Suite aux plaintes reçues, Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, s’est rendu sur le site de la ZAD, dite « Crem’arbre », qui s’oppose à l’abatage d’arbres sur le chantier de l’autoroute Castres Toulouse A69.
Il a rendu un rapport cinglant (en lien ICI) sur « les méthodes de maintien de l’ordre et d’expulsion des défenseurs de l’environnement – surnommés « écureuils » – occupant pacifiquement des arbres sur le site de la « Crem’Arbre » (commune de Saïx) dans le contexte des mobilisations contre le projet autoroutier de l’A69 ».
Michel Forst exprime ainsi « ses vives préoccupations concernant l’interdiction de ravitaillement en nourriture et les entraves à l’accès à l’eau potable » et « la privation délibérée de sommeil par des membres des forces de l’ordre », actions qui entrent toutes deux « dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, visée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des obligations internationales de la France relatives à la Convention contre la torture des Nations Unies ».
Il s’indigne aussi de « la combustion de divers matériaux, l’allumage de feux, le déversement de produits a priori inflammables au pied d’arbres occupés par des « écureuils », par les forces de l’ordre ». Il qualifie ces divers actes de « dangereux voire illégaux […], créant un risque de départ de feu et d’intoxication ».
Monsieur Forst demande ainsi aux autorités françaises que soit accordée « l’autorisation sans délai et sans entrave du ravitaillement en nourriture et en eau potable » et que soient conduites « une enquête et des sanctions pour les actes de privation de sommeil, de combustion de matériaux, d’allumage de feux et de déversement de produits a priori inflammables par les forces de l’ordre, qui ont pu mettre en danger la vie des ‘’écureuils’’ ».
Il insiste aussi que soient prises « toutes les mesures de précautions indispensables à la sécurité des « écureuils » et des membres des forces de l’ordre chargés de leur interpellation ».
Le Rapporteur spécial des Nations Unies s’alarme aussi du fait, qu’il a pu constater en personne, que « la presse et les membres de l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières étaient tenus à une distance importante du site de la « Crem’Arbre », dans une zone avec une visibilité extrêmement limitée ». Il rappelle ainsi que « les obligations internationales de la France, notamment liées au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, comprennent la facilitation de l’exercice de leurs fonctions par les observateurs ».
Ainsi, il « demande également aux autorités françaises de faciliter le travail de la presse et des observateurs, conformément aux obligations internationales de la France ».
Monsieur Forst indique enfin qu’il va procéder à la vérification « d’autres informations très préoccupantes, relatives aux méthodes de maintien de l’ordre pendant les différents rassemblements à proximité du site de la « Crem’Arbre » au cours du mois de février ».
.
Ce rapport est d’autant plus important qu’il peut s’appliquer à quasiment toutes les répressions policières violentes que subissent les militants écologiques partout en France et à la volonté de censure qui les entoure.
A voir aussi le rapport intitulé : « Répression par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementales : une menace majeure pour les droits humains et la démocratie ».
Ce rapport de Monsieur Michel Forst documente « la répression que subissent actuellement en Europe les militants environnementaux qui ont recours à des actions pacifiques de désobéissance civile » ce qui « constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains »
Il poursuit son propos introductif en écrivant que « l‘urgence environnementale à laquelle nous sommes collectivement confrontés, et que les scientifiques documentent depuis des décennies, ne peut être traitée si ceux qui tirent la sonnette d’alarme et exigent des mesures sont criminalisés pour cette raison. La seule réponse légitime au militantisme environnemental et à la désobéissance civile pacifiques à ce stade est que les autorités, les médias et le public réalisent à quel point il est essentiel que nous écoutions tous ce que les défenseurs de l’environnement ont à dire ».
Je reprends ci-dessous le discours que Christophe Cassou, climatologue et l’un des co-auteurs du 6ème rapport d’évaluation du GIEC, a lu le 17 janvier 2024 au Tribunal de Toulouse lors du procès de quatre militants opposés à l’autoroute A69 et à qui il est reproché d’être monté sur des engins de chantier pour empêcher l’abattage d’arbres.
Un texte vraiment remarquable qui est absolument à lire. Certains même devraient l’apprendre par cœur ; je ne nommerai personne mais suivez mon regard qui pointe notamment vers les climatosceptiques, les climato-cyniques, les climato-rassuristes et autres techno-solutionnistes parmi lesquels on trouve nombre de décideurs et décideuses, tant du monde politique que de celui des entreprises.
.
Deux rappels pour bien resituer le contexte de ce procès :
L’article 35 de la Constitution de 1793 (inclue dans notre constitution aujourd’hui) indique que : “quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs“. Quand les autorités, tant nationales que régionales, violent notre droit d’avoir un avenir sain en développant et soutenant des politiques écocides et climaticides, il est de notre devoir de nous insurger et de manifester notre opposition.
L’article Art. 122-7 du Code pénal stipule que : “n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace“. Le dérèglement climatique, c’est aujourd’hui ! Lutter de manière non-violente contre n’importe quel projet destructeur du vivant et de la biodiversité est accomplir des actes destinés à nous éviter un avenir pas si lointain si rien n’est fait où nos conditions de vie seront plus difficiles
.
Procès des Écureuils A69 Autoroute Toulouse-Castres : audience Correctionnelle Tribunal Judiciaire de Toulouse
Citation à témoin, Mercredi 17 Janvier, 14h – Christophe Cassou
2023 est l’année la plus chaude jamais enregistrée sur le globe. En France, elle se classe au 2e rang tout juste derrière 2022, l’année dernière. Les faits sont têtus : au-delà de 2023, ce sont les dix dernières années qui ont été les années les plus chaudes jamais enregistrées sur le globe et il faut très probablement remonter à 125.000 ans pour retrouver une décennie avec un tel niveau de température planétaire.
Le rythme du réchauffement est sans précèdent depuis au moins 2.000 ans. Les changements sont généralisés, rapides, affectent toutes les régions du monde, et ils s’intensifient. Et c’est désormais un fait établi : l’intégralité du réchauffement global observé aujourd’hui est attribuable aux activités humaines et plus précisément à l’usage des énergies fossiles, le pétrole, le gaz naturel et le charbon, puis l’usage et l’artificialisation des sols incluant la déforestation. Pas 50%, pas 80% mais 100% du réchauffement planétaire est dû à l’influence humaine, de manière sans équivoque.
« Sans équivoque » correspond au terme inscrit dans le résumé à l’intention des décideurs du dernier rapport du GIEC, le 6e rapport publié en 2023. « Sans équivoque » désigne une conclusion pour laquelle le niveau de certitude ne peut être plus grand, sur la base d’un ensemble de preuves scientifiques concordantes, tout en étant indépendantes et de nature diverse.
C’est la mission du GIEC, le Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Évolution du Climat, de produire cette évaluation de manière collective, objective et transparente, de produire une méta-analyse dont les points essentiels sont ensuite soumis à approbation aux 195 délégués gouvernementaux représentant les 195 états membres de l’ONU. Chaque mot dans ces résumés écrits par les scientifiques sont âprement discutés par les délégués, chaque expression. Et ayant eu l’honneur de porter collectivement avec mes 234 collègues internationaux le résumé du 6e rapport portant sur les bases physiques du changement climatique, je peux vous assurer que ce qualificatif de « sans équivoque » fut challengé autant que possible.
Il est difficile pour des pays pétroliers comme l’Arabie Saoudite, la Russie, et bien d’autres, d’acter la responsabilité certaine des fossiles à causer intégralement le réchauffement climatique en cours. Et pourtant, les résumés du GIEC sont approuvés à l’unanimité par les 195 délégués. Les critiques et interrogations de ces pays sur le « sans équivoque » n’ont pas résisté à l’amoncellement de preuves toujours plus robustes grâce aux progrès dans les observations du système climatique, aux progrès dans la compréhension des processus physiques, chimiques, biologiques, aux progrès dans les outils et les méthodes de modélisation toujours plus performantes, l’ensemble de ces preuves étant documentées dans la littérature scientifique, et donc traçables.
Différence entre opinions et faits. L’attribution du changement climatique aux activités humaines que je viens de décrire ne correspond pas à mon avis, à mes opinions. C’est un fait scientifique.
Comment expliquer cette attribution formelle et quelle implication pour le futur ?
Les processus physiques et les observations nous montrent que le CO22 s’accumule dans l’atmosphère. Ils nous indiquent que c’est le cumul des émissions de CO2 depuis le début de l’ère industrielle qui détermine le niveau de réchauffement d’aujourd’hui et de demain. Deux conséquences : Premièrement : le changement climatique est un voyage sans retour en territoire inconnu pour l’espèce humaine. Les changements dans les fréquences de canicules, dans l’intensité des pluies diluviennes ou d’autres événements extrêmes, sont actés ; on ne reviendra pas en arrière. Deuxièmement : la seule option pour stabiliser le réchauffement climatique est d’atteindre la neutralité carbone. Cela signifie qu’il ne faut plus qu’aucune molécule de CO2 ne s’accumule dans l’atmosphère.
La neutralité carbone n’est pas un slogan politique, n’est pas un simple défi technologique décidé par les sociétés humaines. C’est une contrainte géophysique non négociable si on veut limiter le changement climatique et ses effets. La relation de proportionnalité entre cumul du CO2 et niveau de réchauffement global, implique que chaque tonne de CO2 compte, que les tonnes de CO2 présentes et futures déterminent le niveau de risque climatique, le niveau de souffrance, le nombre de morts dans les années futures. Je rappelle ici le chiffre d’au moins 60.000 morts additionnels en Europe en lien avec les conditions de chaleur extrême de 2022, une année emblématique d’un climat qui change, un avant-goût de notre climat futur normal en 2050.
Les connaissances nous renseignent aussi sur une propriété physique essentielle. Si nous arrêtons demain les émissions nettes de CO2 dans l’atmosphère, alors la température globale se stabilise immédiatement. Corolaire important : le réchauffement des prochaines années n’est pas lié à une quelconque inertie géophysique mais à l’inertie des sociétés humaines à atteindre la neutralité carbone. Chaque action compte.
Nous avons posé le cadre. Nous avons vu que nous sommes intégralement responsables des changements climatiques en cours. Nous avons vu que nous sommes aussi intégralement en capacité d’agir pour le futur. Où allons-nous ? Dans le mur si l’on ne fait rien.
Les émissions de gaz à effet de serre sont à un niveau record et augmentent chaque année à l’échelle planétaire. Les actions pour le climat montent certes en puissance mais les politiques publiques actuelles sont insuffisantes et nous amènent sur une trajectoire de l’ordre de 3 degrés à l’horizon 2100 en global, 4 degrés en moyenne sur l’année sur la France, autour 5.5 degrés en été sur la France. Sur cette trajectoire, un été de type 2022 est normal dès 2050. Un été de type 2022 est un été frais à partir de 2070, dans moins de 50 ans. Une France à +4oC connaitra ponctuellement des températures de 50 degrés.
Les évaluations scientifiques nous indiquent qu’il faut amplifier les progrès, dépasser les défis et faire sauter les verrous avec la double injonction d’agir sur les causes du changement climatique via des mesures dites d’atténuation, et en même temps d’agir sur les conséquences du changement climatique via des mesures dites d’adaptation.
Le rapport du GIEC nous montre que les changements incrémentaux ne suffisent plus et sans changement fondamental et structurel, immédiatement, soutenu dans le temps et dans tous les aspects de la société, limiter le réchauffement bien en dessous de 2°C, le seuil inscrit dans l’Accord de Paris, sera hors de portée. Le seuil de 1.5 est mort ! Trop tard ! Il sera franchi au début des années 2030, dans moins de 10 ans.
Chaque tonne de CO2 évitée dans l’atmosphère compte car elle empêche un réchauffement additionnel. Et chaque dixième de réchauffement évité compte car il nous éloigne des limites à l’adaptation dont la littérature scientifique en documente l’existence. Préparer la France à un réchauffement territorial de +4 degrés est une nécessité considérant les trajectoires actuelles mais c’est une gageure sur de nombreux aspects.
Pourquoi ? car des seuils d’irréversibilité auront été franchis pour les écosystèmes terrestres et marins et les difficultés seront considérables dans de nombreuses activités en lien avec l’agriculture, l’énergie, la santé dans un contexte planétaire très tendu en présence d’insécurité alimentaire, de compétition sur les ressources, de déplacements de populations et migrations climatiques. A l’inverse, lutter contre le changement climatique, c’est plus de bien-être, avec de nombreux cobénéfices en termes de justice et d’équité sociale, de pratiques inclusives en questionnant les gouvernances et l’accès aux prises de décision vers plus de démocratie, entre autres.
Jusqu’à présent, la communauté des climatologues n’a sous-estimé ni les tendances climatiques, ni les modifications statistiques des aléas comme les canicules, les pluies extrêmes, ni le type de risques attendus sur l’Europe et sur la France, sauf peut-être pour ceux associés aux sècheresses et aux incendies pour lesquels nous avons été probablement conservateurs, en prenant mal en compte les risques en cascade et avec des évaluations trop silotées.
Aujourd’hui, nous percevons et subissons le changement climatique dans notre quotidien. Nous savons où nous allons et avons une idée précise de là où nous ne devons pas aller car les risques sont aujourd’hui bien documentés et la justesse de nos projections depuis 20-30 ans, doit nous inciter à les considérer avec le plus grand sérieux.
Quelle trajectoire pour la France ?
La trajectoire est inscrite en France dans la Stratégie Nationale Bas Carbone, la SNBC, véritable feuille de route pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, avec l’ambition d’atteindre la neutralité carbone en 2050 telle qu’inscrite dans la loi du 8 Novembre 2019 relative à l’énergie et au climat. La loi implique une division au moins par 6 des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, doit concerner tous les secteurs d’activité et doit être portée par tous, citoyens, collectivités et entreprises. De telles ambitions sont impossibles sans pilotage de l’Etat, des Assemblées, des Régions et sans mise en cohérence des politiques publiques. Sur le poste transport, les objectifs de réduction sont de -38% en 2030 par rapport à 2015.
Où en sommes-nous ?
Le Haut Conseil pour le Climat, conseil indépendant mis en place par le Président de la République Emmanuel Macron, démontre factuellement dans tous ses rapports annuels que la dynamique actuelle de réduction des émissions en France est insuffisante. Il faudrait aller 2 fois plus vite et le point noir est précisément le secteur des transports qui ne baisse pas.
Le projet de l’autoroute A69 s’inscrit dans ce cadre national-là. Il s’inscrit aussi dans un cadre régional encore plus exigeant concernant la baisse des émissions du secteur transport car celui-ci représente en Occitanie non pas 32% des émissions comme à l’échelle nationale mais près de 42%. Au lieu de diminuer les émissions, cette nouvelle autoroute A69 conduira à une augmentation certaine des émissions de CO2 et nous verrouillera dans une mobilité basée sur une vitesse élevée et en voiture thermique. Elle conduira comme tout projet autoroutier dans le passé, à l’étalement urbain, à l’augmentation des distances quotidiennes, à des tensions sur le foncier, etc.
A la question, « quel secteur compenserait le dérapage du poste transport à cause de l’A69, afin de respecter le budget carbone global de la région Occitanie, afin de respecter tout simplement la loi », aucun acteur politique soutenant le projet n’a pu apporter une réponse. Les arguments en faveur de l’autoroute portant uniquement sur des considérations socio-économiques s’inscrivent dans une vision de l’aménagement du territoire aux effets escomptés qui ne correspondent pas aux évaluations scientifiques réalisées sur des projets similaires dans le passé, tel que documenté factuellement dans la littérature scientifique et par des acteurs académiques indépendants. Les justifications en matière « d’enclavement » et « développement du territoire » ne sont pas corroborés par les chiffres publics de l’INSEE par exemple pour le taux de précarité de Castres, pour le taux de chômage, etc.
Dans l’A69, la compensation carbone a été mise en avant comme étant la seule façon de prendre en compte les dégradations environnementales. De nouveau, cet argument ne résiste pas aux faits. Les mesures de compensation sont basées sur un principe d’équivalence très contesté par la communauté scientifique étant donné la complexité des écosystèmes et les évaluations qui se multiplient aujourd’hui confirment qu’elles ne sont pas efficaces. Les dommages créés par les aménagements de type autoroute sont immédiats, certains, et vont durer. Les effets de la compensation sont tout le contraire : différés dans le temps, hypothétiques, et impossibles à garantir sur le long terme.
Aujourd’hui, à l’heure où l’état sanitaire de nos écosystèmes en France est préoccupant, communiquer sur la compensation relève du greenwashing. Les chiffres du ministère de l’Agriculture et du Haut Conseil pour le Climat indiquent que nos puits de carbone s’effondrent en France avec une perte de près de 50% en une dizaine d’années. L’argument « planter cinq arbres pour un arbre abattu » est déconnecté de la réalité d’aujourd’hui en matière d’évolution du puits de carbone et des zones humides sur le territoire national. La compensation permet souvent aux acteurs de se dédouaner de leur propre responsabilité par rapport à l’artificialisation des surfaces, aux enjeux fonciers, et à l’atteinte à la biodiversité.
Nous, scientifiques du climat et de la biodiversité, mais aussi scientifiques issus des sciences humaines, sociales, économiques, politiques, avons fait notre part. Nous avons assuré notre mission d’information, de partage de connaissances en confrontant les arguments pour et contre, au service de la décision politique et de l’intérêt général. Au final, aucun acteur ne pourra pas dire qu’il ne savait pas.
Mais aux termes des différents échanges que nous avons eus avec tous les acteurs, nous ne pouvons que constater l’échec des discussions et l’impossibilité de développer des espaces communs de dialogue partagé. De manière délibérée et donc assumée, les faits scientifiques sont soit minorés soit tout simplement pas pris en compte. Il ne s’agit pas de climato-scepticisme mais de climato-cynisme.
Si la science ne peut en aucune façon dicter la décision publique, nous considérons que décider, en ignorant sciemment des connaissances scientifiques clairement établies, est problématique dans une démocratie.
L’ensemble s’accompagne la plupart du temps de vérités alternatives visant à désinformer, à retarder l’action ou maintenir le statu quo pour protéger des intérêts particuliers. Les historiens et les sciences humaines ont depuis longtemps analysé les ressors du déni climatique, dont celui de discréditer la parole des scientifiques. Ces derniers sont souvent taxés de militants sous-entendant qu’ils expriment des opinions ou que leur parole est biaisée par des opinions. La compétence, la légitimité, la crédibilité des personnes est ainsi remise en cause, pour disqualifier leur propos.
Cette démarche de disqualification s’applique aussi aux citoyens qui se mobilisent de manières diverses et qui sont désormais affublés du terme d’éco-terroristes, qui établit un parallèle avec des actes criminels et sous-entend une radicalisation. Ceci est pour le moins paradoxal puisque la plupart des mouvements sont pacifistes et les actions non violentes, comme celle pour laquelle nous sommes ici tous présents. Le parquet anti-terroriste n’a d’ailleurs jamais été saisi.
Dans ce cadre, quelle place et moyen d’action pour le citoyen qui voit qu’une décision politique va avoir une conséquence négative irréversible démontrée et qui essaie dès lors d’empêcher cette décision de s’appliquer ?
De nouveau, les études en sciences humaines et sociales évaluées dans le dernier rapport du GIEC montrent qu’un engagement plus fort de la société civile permet d’accélérer la prise de conscience collective sur les enjeux climatiques, que les mouvements non violents et les actions de désobéissance civile contribuent de manière positive et inspirante au débat démocratique.
On ne parle pas de l’A69 uniquement en Occitanie mais dans toute la France, en Europe, en Suède, au Royaume-Uni, dans le monde, au Brésil, au Costa-Rica. A partir de bases factuelles, la communauté scientifique s’est mobilisée en France de manière inédite contre ce projet de l’A69 avec des tribunes signées par plus de 1500 scientifiques. Pourquoi ?
Parce que ce projet d’A69 est emblématique et devient le symbole de ce qu’il ne faut plus faire. Il coche toutes les cases de la bifurcation impossible révélant les verrous dans la considération des faits scientifiques, dans les visions du monde, dans les idéologies, les structures sociales, les systèmes politiques et économiques, les mécanismes de prise de décision, de gouvernance et les relations au pouvoir, qu’il faut changer pour viser un monde durable et résilient au changement climatique.
Je conclus par 3 phrases tirées des résumés à l’intention des décideurs du 6e rapport du GIEC. Je les lis mot à mot :
La première : Le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire.
La deuxième : Tout retard supplémentaire vis-à-vis d’une action mondiale, concertée et solidaire, nous fera manquer la brève fenêtre d’opportunité que nous avons pour assurer un avenir viable.
Essentiel de rapprocher ces deux phrases avec la définition de l’état de nécessité dans le code Pénal.
La dernière phrase : Les procédures juridiques liés au climat, impliquant par exemple les gouvernements, le secteur privé, la société civile et les particuliers, se multiplient, avec un grand nombre de contentieux dans les pays développés. Dans certains cas, ils ont influencé les décisions et l’ambition de la gouvernance climatique.
Quel que soit son verdict, ce procès de l’A69 ici à Toulouse participe ainsi de manière incrémentale à l’écriture de l’Histoire du 21e siècle.
Une définition qu’on peut donner du système de crédit social chinois est de dire qu’il s’agit d’un système de surveillance et de contrôle de la population, tant les personnes que les entreprises, visant à, soi-disant, améliorer la société en privant arbitrairement certains de ses membres de leurs droits fondamentaux s’ils ne répondent pas aux exigences et aux attentes décrétées autoritairement par le gouvernement.
Ce système se fonde sur un dispositif de surveillance généralisé s’appuyant sur la reconnaissance faciale, de gigantesques bases de données et l’Intelligence Artificielle. En 2021, on compterait en Chine la moitié du milliard de caméras de surveillance installée dans le monde (1). Soit 1 caméra pour 3 chinois !
La dystopie « 1984 » de Georges Orwell, ce cauchemar, est-elle devenue réalité ?
Cela, bien sûr, ne peut pas arriver dans notre monde occidental et en France en particulier. Jamais un système de surveillance, qu’il soit basé sur l’IA ou sur un vulgaire QR Code ne pourra exister dans notre pays.
.
Et pourtant !
Exactement comme en Chine pour ceux n’ayant pas une assez bonne note, les personnes ne disposant pas du bon QR Code ne peuvent pas prendre le train – mais peuvent s’agglutiner dans les bus et les métros.
Exactement comme en Chine pour ceux n’ayant pas une assez bonne note, les personnes ne disposant pas du bon QR Code ne peuvent pas aller au restaurant ou dans n’importe quel lieu culturel.
Exactement comme en Chine pour ceux n’ayant pas une assez bonne note, les personnes ne disposant pas du bon QR Code ne peuvent pas exercer certaines professions. Ou sont licenciées sans pouvoir bénéficier des mesures d’aides pour les personnes au chômage.
Exactement comme en Chine où ceux qui souhaitent gagner des points et améliorer leur note sont encouragés à dénoncer les comportements ‘inadaptés’, voire sont payés pour le faire (2), les dénonciations, les ‘mouchardages’, connaissent une explosion dans notre pays (3).
Pour certains, ici comme ailleurs, cela ne va pas même assez loin ! Et l’imagination pour « emmerder » ceux qui n’ont pas le bon QR Code est visiblement sans limite.
En France, certains voudraient que toutes les personnes sans le bon QR Code soient confinées chez elles et ne puissent pas bénéficier des allocations chômage (4).
Aux USA, le gouvernement américain voulait étendre la possession d’un QR Code valide aux salariés de toutes les entreprises de plus de 100 salariés. Cette décision a toutefois été retoquée par la Cour Suprême (5).
Au Québec, les personnes ne bénéficiant pas du bon QR Code pourraient se voir privées d’allocations chômage. Au Québec où des mesures particulièrement restrictives et coercitives touchant toute la population ont été mises en place : couvre-feu, rassemblements privés interdits, fermeture des restaurants, des lieux de culte, des commerces non-essentiels, des écoles (6). L’interdiction de la vente de l’alcool aux personnes n’ayant pas le bon QR Code est à l’étude (7). Par contre, l’idée d’instituer une taxe pour les personnes ne possédant pas le bon QR Code en raison, justement, de leur ‘non-possession du bon QR Code’ semble abandonnée (8).
La liste est longue : Italie (QR Code exigé dans les transports en commun, bus, métros, trains régionaux), Grèce (amende mensuelle pour les Grecs de plus de 60 ans n’ayant pas le bon QR Code), Lettonie (licenciement possible) … Mais aussi Philippines (arrestation de ceux qui ne respectent pas l’obligation de rester chez eux) et Singapour (hospitalisation en soin intensif à leur frais de ces personnes) … Mais mon but n’est pas de me lancer dans un long inventaire.
.
Mon but n’est pas non plus de polémiquer sur la pertinence de ces mesures au regard de l’efficacité des dits-vaccins qui nécessitent rappel sur rappel ni sur le fait qu’une grande majorité des habitants de notre planète ne sont pas vaccinés, permettant ainsi une libre circulation du virus ; virus qui circule d’ailleurs tout aussi librement dans les pays ayant des taux de vaccination élevés.
Ni sur le fait que la fin de l’utilisation du QR Code et autres mesures restrictives et privatrices de liberté – qui n’ont pas fait la preuve de leur réelle efficacité sanitaire – s’amorce : en Israël, en Grande-Bretagne, en Catalogne, en Norvège, en Suède, au Danemark…
Ni sur l’attitude de nos médias mainstream. Au Danemark, une éditorialiste s’interroge sur le fait de « ne pas avoir remis en question les données ni le récit du gouvernement concernant le Covid-19 » et que « pendant presque deux ans, nous – la presse et la population – avons été presque hypnotiquement préoccupés par le récit Covid quotidien des autorités » (9). Je n’arrive pas à imaginer une telle tribune dans Le Figaro, Le Monde ou Libération (par ordre alphabétique) ou sur Antenne 2, BFM, CNews ou TF1.
.
Non ! J’ai par contre une énorme interrogation qui porte sur le niveau d’acceptation de ces mesures par les populations de nos pays dits-démocratiques, sur leur soumission à ces règles souvent édictées en dehors de tout débat démocratique.
Et cela me fait irrémédiablement penser à Stanley Milgram et à son expérience sur la soumission à l’autorité.
Pour ceux qui ont une hésitation, je rappelle que cette expérience se présente sous le trait d’une expérimentation sur la mémoire. En cas de réponse erronée à une question, l’enseignant (le volontaire) doit envoyer une décharge électrique à un apprenant (en fait, un comédien) sous la supervision d’un technicien (un autre comédien) ; les décharges devant être de plus en plus fortes (et violentes) au fur et à mesure du déroulement de la séance et des réponses fausses de l’apprenant.
Environ deux-tiers des volontaires à cette expérience – parfois plus de 80% – déclenchent des chocs électriques d’un niveau spécifié comme dangereux puis à des niveaux supérieurs, potentiellement mortels.
Dans ses écrits, Stanley Milgram fait fréquemment référence au comportement de la plupart des Allemands sous l’Allemagne nazie. Il soutient aussi Anna Arendt quand, dans ses écrits sur le procès d’Adolf Eichmann, elle parle de l’abandon du pouvoir de penser pour ne plus qu’obéir aux ordres, de « la terrible, l’indicible, l’impensable banalité du mal ».
Ne sommes-nous pas dans une même configuration, certes moins extrême mais, toutes proportions gardées, similaire ?
Obéissance aveugle à l’autorité qu’elle soit légitime ou pas : le mode de gouvernance au sein d’un Conseil de défense dont les délibérations sont secrètes, interpelle dans une société démocratique ; la validation des décisions par une cohorte de députés LREM, MODEM et AGIR aux ordres, sans débat démocratique authentique et sans aucun respect des opinions et propositions contraires, interpelle tout autant.
Absence complète d’esprit critique et totale soumission, sans aucune réflexion propre, au récit délivré par les gouvernants. Soumission notamment fondée sur la peur et sur le rejet de l’ennemi – aujourd’hui, celui qui n’a pas le bon QR Code.
Absence de culpabilité quoi que nous fassions, même si c’est en conflit avec notre conscience, contraire à notre morale et notre éthique, opposé à ce que nous pensons être juste et ‘bien’, puisque « nous ne faisons qu’obéir à un ordre ».
.
Cela fait résonner encore plus cette citation d’Étienne de la Boétie : « les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ».
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui préface notre Constitution déclare, dans son article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression » ; c’est moi qui souligne les deux mots, ‘liberté’ et ‘sûreté’.
Mais il faut tout d’abord bien distinguer la sûreté et la sécurité.
La sécurité est un terme qui, ces dernières années, est surutilisé et ainsi largement galvaudé. Il en est même devenu, en son nom et pour son nom, prétexte, quand ce n’est synonyme, de droits réduits, de procédures judiciaires assouplies, de décisions administratives limitant les libertés, de surveillances et de contrôles sans cesse croissants, de dispositifs de plus en plus répressifs.
La sûreté, telle qu’elle était entendue par les rédacteurs de 1789, est la garantie qu’apporte l’Etat que nous puissions exercer de façon pleine et entière nos droits et nos libertés individuelles et collectives, que nous puissions exercer notre liberté telle qu’elle est inscrite dans notre devise nationale et sur le frontispice de nos bâtiments publics.
Depuis sa rédaction, des réductions et limitations ont toutefois été apportées à la liberté, par arbitrage souvent avec une autre valeur constitutionnelle.
Sachant que toute nouvelle limitation et toute nouvelle restriction à notre liberté et à nos droits et libertés s’appuient sur des limitations et des restrictions antérieures. Et qu’elles sont généralement acceptées, comme par un effet de mithridatisation, d’accoutumance.
.
Dans son arrêté du 5 août qui valide l’extension du passe sanitaire, le Conseil Constitutionnel reconnait que certains éléments du texte de loi « portent atteinte à la liberté d’aller et venir » et « au droit d’expression collective des idées et des opinions ». Dit autrement : certains éléments de la loi portent atteinte à nos libertés individuelles et collectives, à notre liberté. Ou encore qu’ils constituent une mesure discriminatoire dans la mesure où ils créent deux catégories de citoyens avec comme discriminant l’état de santé ; ce qui est constitutionnellement prohibé.
Mais le Conseil Constitutionnel les valide car « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19 ». Il les justifie au nom d’une « conciliation équilibrée » entre les exigences de protection de la santé et les libertés individuelles.
La poursuite de « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » des citoyens est donc mise en avant pour justifier une limitation des droits et des libertés.
Le Conseil Constitutionnel met en avant ce même objectif face à cette autre garantie constitutionnelle qu’est « la sécurité matérielle ». Tout chef d’entreprise doit suspendre le contrat de travail – et donc la rémunération – puis licencier tout salarié ne présentant pas un passe sanitaire ; le privant ainsi de toute ressource, de tout moyen de subsistance pour lui, voire pour toute sa famille ! Et chantage dans le chantage, tout salarié licencié pour ce motif n’aura pas droit aux indemnités chômage. Le privant donc pour longtemps, vue la situation de l’emploi en France, de tout moyen de subsistance pour lui, voire pour toute sa famille !
Tout comme il avait mis en avant la protection des citoyens face à la menace terroriste, leur sécurité, dans ses avis rendus sur la transposition dans la loi ordinaire des dispositions de l’Etat d’urgence ou sur les lois Renseignement.
.
Mais quelle sera la position du Conseil Constitutionnel si le gouvernement demande que l’usage du passe sanitaire soit poursuivi au-delà du 15 novembre, prouvant alors en creux son peu d’efficacité au regard au regard de ses objectifs annoncés de freinage de la propagation de l’épidémie et de limitation de la surcharge dans les hôpitaux ?
Mais quelle sera la position du Conseil Constitutionnel si l’intérêt général tel que l’Etat le définit n’est plus sanitaire ou sécuritaire /anti-terroriste ? Si cet ‘intérêt général’ est politique ou économique ? Si l’Etat / le législateur souhaite utiliser les mêmes leviers pour combattre une attaque terroriste ou une crise économique ou une opposition politique ?