Qu’est-ce qu’une amende dissuasive ? Quelques jongleries autour des sommes de 135 € et 1500 €

« Il y aura des contrôles. […] Il y aura des amendes […] de 135 euros qui est celle qui prévaut aujourd’hui pour les masques ou pour les restrictions qui sont déjà observées. […]. En cas de récidive, ce sera 1500 euros. […] Cela doit être dissuasif ! »

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Voilà ! L’amende sera de 135 € ; certains au Gouvernement pensent d’ailleurs qu’elle n’est pas assez élevée et qu’il faudra « la renforcer ». Et en cas de récidive, cela sera 1500 €.

1500 € car il faut que cela soit ‘dis-su-a-sif’ comme l’a martelé Emmanuel Macron. Mais qu’est-ce une amende dissuasive ?

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Je suis prêt à parier que, comme certains d’entre eux ont eu des amendes pour non-respect du confinement, des SDF vont être condamnés à payer 135 € pour non-respect du couvre-feu. Je crains en effet que certains membres des forces de l’ordre, salissant plus qu’honorant leur uniforme et leur fonction, vont abuser de leur pouvoir pour mettre des amendes à ces personnes déjà dans la plus grande misère. Mais, de toute façon, au point où ils en sont, 135 € ou 1500 €, ils s’en moquent !

Le montant forfaitaire du RSA est de 564 € ; ce n’est pas énorme ! Montant d’ailleurs que le gouvernement vient de refuser d’augmenter. A noter également que cela correspond à peu de choses près au revenu moyen des auto-entrepreneurs. Mais, bref ! Une amende de 1500 €, c’est donc presque trois mois de revenus. On ne peut pas nier que c’est très dissuasif ! Mais on peut s’attendre à ce qu’ils ne la payent pas ; ce qui est on ne peut plus normal.

Le Gouvernement a annoncé le versement d’une aide exceptionnelle de solidarité de 150 € à tous les bénéficiaires du RSA. Attention donc à l’établissement des ausweis attestations quand ces personnes devront sortir « dans un cas de bon sens » pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron ! Car une attestation mal remplie, c’est quasiment toute cette prime qui y passe.

L’amende sera aussi dissuasive pour une personne payée au SMIC (1219 €) : un mois de salaire ! Ces salariés dont un certain nombre travaille de nuit ou en horaires décalés, devront aussi prêter la plus grande attention à la façon dont ils remplissent leur attestation. On a vu lors du confinement toutes les interprétations que certains policiers et gendarmes étaient capables de faire pour pouvoir coller une amende.

Le dernier salaire médian net en France connu est celui de 2016 (pour rappel, 50% des salariés gagnent plus et 50% des salariés gagnent moins) : il s’établissait alors à 1789 €. 1500 € soit quasiment un mois de salaire constitue, c’est indéniable, un montant dissuasif pour la moitié de nos concitoyens !

Peut-on dire qu’une amende correspondant à la moitié d’un mois de revenus (tous les revenus) soit dissuasive ? Je pense que oui ; c’est même absolument énorme. Cela correspond à 3000 € de revenus par mois !

Eh bien, seuls 17% des salariés touchent plus de 3000 € par mois. Dit autrement, pour 83 % des salariés – qui n’ont pas ou très peu de revenus du capital ou de revenus immobiliers, une amende de 1500 € représente plus d’un demi-mois de salaire !!!

Et je ne parle pas de l’agriculture où le revenu courant avant impôts (RCAI) par actif non salarié des exploitations tournait en 2018 autour de 2500 euros par mois (avant cotisations sociales – sachant que 15 à 20% selon les années des agriculteurs ont des revenus nuls ou déficitaires). Amies agricultrices et amis agriculteurs, évitez d’aller au restaurant ou chez des amis en ville ! Ou alors, mettez quelques cageots dans le coffre et dites que vous êtes allés livrer des produits de votre exploitation.

Dans le commerce et l’artisanat qui sont très très très touchés par la crise actuelle, les revenus sont très contrastés et il est peu pertinent de vouloir donner un montant moyen. Certaines professions gagnent très bien leur vie mais d’autres, beaucoup d’autres, tirent le diable par la queue !

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Mais allons maintenant de l’autre côté. Du côté des 1%.

D’après une étude de l’INSEE datant de 2018 mais qui porte toutefois sur les revenus et le patrimoine des ménages en 2015, au‑dessus de 106 210 euros de revenu initial par unité de consommation (UC), une personne se situe parmi les 1 % de la population ayant les revenus les plus élevés.

Cela correspond à un revenu mensuel de 8 850 euros pour une personne seule et de 18 590 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans. Payer 1500 € ? Cela correspond à 17% du revenu mensuel ; c’est, je pense, supportable.

Pour bien appréhender la répartition des revenus en France, il faut aussi voir que 9 % des personnes ont des revenus initiaux par unité de consommation compris entre 45 220 € et 106 210 €. Et que 90 % ont un revenu initial par UC inférieur à 45 220 euros. Ce qui correspond à un revenu perçu avant toute imposition directe (impôts sur le revenu, taxe d’habitation, CSG et CRDS) et perception des prestations sociales mais nets de cotisations sociales de 3768 € ; en gros, 3 fois le SMIC.

Mais affinons.

Les 0,01 % de personnes ayant les revenus les plus élevés perçoivent plus de 699 230 euros par an. Et les revenus des 0.09% suivants sont compris entre 259 920 € et 699 230 €.

Pour les premières, 1500 € ne se compare même pas à un jour de revenu : 0.8 jour pour les plus ‘pauvres’ d’entre elles pour être précis. Pour les secondes, cela se situe entre 0.8 et 2 jours de revenu. C’est cela qu’Emmanuel Macron juge dissuasif ?

Et ces inégalités se sont aggravées depuis 2015. Le second rapport (datant tout juste d’il y a quelques jours) du Comité d’évaluation mis en place à l’occasion de la suppression de l’ISF et de l’instauration d’une ‘flat tax’ sur les revenus du capital qui s’est substituée à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus, vient de sortir. Il dépeint avec précision le profil des bénéficiaires de ces réformes : ce sont les plus riches, les 1%, et même plutôt les 0.1% ! Car selon les dernières statistiques, les 0.1% les plus riches d’aujourd’hui sont un quart de fois plus riches que les 0.1% de 2017.

Ce que l’on sait aussi, c’est que la suppression partielle de l’ISF a permis aux personnes concernées de voir leur imposition baisser, en moyenne, de 10 000 euros. En moyenne ! Presque 7 fois une amende à 1500 € ! Avec un gain de 1,2 million pour les 100 plus gros contribuables ; il vaut mieux ne pas calculer !

Je dois préciser aussi, même si c’est un autre sujet, que ce rapport montre que les promesses faites par Emmanuel Macron – à savoir que l’investissement productif serait boosté et que la fortune des plus riches ‘ruissèlerait’ dans toute l’économie – ne sont pas là. Et je ne crains pas de m’avancer en affirmant qu’elles ne seront jamais réalisées.

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Que dire pour conclure ? D’une part, une amende représentant ½ mois de salaire comme c’est le cas pour 83% des françaises et des français ; et qui même, pour un grand nombre, correspond à un mois, voire 3 mois de salaires. De l’autre, un montant qui se compare à moins de 2 jours de revenus.

Pour une très très grande majorité des françaises et des français, une amende de 1500 € en cas de récidive a un caractère très dissuasif.

Mais ce caractère dissuasif ne concerne pas du tout ceux qui, depuis plus de 3 ans maintenant, bénéficient des cadeaux du Président de la République. Cela ne concerne pas du tout les amis d’Emmanuel Macron, les hyper-riches, les super-riches et les très riches. Cela ne concerne pas du tout les 1%.

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En fait, tout cela est désespérément triste !

Mais surtout, dans les différents sens que peut prendre ce verbe, ne nous laissons pas abattre 😊

Ça y est ! On est (presque) reconfiné !

Emmanuel Macron en a décidé ainsi. Dans toute l’Ile-de-France et dans 8 grandes métropoles, il est interdit de circuler de 9 h du soir à 6 h du matin. Et on revient une fois encore dans la rhétorique guerrière : on a un couvre-feu. Là, on ne nous demande pas d’occulter toutes les lumières pouvant aider l’aviation ennemie, celle de la sournoise et perfide Cofidie-19, à nous bombarder ; mais on n’en est pas loin.

En fait, tous les organes de propagande officielle nous en avaient informé. Il y a plusieurs jours que le couvre-feu est annoncé et que les polémiques stériles fleurissent ! Il commencera à 20 h ; non à 22 h ; non, à 21 h. Et il se terminera à 6 h ; non, à 5 h. Aucune analyse de fond de nos médias mainstream quant à la pertinence et à l’efficacité de cette mesure ; juste des chicaneries et des ergoteries, le fond de la mesure ayant été validé sans aucune réflexion.

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Donc après la distanciation sociale, l’isolation sociale, la non-vie sociale. N’allez plus au restaurant, dans un bar, au cinéma, au théâtre, à la salle de sport, en boite de nuit, à un concert ou à n’importe quel spectacle, dans un musée ou un quelconque lieu culturel… N’allez plus chez des amis ou voir votre famille. Surtout, continuez à aller travailler, à aller à l’école ou à l’université, à prendre les transports en commun. Mais n’ayez aucune vie sociale !

En fait, quand on regarde la répartition des clusters par type de collectivités établie par Santé Publique France, 25% se trouvent sur le lieu de travail (‘entreprises privées et publiques’) et 21% dans le milieu scolaire et universitaire. Mais ces clusters-là ne seront pas affectés par les dispositions prises. Par contre, les ‘évènements publics ou privés : rassemblements temporaires de personnes’ selon la terminologie officielle qui constituent 10.3% de l’ensemble des clusters (à la 4ème place), il faut s’y attaquer.

En fait, l’excuse (oserais-je dire la tentative de parade ou même de camouflage) face à cette simple constatation est de dire, comme cela circule dans les sphères gouvernementales, que la plupart des personnes qui entrent à l’hôpital ces derniers temps pour cause de contamination au Covid-19 affirment avoir participé à une soirée quelques jours plus tôt. Ils ne sont pas allés travailler, ils ne sont pas allés à l’université. Non ! ils ont participé à une soirée avec des amis ou de la famille quelques jours avant ! C’est tout : et c’est là qu’ils ont contracté la maladie.

Et pour bien affirmer cela, des voix dites expertes (i.e. des ‘prostitué(e)s de la Macronie), parlent maintenant d’ ‘angles morts dans les politiques de repérage’. Ce qui, en fait, n’a d’autre but que de cibler la sphère privée.

[ Une parenthèse pour préciser que le troisième secteur dans lequel les clusters sont déclarés depuis le déconfinement de mai dernier est celui des établissements de santé (11.3%). Vraiment triste car je ne peux m’empêcher de penser que ce sont les personnels soignants, les ‘premiers de cordées’, qui sont ici touchés. Eux qui ne cessent de clamer semaine après semaine, mois après mois, leur épuisement moral et physique. Sans aucun écho du gouvernement ! ]

Enfin, j’exagère. On peut continuer à avoir une vie sociale. Mais pas à plus de 6 personnes, que ce soit chez soi ou dans la rue.

Une question : si un cor-beau ou une cor-belle (féminin de corbeau comme nous le savons tous) appelle (anonymement bien sûr) la Police pour ‘signaler de façon très citoyenne’ un rassemblement de plus de 6 personnes chez son voisin ou de l’autre côté de la rue, que se passera-t-il ? Les forces de l’ordre pourront-elles faire irruption dans un domicile privé ? Pourront-elles condamner à une amende de 135 € chaque participant ? Voire à une contravention d’un ‘montant dissuasif en cas de récidive’ si j’ai bien compris Emmanuel Macron ? Dissuasif d’ailleurs pour les classes moyennes ou laborieuses mais pas pour les hyper-riches, super-riches et autres très-riches que choient sans cesse notre Président de la République.

Et la question va se poser quand les gens voudront manifester. Je vois d’ici les interdictions au nom de la pandémie ; et les violences et les amendes qui vont pleuvoir sur les personnes souhaitant exercer malgré tout ce droit dans notre pays qui est encore celui des libertés.

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Comment en est-on arrivé là ? C’est en fait la conséquence d’un double échec.

J’exonère partiellement (j’ai bien dit partiellement) Emmanuel Macron du premier échec : le manque de moyens humains et matériels, le manque de places dans les hôpitaux. Nicolas Sarkozy a décidé que l’hôpital devait être géré comme une entreprise dont le but ultime est la rentabilité. François Hollande a poursuivi cette politique tout comme Emmanuel Macron. Et ceci, malgré son crédo que « la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. » (Oh combien je suis d’accord avec cette affirmation).

Mais là où je n’exonère pas Emmanuel Macron, c’est qu’il a poursuivi cette politique mortifère (sans jeu de mots). Mais encore plus, c’est que ce qu’il donne d’une main (5.2 milliards de dépenses supplémentaires programmées par le Ségur de la santé signé en juillet avec les syndicats), il le reprend de l’autre. La loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2021 présentée début octobre prévoit près de 1 milliard d’euros d’économies dans les établissements de santé. Combien de lits, combien de personnels, combien de revalorisations salariales, combien d’investissements promis sont ainsi supprimés au nom de l’ONDAM – l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie – créé sous Nicolas Sarkozy et que ni François Hollande, ni Emmanuel Macron n’ont depuis remis en cause ?

Et puis, cette seconde vague dont on nous parle depuis des mois, pourquoi le gouvernement ne l’a-t-il pas anticipé ? Pourquoi n’a-t-il pas dans l’urgence ouvert des lits ? Ceci étant dit en incluant toutes les composantes humaines et matérielles que cela suppose. Pourquoi ?

Le second échec est lié à la politique des tests. Un réel échec comme l’a reconnu Emmanuel Macron ! Faire un test et n’avoir le résultat qu’une semaine à 10 jours après est totalement inutile ; d’autres bien plus compétent que moi l’ont dit et redit depuis des semaines. Mais cela n’aurait pas permis au gouvernement de clamer que le nombre de tests étaient en augmentation exponentielle. C’était ça le message ; le nombre de tests réalisés est en hausse exponentielle. Et tant pis si les conditions dans lesquelles ils sont effectués font que leur utilité est plus que limitée.

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Je tiens pour finir à mettre en exergue, dans la conclusion d’Emmanuel Macron où il insiste que nous devons être « lucides, collectifs, unis », cette phrase : « nous sommes une Nation de citoyens solidaires. Nous ne pouvons pas nous en sortir si chacun ne joue pas son rôle, ne met pas sa part. ».

J’ai immédiatement pensé qu’il faisait référence aux milliards et milliards d’euros donnés aux grands groupes sans aucune contrepartie en termes de maintien de l’emploi, de formations, d’investissements dans notre pays, de relocalisation d’activités, d’engagements environnementaux ou dans les transitions écologique et énergétique. J’ai aussi pensé qu’il parlait du ‘1 %’ qui bénéficie depuis le début de sa présidence de cadeaux après cadeaux : suppression de l’ISF ; instauration d’une ‘flat tax’ qui s’est substituée à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus ; réduction des prélèvements sur les stock-options ; suppression de la tranche de la taxe sur les salaires supérieurs à plus de 150 000 €/an appliquée dans les métiers de la finance ; refus en cette période de crise d’un alourdissement de la contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus (revenu fiscal de référence supérieur à 250 000 €), voire de l’introduction de nouvelles tranches supérieures de l’impôt sur le revenu ou d’un prélèvement exceptionnel sur les plus hauts patrimoines… Et j’ai compris qu’il allait mettre bon ordre à tout cela !

Mais là, je me suis réveillé. Et j’ai compris que je rêvais !