Devant le Parlement, une (nouvelle) loi liberticide écrite par la police pour la police !

Sommes-nous dans un état policier où c’est la police qui écrit les lois qui la concerne ? Sommes-nous dans un pays qui se dit (encore) démocratique mais dans lequel c’est la police qui définit les règles qui encadrent ses fonctions, ses responsabilités et donc son pouvoir ? On peut le craindre !

Une « proposition de loi relative à la Sécurité globale » doit être examinée par l’Assemblée Nationale à compter du 17 novembre 2020. Elle est destinée, selon ses auteurs – une palanquée de députés LREM et affidés – à relever les « nouveaux défis […] pour la sécurité des Français ». Elle est ardemment soutenue par le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Elle est aussi, selon l’aveu – bien certainement involontaire – de sa rapporteure Alice Thourout la « traduction législative d’un engagement du Président de la République, pris devant les syndicats de police au mois d’octobre, quand il les a reçus à l’Elysée. »

Notons d’ailleurs que cette proposition vient après une trentaine de lois sur la délinquance et une quinzaine sur le terrorisme promulguées en seulement 30 ans. Mais dorénavant, tout sera résolu !

OK ! Ai-je cependant le droit de soulever un sourcil interrogatif ou d’esquisser un sourire sceptique ?

Déposée le 20 octobre, cette proposition a été inscrite à l’ordre du jour parlementaire selon la procédure accélérée. Les parlementaires vont ainsi avoir à débattre en toute priorité de cette loi. Mais n’auraient-ils pas pléthore de sujets autrement plus importants sur lesquels se pencher aujourd’hui, moment où nous sommes confrontés à une multitude de crises – sanitaire, sociale, sociétale, écologique, climatique, humanitaire, économique, financière, politique, de représentativité… – toutes sans précédent ?

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Quelle urgence y a-t-il à promulguer cette loi ? Faut-il y voir un lien avec le sentiment de plus en plus prégnant qui ne cesse de croître chez les françaises et les français que les violences policières sont une réalité ? D’aucuns parleraient d’ailleurs de brutalités policières. Faut-il y voir un lien avec la mort de George Floyd aux USA, de Cédric Chouviat en France et de toutes les ‘affaires’ devenues de notoriété publique ces dernières années ? Faut-il y voir un lien avec l’impunité maintenant avérée dont jouissent nombre de policiers faisant « un croche-pied à l’éthique » pour reprendre les termes de Christophe Castaner ? Faut-il cacher tout cela ?

Ou alors, est-ce le signe d’un échec patent de nos gouvernants depuis des années et des années – depuis Nicolas Sarkozy en fait ? N’est-ce pas le résultat d’une orientation vers le tout- répressif avec notamment la suppression de la police de proximité qui faisait bien le lien avec la population, même dans des quartiers dits difficiles ? C’est de cette époque que les policiers ont cessé d’être des ‘gardiens de la paix’ pour devenir des ‘forces de l’ordre’. N’est-ce pas la conséquence de la baisse des effectifs ? Avec, concomitamment, une baisse du niveau des concours. N’est-ce pas aussi la conséquence du manque de moyens ? Manque de moyens matériels avec des locaux vétustes voire insalubres selon les syndicats de policiers – même les plus proches du pouvoir – qui pointent aussi l’état du parc automobile et de l’armement et manque de moyens financiers avec le recul de la formation et le non-paiement des heures supplémentaires. Et je n’entre pas ici dans une réflexion sur l’organisation générale de la police qui n’est pas intervenue, si ce n’est de façon cosmétique et/ou ‘markéting’ depuis des années. Faut-il masquer tout cela ?

N’est-ce pas aussi la conséquence de la dégradation de la relation de confiance qui doit exister entre la population et sa police ? Je ne peux pas croire que la déliquescence de ce lien soit uniquement la conséquence d’un ‘ensauvagement’ d’une partie de la population comme certains au gouvernement et dans la majorité veulent nous le faire croire. Ni d’une faillite de l’Education nationale comme d’autres l’avancent. Ne peut-il pas aussi être partiellement imputé aux doctrines de maintien de l’ordre mises en œuvre ces dernières années tant lors des manifestations que dans certains quartiers ? Ces pratiques font l’objet d’une grande incompréhension, voire d’un rejet, d’une part croissante de nos concitoyens. Ne peut-il pas aussi être partiellement imputé aux comportements répréhensibles – et majoritairement non sanctionnés – de certains policiers ? Faut-il occulter tout cela ?

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La façon dont cette loi arrive devant le Parlement pose d’ailleurs question. Elle est d’origine parlementaire ; elle est ainsi dispensée de la réalisation d’une étude d’impact et d’être soumise pour avis au Conseil d’État ce qui aurait été le cas si elle avait été d’origine gouvernementale. Mais ce n’est pas la première fois que le Gouvernement trouve des ‘faux-nez’ qui lui évitent de suivre une voie démocratique rigoureuse ! Cela ne l’a pas non plus empêché de présenter – et faire adopter – plusieurs amendements conséquents lors de l’examen du projet devant la commission des Lois.

L’auteur principal du texte est un ex-policier ; Jean‑Michel Fauvergue (député LREM) est en effet l’ancien chef du RAID. Les réponses qu’il a faites à des questions, à des avis et à des propositions d’amendements de membres de la Commission des lois ont suscité de vigoureuses protestations des membres des oppositions parlementaires. Quelle idée par exemple ce député se fait-il du débat parlementaire et, plus largement, de la démocratie lorsque, en réponse aux questions insistantes d’une députée, il lui intime : « Allez prendre vos gouttes ! » ?

L’autre rapporteure du texte, Alice Thourout, était avocate. Chaque fois qu’un amendement était proposé lors de l’examen en Commission des lois, elle avait comme unique et lancinante réponse : « Cette disposition a été demandée par la police, il faut l’adopter telle quelle ». [ N’oublions pas que cette loi répond à une promesse d’Emmanuel Macron à certains syndicats de policiers – cf. supra. ] Elle a aussi fortement écarté toute possibilité de sanction pour les abus pouvant être commis car de telles pensées seraient insultantes pour la police.

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Il ne faut pas se leurrer ! Cette loi est un moyen pour la police de cacher ses dérapages. Son article 24 empêchera en effet la population de diffuser des images de violences policières ; et ce dans des conditions si floues et si générales qu’elles conduiront dans les faits à empêcher quasiment toute captation d’images de policiers et de gendarmes, en violation totale de la liberté fondamentale de la population d’être informée des pratiques et dérives des institutions publiques. Cela est valable pour les citoyens ‘lambda’ mais aussi pour les journalistes, pour les associations, pour les collectifs ; pour tout le monde. Et cela peut être puni de 45 000 € d’amendes et d’un an de prison.

La Défenseure des droits, Claire Hédon, considère de façon générale que « cette proposition de loi soulève des risques considérables d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux, notamment au droit à la vie privée et à la liberté d’information ». Sur cet article 24 en particulier, elle demande que « ne soient, à l’occasion de ce texte, entravés ni la liberté de la presse, ni le droit à l’information. Elle tient en effet à rappeler l’importance du caractère public de l’action des forces de sécurité et considère que l’information du public et la publication d’images relatives aux interventions de police sont légitimes et nécessaires au fonctionnement démocratique, comme à l’exercice de ses propres missions de contrôle du comportement des forces de sécurité. » En termes fort diplomatiques, tout est dit !

Claire Hédon se dit aussi préoccupée par l’article 21 de la loi : les images enregistrées par la police ne seront plus seulement exploitées a posteriori mais pourront être consultées, transmises et analysées de façon automatisée en temps réel. Elle indique en effet que « l’exploitation en temps réel des images des caméras piétons des policiers, sans objectif explicite dans le texte, est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée. » Il faut rappeler que la police est autorisée depuis 2012 à utiliser des logiciels de reconnaissance faciale pour identifier une des 8 millions de photos déjà enregistrées dans le fichier de traitement des antécédents judiciaire (TAJ) sur toute image dont elle dispose. Ce nouvel outil qui permettra de reconnaître en temps réel n’importe quel militant politique, syndical ou associatif – et n’importe quel journaliste – pourra conduire la police à multiplier certains abus ciblés contre des personnes déjà identifiées : gardes à vue « préventives », accès au cortège empêché, interpellations non-suivies de poursuite, fouilles au corps, confiscation de matériel, comportement injurieux…

Cette approche confrontationnelle du maintien de l’ordre – ** cf. note en bas de texte – se retrouve dans l’article 22 de la loi ‘Sécurité globale’. Celui-ci propose d’autoriser une pratique qui s’est répandue en violation de la loi au cours des derniers mois : le déploiement de drones pour surveiller les manifestations. La surveillance en temps réel de tout militant préalablement identifié ‘négativement’ par la seule police – terme le plus neutre que je trouve là –sera ainsi facilitée. Tout comme il sera plus aisé de le suivre à la trace avant et après les manifestations. La Défenseure des droits considère ainsi que « le recours aux drones comme outil de surveillance ne présente pas les garanties suffisantes pour préserver la vie privée. En effet, les drones permettent une surveillance très étendue et particulièrement intrusive, contribuant à la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel. »

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Cette loi prévoit par ailleurs une réorganisation de la police municipale. Son Titre I vise notamment à étendre les pouvoirs des policiers municipaux, y compris en matière de constatations d’infractions dans l’usage des stupéfiants, la conduite sans permis et les dégradations volontaires.

La création des polices municipales a été une municipalisation de fonctions régaliennes liées à la sécurité et à la paix publiques. Il s’agit en l’espèce de veiller à l’exécution des lois, à assurer la protection des personnes et des biens, à prévenir les troubles à l’ordre public et à la tranquillité publique ainsi que la délinquance. S’y ajoute la bonne application des arrêtés municipaux. Il est inutile de rappeler que ce transfert a été la conséquence directe des manques déjà croissants à l’époque – milieu des années 1990 – d’effectifs et de moyens dans la police et dans la gendarmerie.

Là, avec cette loi, nous sommes face à une municipalisation d’une partie des fonctions de police judiciaire qui reviennent à l’Etat. Et c’est toujours le manque d’effectifs qui en est à l’origine ! Il est ainsi attendu une participation des polices municipales à la lutte contre la délinquance (de façon encore plus active), voire contre le terrorisme. Ce qui n’est pas sans soulever des problématiques importantes quant à l’armement et à la formation de ces policières et de ces policiers.

Cela n’est pas aussi sans soulever la question de l’égalité des citoyens quelle que soit le lieu où ils habitent et, pour ceux résidant dans une ville, quelle que soit sa richesse lui permettant de créer et de développer une police municipale. Peut-être à l’occasion de ce texte aurait-il été opportun de réfléchir vraiment à ce que doit être une police municipale et quels doivent être ses objectifs ? Cela en évitant de se limiter à la considérer comme un prolongement de la police et de la gendarmerie, juste appelée à les suppléer et à les remplacer de plus en plus.

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L’aspect répressif de ce texte se voit aussi dans son Titre II relatif au secteur des sociétés de sécurité privé. Les agents de sécurité privée voient leurs pouvoirs et leurs compétences étendus et renforcés. Ils pourront notamment dresser des procès-verbaux pour des infractions dont le préjudice est inférieur à 200 €. Dit autrement, ils constateront des infractions en lieu et place des agents de polices ou des gendarmes.

Je ne peux m’empêcher d’y voir aussi la volonté de pallier l’insuffisance de la police à exercer pleinement ses fonctions régaliennes. Et d’y voir également une nouvelle extension de la privatisation de la sécurité publique.

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Ce texte est liberticide pour aujourd’hui et pour demain. Et dangereux.

Je crains que la majorité présidentielle à l’Assemblée – LREM, MODEM et AGIR – ne vote très ‘complaisamment’ cette loi. Je crains aussi que le Sénat, majoritairement de droite, ne s’oppose pas farouchement à la plupart de ses dispositions. Peut-être certaines d’entre elles seront-elles amendées ou ‘adoucies’ ; peut-être le Conseil constitutionnel en invalidera certaines autres. Mais guère plus ! Et cette loi risque d’être appliquée, y compris dans ses pires dispositions.

Si nous faisons un bref retour sur une époque peu glorieuse de notre histoire, le régime de Vichy, des hommes ont accepté des postes de responsabilité dans la Police française pour faire appliquer des lois liberticides, discriminantes et répressives. Des hommes qui, aujourd’hui, seraient capables de dire à une femme exerçant légitimement et sans violence son droit de manifester : « Madame, nous ne sommes pas dans le même camp. ».

« Serviteurs de la loi », les policiers ‘de base’, pour une partie d’entre eux, ont été entraînés dans cette dérive de leurs missions. Je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie mais restent des images noires de notre police comme la recherche et l’arrestation des opposants au gouvernement de Vichy, la chasse aux résistants et aux réfractaires du STO ou les arrestations massives de juifs, comme celles de l’été 1942.

Face à cette leçon de l’histoire, quel sera demain le comportement des policières et des policiers devant des ordres donnés par un gouvernement certes légal et transmis via leur hiérarchie mais qui sont manifestement et totalement contraires sur le plan démocratique et sur le plan éthique à ce que doit être notre démocratie française ? A juste titre, les syndicats policiers sont très vigilants concernant les ‘droits’ de leurs collègues. Il serait bien qu’ils se saisissent aussi de cette question : « face à un ordre contraire à l’éthique et à notre démocratie, quel est le devoir d’obéissance et de désobéissance des policiers ? ».

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Lors du prochain changement de Président et de majorité au Parlement, une large réflexion sur nombre d’aspects de notre liberté de nous exprimer et de manifester ainsi que sur les rapports que nous voulons organiser entre l’ensemble des citoyens et SA police, devra être engagée.

Que cela soit le plus vite possible !

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** L’approche confrontationnelle du maintien de l’ordre vise avant tout à dissuader la population de participer à des manifestations, que ce soit par épuisement psychologique des participants (pratique de la nasse, blocage ou filtrage des entrées et sorties du parcours, gazage, fouilles au corps, comportements injurieux, nombreuses interpellations et gardes à vue non suivies de poursuites) ou par des violences physiques (LBD, grenades, charges). Cette seconde approche ne traite plus les manifestantes et les manifestants comme des individus à protéger mais comme des « flux » déshumanisés qu’il s’agit uniquement de canaliser, de dévier, de retenir ou d’écouler.

Le récent ‘Schéma national du maintien de l’ordre’ présenté par Gérald Darmanin conforte cette approche confrontationnelle. Et faut-il rappeler qu’il indique que les ordres de dispersion ne connaissent aucune exception et concernent donc les journalistes et les observateurs ? Ceux-ci pourront donc être interpelés lorsqu’ils couvrent des manifestations. Par ces dispositions, la presse et les ONG ne pourront pas témoigner et documenter les violences policières. Gérald Darmanin a vigoureusement rétropédalé sur ce qui a été écrit ; mais à ma connaissance, ce texte n’a pas été modifié !

A l’opposé, l’approche non-confrontationnelle du maintien de l’ordre se concentre sur la protection des manifestants, le dialogue et la désescalade de la violence. C’est celle qui est pratiquée en Allemagne et en Suisse. C’est aussi celle qui est enseignée au centre de formation de la Gendarmerie nationale. Vivement que cela soit aussi celle de la Police nationale. Et que dans toutes les manifestations, elle soit mise en œuvre !

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