Dans son allocution du mardi 24 novembre, Emmanuel Macron a annoncé de nouvelles mesures de soutien face à la crise économique. Quoi qu’il en coute !
Des mesures supplémentaires destinées aux entreprises qui ne pourront pas réouvrir maintenant. Et il y en a beaucoup : hôtels, restaurants (dont on estime que 1 sur 2 – voire 2 sur 3 – ne réouvriront pas !), bars, salles de sport, salles de concert, discothèques, parcs d’attraction…
Et des mesures supplémentaires à destination des salariés en chômage partiel, des chômeurs et des personnes les plus fragiles (bénéficiaires du RSA, de l’Allocation de solidarité spécifique ASS et des APL, mais aussi des saisonniers, extras, précaires et jeunes qui ne trouvent plus d’emploi dont beaucoup avaient été oubliés au printemps).
Mais mon propos n’est pas de faire ici un inventaire ou une analyse de ces mesures.
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Donc, de nouvelles mesures de soutien à ceux qui sont le plus touchés par ce deuxième confinement ! Comment cela va-t-il être financé ? Par une nouvelle augmentation de l’endettement de la France comme il faut le faire.
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Ce même matin, le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, est intervenu sur France Culture au micro de Guillaume Erner. Et on peut déduire de ses propos que cette dette, il va falloir la rembourser ; et vite ! : « une fois sortis de la crise et quand on aura retrouvé notre niveau d’activité pré-Covid, en 2022, peut-être un tout petit peu plus tard, il va falloir traiter cette dette et se mettre dans une perspective de désendettement. »
Et il donne sa recette : « Pour ça, il y a trois ingrédients : le temps […], la croissance […] et il faut qu’on fasse attention aux baisses d’impôts et à nos dépenses. »
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Le temps !
Il y a quelques mois, on parlait de cantonnement de la dette issue du Covid et de nombreux économistes et financiers pensaient que son remboursement n’interviendrait que dans très très longtemps. Mais, en juillet dernier, Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, a créé la Caisse d’amortissement de la dette Covid – CADEC – sur le modèle de la Caisse d’amortissement de la dette sociale – CADES. Le remboursement, en capital et en intérêts, de la dette portée par cette dernière structure est assuré grâce principalement la CRDS et une partie de la CSG qui lui sont attribuées. Dette qui, d’ailleurs, a été augmentée cet été par un transfert de créances de l’Etat pour 136 milliards d’euros ; et pour cela, la durée de remboursement – et les impôts dédiés à son remboursement – a été prolongée de 9 ans, de 2024 à 2033.
La dette de la CADEC sera remboursée en capital et en intérêts, selon le même principe. Ses ressources ? Soit un impôt à créer dédié, soit par des sommes prélevées sur le budget général. Ce qui revient à amputer d’autant les sommes affectées à la dépense publique.
Le temps, donc, nous n’en avons pas. C’est dès maintenant que nous remboursons cette dette, capital et intérêts !
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La croissance !
François Villeroy de Galhau n’attend pas un retour de l’activité à son niveau pré-Covid avant 2022 ; mais il n’exclut pas que cela sera plus tard. Le recul du PIB cette année sera partiellement effacé en 2021. Mais nul ne sait dans quelles proportions. Ensuite ? C’est un grand point d’interrogation.
Si l’on regarde la croissance de la France – et de l’Europe – depuis la crise de 2008 / 2009, on ne peut que constater qu’elle est chétive et poussive. Elle est la conséquence directe des choix politiques et budgétaires faits qui ont privilégié la réduction des déficits et de l’endettement public. Cela par des politiques d’austérité qui ont consisté, entre autres, à couper dans les budgets des services publics. Et cela avec toutes les conséquences que nous connaissons aujourd’hui dans notre hôpital, dans l’Education nationale, dans notre police, dans notre justice… Il vaut mieux que j’arrête là cette litanie qui pourrait être très longue !
Cela a aussi conduit à un appauvrissement de 99% des françaises et des français.
Les mesures de relance prises par Bruno Le Maire sont basées principalement sur une politique de l’offre et sont dans la droite ligne des politiques suivies antérieurement. Comment peut-on croire que ce qui n’a pas fonctionné avant, fonctionnerait maintenant ? C’est pourtant ce que nos dirigeants font.
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« Faire attention aux baisses d’impôts »
François Villeroy de Galhau prône la stabilité fiscale. Il faut entendre par là qu’il ne faut aucune hausse et aucune baisse d’impôts.
Ainsi, pas de rétablissement de l’ISF ; pas de remise en cause du Prélèvement Forfaitaire Unique des dividendes – la ‘flat tax’ qui s’est substitué à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus ; pas de retour aux niveaux antérieurs des prélèvements sur les stock-options ; pas de réintroduction de la tranche de la taxe sur les salaires supérieurs à plus de 150 000 €/an appliquée dans les métiers de la finance ; pas de remise en question de toutes les mesures élargissant les avantages fiscaux fait ces dernières années sur les placements financiers…
Mais aussi pas d’alourdissement de la contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus (revenu fiscal de référence supérieure à 250 000 €) comme cela a été proposé par un sénateur ; ni d’introduction de nouvelles tranches supérieures de l’impôt sur les revenus ; pas de mesures fiscales nouvelles pouvant toucher ceux qui ont le plus profité de la crise de 2008/2009 comme, par exemple, un prélèvement exceptionnel sur les plus hauts patrimoines à la sortie de la ‘guerre’ dont nous a tant parlé Emmanuel Macron et qui a été fait à de plusieurs reprises et dans de nombreux pays comme la France, l’Allemagne, les USA, l’Italie, le Japon ; pas de réflexions non plus sur une meilleure progressivité de la pression fiscale globale pesant sur tous les citoyens.
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« Faire attention à nos dépenses »
Il faut, toujours selon François Villeroy de Galhau, stabiliser nos dépenses publiques. Nous sommes confrontés simultanément à plusieurs crises de grande ampleur : économique, sociale, sociétale, climatique, énergétique, environnementale, sanitaire, de délabrement de tous nos services publics, démocratique, de confiance vis-à-vis des hommes et femmes politiques et de certaines institutions de notre République – la Police pour ne citer qu’elle. Chacune de ces crises nécessite une réponse forte et d’ampleur.
Mais, selon lui, il faut « une stabilité des dépenses publiques » à des niveaux qui sont déjà notoirement insuffisants. Il faut continuer les mortifères politiques d’austérité. Il nous fixe même un cap pour bien nous indiquer que cela ne peut pas n’être que temporaire : « en dix ans, on diminuerait le ratio de dette par rapport au PIB de 20% », on le ramènerait de 120% à 100% ; quel objectif comparé à l’urgence des multiples crises auxquelles nous sommes confrontés !
Mais François Villeroy de Galhau parle ainsi car il ne croit pas qu’il y ait eu de politique d’austérité en France. Si, si ! Vous pouvez vérifier. Voici ce qu’il dit à Guillaume Erner (à 6’01’’ de son interview – cf. podcast disponible sur le site de France Culture) : « Vous parliez d’austérité ; ce n’est pas ce qu’il y a eu en France ces dernières décennies. On a des dépenses publiques qui sont à la fois les plus élevées d’Europe et qui ont continué à augmenter. Ce qu’il faudrait, une fois revenu au niveau d’activité pré-Covid, il faudrait stabiliser ces dépenses. » Il n’y a pas eu d’austérité en France ces dernières décennies !
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« On ne peut pas annuler la dette »
On a droit dans cet interview à l’argument habituel, plein – et même saturé – de mauvaise foi : « si vous me prêtez 100 € et que je ne vous rembourse pas, vous ne ferez plus confiance », les investisseurs ne feront plus confiance à la France. Exit donc toute discussion sur ce sujet.
Mais il ne s’agit aucunement de spolier les investisseurs privés ; il s’agit en l’espèce de la dette publique rachetée par les banques centrales nationales pour le compte de la BCE et détenue sur leurs livres. Pour la France, cela se chiffre aujourd’hui à 450 milliards d’euros. Ces dettes sont donc des dettes que nous nous devons à nous-mêmes, citoyens français et européens.
L’annulation de la dette publique française – et plus largement européenne – est un débat qu’il faut avoir. Que ce soit la dette née de la crise Covid dans ses multiples facettes et celle qu’il faudra faire pour financer les investissements nécessaires pour en sortir ou pour réparer les conséquences des politiques d’austérité suivies depuis des années ; mais aussi la dette pour réaliser les investissements nécessaires pour s’engager résolument dans la transition climatique et énergétique.
Neutraliser, cantonner, annuler cette dette permettrait de donner une marge de manœuvre très importante. Cela serait 450 milliards d’euros qui pourrait être investis dans l’économie réelle.
Voire beaucoup plus si la BCE finançait directement, sous contrôle démocratique et sans passer par les banques commerciales, des investissements décidés collectivement en réponse aux urgences qui sont les nôtres aujourd’hui. Mais ceci est un autre débat.
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Dans cette interview, François Villeroy de Galhau s’inscrit totalement dans la pensée néolibérale qui est celle qui prévaut actuellement que ce soit en termes de politique économique et budgétaire ou en termes de gestion de la dette. Dit autrement : l’austérité, rien que l’austérité ! Et diminution de l’endettement public !
Il y a portant tant de solutions alternatives. Mais elles sont autres que celles mises en œuvre au nom de la doxa ultralibérale !
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PS : sur ce sujet, vous pouvez utilement lire mes articles du 19 juillet « l’austérité : le retour ? » (lien ici) et du 24 juillet « les français vont devoir rembourser la dette liée à la crise économique, sociale et sanitaire actuelle en une vingtaine d’années. Et en commençant dès maintenant » (lien là)