) et souvent, se superposent.

L’inquiétude sur la juste distribution des gains de ce changement technologique est d’autant plus prégnante qu’il est craint que l’automatisation et l’intelligence artificielle finissent par supplanter l’être humain pour certaines tâches. Mais il est vrai qu’elles peuvent susciter une demande de main-d’œuvre. Encore faut-il que ce soit en créant de nouvelles tâches et que cela ne soit pas ‘que’ des emplois dans des entrepôts, des centres de données, des services de modération des contenus, des ateliers d’électronique, des mines de lithium et autres métaux et terres rares…

La question de la protection des données personnelles va se poser de façon encore plus aigüe qu’actuellement. Tous les acteurs de l’économie, de vraiment tous les secteurs, recherchent aujourd’hui des données, les fameuses datas ; pour les utiliser ! Que ce soient celles que nous donnons volontairement via les questionnaires traditionnels auxquels nous nous soumettons de bon gré ou celles qui sont collectées à notre insu et qui renseignent de façon très précise sur nos déplacements, nos habitudes, notre santé, notre comportement, nos centres d’intérêt, nos actes privés… Et comme il y aura encore plus de données collectées…

Le débat sur la protection des données qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, doit avoir lieu en parallèle avec celui sur la 5G !!! Car l’exploitation du big data peut donner lieu au meilleur mais aussi au pire, aussi bien du point de vue individuel que collectif.

Que diriez-vous si, demain, votre assureur ou votre mutuelle vous disait : « vous avez pris 10 kilos, vous ne faites pas assez de sport et vous mangez trop gras, j’augmente votre prime d’assurance. ». Ou s’il vous annonçait : « vous allez tous les 15 jours dans un centre anticancer. Je résilie votre contrat. »

Voyez aussi les dérives sécuritaires et anti-démocratiques – pour ne pas dire dictatoriales – au Xinjiang en Chine ou les problèmes liés à la reconnaissance faciale aux Etats-Unis (où plusieurs villes ont interdit son utilisation par les forces de police).

La cybersécurité est de même une problématique importante. L’augmentation du nombre de logiciels utilisés (chaque usage aura ses logiciels dédiés et dérivés) et du nombre d’objets connectés à Internet (des dizaines de milliards) vont multiplier de façon très importante les points par lesquels les hackers pourront s’introduire dans les systèmes, les compromettre, les mettre à mal, les détruire ; voire les utiliser à leur profit – et au détriment des autres. 

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Tout le monde s’accorde pour dire que le déploiement de la 5G va induire, en quelques brèves années, des changements sociaux / sociétaux, sanitaires, environnementaux d’une importance et d’une ampleur extraordinaires.

Il ne faut pas laisser quelques-uns, mus uniquement par des motifs économiques et financiers égocentrés et à court terme, décider pour 7.8 milliards d’êtres humains !

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