
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui préface notre Constitution déclare, dans son article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression » ; c’est moi qui souligne les deux mots, ‘liberté’ et ‘sûreté’.
Mais il faut tout d’abord bien distinguer la sûreté et la sécurité.
La sécurité est un terme qui, ces dernières années, est surutilisé et ainsi largement galvaudé. Il en est même devenu, en son nom et pour son nom, prétexte, quand ce n’est synonyme, de droits réduits, de procédures judiciaires assouplies, de décisions administratives limitant les libertés, de surveillances et de contrôles sans cesse croissants, de dispositifs de plus en plus répressifs.
La sûreté, telle qu’elle était entendue par les rédacteurs de 1789, est la garantie qu’apporte l’Etat que nous puissions exercer de façon pleine et entière nos droits et nos libertés individuelles et collectives, que nous puissions exercer notre liberté telle qu’elle est inscrite dans notre devise nationale et sur le frontispice de nos bâtiments publics.
Depuis sa rédaction, des réductions et limitations ont toutefois été apportées à la liberté, par arbitrage souvent avec une autre valeur constitutionnelle.
Sachant que toute nouvelle limitation et toute nouvelle restriction à notre liberté et à nos droits et libertés s’appuient sur des limitations et des restrictions antérieures. Et qu’elles sont généralement acceptées, comme par un effet de mithridatisation, d’accoutumance.
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Dans son arrêté du 5 août qui valide l’extension du passe sanitaire, le Conseil Constitutionnel reconnait que certains éléments du texte de loi « portent atteinte à la liberté d’aller et venir » et « au droit d’expression collective des idées et des opinions ». Dit autrement : certains éléments de la loi portent atteinte à nos libertés individuelles et collectives, à notre liberté. Ou encore qu’ils constituent une mesure discriminatoire dans la mesure où ils créent deux catégories de citoyens avec comme discriminant l’état de santé ; ce qui est constitutionnellement prohibé.
Mais le Conseil Constitutionnel les valide car « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19 ». Il les justifie au nom d’une « conciliation équilibrée » entre les exigences de protection de la santé et les libertés individuelles.
La poursuite de « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » des citoyens est donc mise en avant pour justifier une limitation des droits et des libertés.
Le Conseil Constitutionnel met en avant ce même objectif face à cette autre garantie constitutionnelle qu’est « la sécurité matérielle ». Tout chef d’entreprise doit suspendre le contrat de travail – et donc la rémunération – puis licencier tout salarié ne présentant pas un passe sanitaire ; le privant ainsi de toute ressource, de tout moyen de subsistance pour lui, voire pour toute sa famille ! Et chantage dans le chantage, tout salarié licencié pour ce motif n’aura pas droit aux indemnités chômage. Le privant donc pour longtemps, vue la situation de l’emploi en France, de tout moyen de subsistance pour lui, voire pour toute sa famille !
Tout comme il avait mis en avant la protection des citoyens face à la menace terroriste, leur sécurité, dans ses avis rendus sur la transposition dans la loi ordinaire des dispositions de l’Etat d’urgence ou sur les lois Renseignement.
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Mais quelle sera la position du Conseil Constitutionnel si le gouvernement demande que l’usage du passe sanitaire soit poursuivi au-delà du 15 novembre, prouvant alors en creux son peu d’efficacité au regard au regard de ses objectifs annoncés de freinage de la propagation de l’épidémie et de limitation de la surcharge dans les hôpitaux ?
Mais quelle sera la position du Conseil Constitutionnel si l’intérêt général tel que l’Etat le définit n’est plus sanitaire ou sécuritaire /anti-terroriste ? Si cet ‘intérêt général’ est politique ou économique ? Si l’Etat / le législateur souhaite utiliser les mêmes leviers pour combattre une attaque terroriste ou une crise économique ou une opposition politique ?