Nous devons faire face aujourd’hui à de multiples transitions, pour ne pas dire de multiples reconstructions : transition climatique / écologique, transition énergétique, transition de modèle industriel et technologique, transition de modèle agricole, transition de modèle de mobilité, transition de modèle d’urbanisation, transition de modèle d’aménagement du territoire, etc., etc., etc…
Et il ne faut pas oublier la restauration et la reconstruction de tous nos services publics (y compris les régaliens) mis à mal depuis des années, si ce n’est depuis des décennies, par des mesures d’austérité et de rigueur sans cesse renouvelées et « approfondies ».
Mais comment les financer ?
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La dette publique détenue par la BCE doit être annulée (ou transformée en dette perpétuelle) dans l’optique de permettre le financement d’investissements pour ces transitions et reconstructions.
Je ne vais pas reprendre ici le débat qui s’impose de plus en plus chez les économistes ni les multiples raisons qui militent en faveur de cette mesure.
Tout au plus puis-je rappeler que les économistes ‘orthodoxes’ appuyés par la grande majorité des gouvernants européens et des dirigeants des institutions monétaires et financières ne mettent en avant que des questions juridiques ou techniques pour expliquer leur opposition à cette mesure.
Ah ! N’oublions pas toutefois cette « comptine » servie comme un argument définitif appelant à clore tout débat et toute discussion : « si vous me prêtez 100 € et que je ne vous rembourse pas, vous ne ferez plus confiance ». Sous entendu, si on annule des dettes, les investisseurs ne feront plus confiance à la France et ne lui prêteront plus. Bien entendu, il n’est pas précisé que les dettes annulées ne seront pas celles que les investisseurs privés portent mais celles détenues par la Banque de France – dont le capital est détenu à 100% par l’Etat français, donc par les françaises et les français, donc par nous.
N’oublions pas non plus l’épouvantail du Frexit allègrement agité : « L’annulation de la dette détenue par la Banque centrale, ce n’est pas possible. Ça voudrait dire pour la France sortir de l’euro ».
Soyons clair et net ! Rien n’interdit d’annuler la dette publique détenue par la Banque de France pour la Banque Centrale Européenne. Il n’y a pas aucun obstacle juridique insurpassable à cette annulation, aucun obstacle technique qui ne puisse être résolu, aucun risque que les investisseurs refusent après de prêter aux pays européens…
Le seul obstacle qu’il y a, c’est l’absence de réelle volonté politique de le faire !
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Une révision de la fiscalité en faisant en sorte qu’elle soit réellement progressive, est indispensable.
Une première étape doit indiscutablement consister à revenir sur les nombreux cadeaux consentis aux plus riches ces dernières années. On peut citer la suppression de l’ISF qui a ‘couté’ 4 milliards d’euros aux finances publics avec un retour fondé sur la fameuse et fumeuse ‘théorie du ruissellement’ et donc nul ; l’instauration du Prélèvement Forfaitaire Unique des dividendes – la ‘flat tax’ qui s’est substitué à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus et qui fait ‘économiser’ aux contribuables les plus riches plusieurs centaines de milliers d’euros d’impôts chaque année ; la réduction des niveaux de prélèvements sur les stock-options ; la suppression de la tranche de la taxe sur les salaires supérieurs à plus de 150 000 €/an appliquée dans les métiers de la finance… On peut aussi mentionner ici le refus d’un alourdissement temporaire de la Contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus (revenu fiscal de référence supérieure à 250 000 €).
Et, très certainement aussi, il faut remettre en question toutes les mesures élargissant les avantages fiscaux fait sur les placements financiers.
L’Institut Rousseau propose une réforme radicale de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, l’impôt abc. Il n’est pas de mon propos de développer cette proposition à laquelle je souscris ; je vous invite à la consulter en suivant ce lien. Je me contenterai juste de préciser que cette réforme poursuit « le double objectif de rendre l’impôt plus lisible pour l’ensemble des citoyens, ainsi que d’alléger l’imposition des classes moyennes en le finançant par une imposition renforcée des plus aisés […]. La réforme […] vise ainsi à alléger l’imposition de tous ceux qui sont rémunérés moins de 6 000 euros par mois, d’accentuer légèrement l’imposition de ceux dont les revenus sont compris entre 6 et 10 000 euros et de les imposer plus fortement au-delà de 10 000 euros ». Elle souhaite aussi « (aligner) la fiscalité du travail et du capital ».
Mais il faut parallèlement revoir les contributions CSG et CRDS qui doivent devenir progressives. Cela est techniquement possible par la transmission par les services fiscaux, à l’image de ce qui est fait pour le prélèvement à la source, des taux de prélèvement CSG et CRDS à appliquer. Le système abc développé par l’Institut Rousseau pourrait être utilisé ici aussi.
On ne peut laisser de côté la fiscalité sur les successions qui doit aussi être revue, là aussi dans le sens d’une plus grande progressivité et, sans doute, en révisant à la hausse certains des seuils qui ont été fortement baissés ces dernières années.
Il faut enfin se pencher sur la fiscalité des entreprises où l’égalité face à l’impôt doit être recherchée ; une multinationale est moins imposée qu’une PME !
La lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, autre signe indéniable de la recherche d’une plus grande justice fiscale, doit être une priorité. Dans ce contexte, la lutte contre les paradis fiscaux, y compris ceux qui font partie de l’Union Européenne, doit être menée sans faiblir.
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Un prélèvement exceptionnel sur les hauts patrimoines doit être institué. Outre le fait que cela permettra de sortir au plus vite des perturbations dues à la pandémie du COVID 19, cela donnera des moyens conséquents pour engager les multiples transitions / reconstructions dont la France a besoin.
Ce type de disposition a été pris à plusieurs reprises et dans de nombreux pays. A l’issue de la 1ère Guerre Mondiale, de tels prélèvements ont été effectués en Italie, en Autriche, en Hongrie et en Tchécoslovaquie. Après la seconde Guerre Mondiale, ce sont la France (avec un impôt exceptionnel et progressif à la fois sur le capital et sur les enrichissements au cours de l’Occupation qui rapporta l’équivalent de 5% du PIB), l’Allemagne, l’Autriche, le Japon, la Belgique, la Norvège, le Danemark, le Luxembourg et les Pays-Bas qui y ont eu recours.
Après la crise financière de 2008, la Finlande, l’Irlande, Chypre ont prélevé de tels impôts. Le sujet a alors été largement discuté dans certaines institutions économiques et financières, le FMI et la Bundesbank notamment.
Et il y a quelques mois, l’Argentine a voté le principe d’un prélèvement unique sur les ménages possédant les plus gros patrimoines. L’argent récolté est parfaitement fléché vers notamment le financement des aides sociales, des PME, des étudiants et des services médicaux.
Et n’oublions surtout pas les mesures fiscales prises par Franklin D. Roosevelt dans le cadre du New Deal ! Le taux d’imposition marginal supérieur des revenus passa de 23% en 1932 à 63% en 1933 puis 79% en 1935 (il a atteint 94% les deux dernières années de la 2ème Guerre Mondiale). Il n’est sans doute pas inutile, plus largement, de rappeler que le taux applicable aux plus hauts revenus fut en moyenne de 81% entre 1932 et 1980, année précédant l’arrivée à la présidence de Ronald Reagan. Parallèlement, le taux supérieur de l’impôt fédéral sur les successions passa progressivement de 20% en 1932 à 70% en 1937. Sur la période 1932 – 1980, le taux moyen applicable aux plus hautes successions s’établissait à 75%. Des mesures de choc s’il en est !!!
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Il convient d’amorcer au niveau européen une discussion sur le financement direct par la BCE de projets de transition climatique et énergétique de dimension européenne.
On peut donner comme exemple la construction d’un grand réseau européen de ferroutage ; avec des règles d’appels d’offres de type ‘Small Business Act’ et donc différentes de celles actuellement en vigueur qui, de facto, favorisent les grandes multinationales du BTP quand elles n’excluent pas carrément les PME et les ETI du secteur.
Ou le financement de grands programmes de recherches tant fondamentales qu’appliquées par des établissements publics ; et dont les résultats demeureront dans le domaine public, resteront des biens communs. Il ne faut pas retomber dans ce qui s’est passé pour les vaccins contre la Covid-19. Ce sont des deniers publics qui ont largement financé la recherche – tant par la participation d’institutions et d’universités que par des subventions et autres aides directes et indirectes – mais ce sont les laboratoires qui en possèdent seuls les droits de propriété intellectuelle et qui donc, pourront les ‘exploiter’ et en retirer seuls tous les bénéfices. Un magnifique exemple du néolibéralisme tel que beaucoup le rêve et tel que nos gouvernants le font : les financements sont publics mais les profits sont privés, ultra-privés, archi-privés !
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Mais il faudra aussi œuvrer au niveau européen pour arriver au financement par la BCE de projets nationaux primordiaux, notamment ceux en relation avec l’urgence climatique.
Je pense en particulier à la rénovation thermique des bâtiments qui, outre son impact ‘écologique’, peut être à l’origine de la création de nombreux emplois sur tout le territoire.
On peut aussi mentionner la réhabilitation du train. Ce moyen de transport écologique et social doit en effet être privilégié, au besoin en ré-ouvrant des lignes fermées pour cause de, soi-disant, absence de rentabilité (on connaît tous ce bon prétexte !). Le recul de ce mode de déplacement a notablement contribué à l’enclavement de nombreux territoires. On doit ainsi viser un réseau dense de trains reliant les villes de France entre elles là où le TGV est absent ; ces liaisons (de jour et de nuit) – par qu’on appelait à un moment les ‘Trains Intercités’ – ont été progressivement abandonnés et doivent être relancées. Une densification de la circulation des TER est aussi à organiser. Et des investissements massifs dans le fret ferroviaire – dont la part dans le transport de marchandises ne cesse de décliner ces dernières années en France – sont à programmer rapidement.
Sur un autre plan, l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, ce bien commun indispensable en termes d’aménagement du territoire et du fait de son importance dans la lutte contre le réchauffement climatique, doit être fortement interrogée.
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On doit aussi envisager à terme une complète refonte des règles budgétaires européennes.
Je pense principalement aux deux ratios ‘déficit public sur PIB inférieur à 3%’ et ‘dettes sur PIB inférieurs à x%’ (nominalement 60% mais des voix commencent à cibler, tout du moins en France, 100%). Il faut être conscient que ces deux ratios n’ont absolument aucune justification économique et sont même absurdes quand on les observe de près. Mais ils constituent deux des piliers sur lesquels nos gouvernants successifs s’appuient pour justifier mesures d’austérité, budgets de rigueur, coupes dans les budgets – et corrélativement, privatisations – des services publics…
L’application de ces deux ratios a été suspendue dans le contexte des mesures d’urgence prises pour lutter contre la pandémie du SARS-CoV-2 et ses conséquences économiques et sociales. Suspendue et non supprimée !
Des voix de plus en plus nombreuses appellent un retour rapide – dès cette année voire en 2022 (comme par hasard après les élections présidentielles) – au strict respect de ces règles budgétaires. Et, faisant fi des dégâts subis et des pertes accumulées depuis un an dont on peut craindre qu’il faille longtemps pour les réparer, ces hérauts et ces zélotes du néolibéralisme souhaite un retour à l’austérité. Ceci en usant d’un verbiage camouflant leurs intentions sous les prétextes les plus beaux et les plus fallacieux. Il faut noter que le mot ‘austérité’ est soigneusement évité, quand il n’est pas nié ; ces partisans de l’ultralibéralisme lui préfèrent celui plus fallacieux mais d’apparence plus acceptable de « stabilisation des dépenses publiques ».
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Ce catalogue de mesures – très certainement incomplet – est certes ambitieux. Mais nous sommes à un moment de notre histoire, et de l’histoire de l’humanité, où, justement, il faut être ambitieux.
Nous sommes à un moment où il faut être novateur et original. Et où il faut donc suivre d’autres voies que celles du néolibéralisme débridé et de la mondialisation effrénée qui nous ont conduit dans les impasses où nous sommes aujourd’hui.
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PS : je vous invite, pour plus d’informations, à lire mon article du 4 décembre 2020 « Ce qu’il faut ? L’annulation de la dette publique détenue par la BCE et le financement direct par la BCE de ‘grands projets’ » ( lien ici ) et celui du 19 février 2021 « Ce sacro-saint ratio ‘Déficit public sur PIB inférieur à 3%’ est une invention française ! » ( lien là )