Le résultat de la COP 16 Biodiversité en Colombie : oui… mais non !

Avertissement : ne pas hésiter à voir l’encadré en fin de cet article et ses quelques rappels permettant de bien le recontextualiser.

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La COP 16 à Cali en Colombie avait la charge de faire passer des mots à l’action.

Elle a enregistré quelques avancées significatives

mais des engagements importants pris antérieurement n’ont pas été tenus.

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La Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (COP16) vient de se terminer. Elle était une bonne occasion pour la Colombie de se faire connaître autrement que pour les trafics de drogue, les conflits armés internes ou pour le nombre très élevé des assassinats de défenseurs de l’environnement, principalement des militants des communautés autochtones et paysannes [i].

La Colombie est le quatrième pays le plus riche en biodiversité et elle est la plus diversifiée en termes d’espèces d’oiseaux, de papillons et d’orchidées ; on estime possible d’y trouver 19% des espèces d’animaux de la planète. Elle est ainsi l’un des 17 pays ‘mégadivers’ (‘megadiverse’ en anglais) présents à Cali.

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Des points positifs,

Un accord majeur a été officialisé lors de la COP 16 : la création d’un organe permanent de la Convention sur la diversité biologique représentant les peuples autochtones. Ceux-ci représentent un peu plus de 6% de la population mondiale mais occupent 22% des terres de la planète abritant plus de 80% de la biodiversité mondiale. Le savoir traditionnel de ces peuples, souvent en première ligne pour la protection de la biodiversité et la préservation des écosystèmes contre des intérêts économiques à court-terme (et de courte-vue), est reconnu comme un atout essentiel et en sort sensiblement renforcé. Cet organe leur permettra d’avoir un statut plus important dans les futures négociations liées à la nature et au climat.

Un partage avec les populations locales, y compris avec les peuples autochtones, des bénéfices issus de la « biopiraterie », à savoir l’exploitation économique des ressources naturelles de pays en développement, par le séquençage numérique de l’ADN de plantes, d’animaux ou de microorganisme qui sont spécifiques à ces territoires, a été trouvé. Le texte adopté stipule que les industries pharmaceutiques, cosmétiques, agricoles, alimentaires et biotechnologiques qui utilisent ces ressources devront verser 0,1 % de leur revenu ou 1 % de leurs bénéfices dérivés des données génétiques de la nature au nouveau « Fonds Cali ». Mais ces seuils ne sont qu’indicatifs et il n’y a aucune obligation pour ces entreprises d’y contribuer. Ce qui, on ne peut que le craindre, risque de limiter très fortement le montant de ces versements.

Un texte important qui place la biodiversité au même niveau que la décarbonisation et le changement climatique a aussi été adopté. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES – l’équivalent du GIEC pour la biodiversité) indique dans ses travaux que le changement climatique est une des causes majeures directes du déclin de la biodiversité Cette décision doit permettre de créer des synergies pour solutionner de façon globale et sans (trop) les hiérarchiser ou les opposer les différentes problématiques. Elle devrait aussi permettre une plus grande attention politique et médiatique qu’aujourd’hui aux COP Biodiversité.

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Mais aussi, un échec partiel concernant les engagements des états,

Les stratégies et les plans d’action nationaux de préservation de la biodiversité alignés sur les mesures de l’accord adopté lors de la COP15 à Montréal devaient être présentés à la COP 16. Or seuls 44 des 196 pays ont établi un plan national pour enrayer la perte de biodiversité et pour répondre aux menaces qui pèsent sur elle. Dans le même temps, 119 ont déposé des engagements sur tout ou partie des 23 objectifs du Cadre mondial de Kunming Montréal ; ce document, moins conséquent, était demandé aux pays qui n’ont pas terminé d’élaborer leur stratégie.

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Et un échec majeur sur un sujet primordial : celui des financements.

Les financements en provenance des états des pays riches pour la protection et la restauration de la nature, affichés à hauteur de 20 puis 30 milliards de dollars par an aux horizons 2025 et 2030 à Montréal, sont très éloignés de l’objectif. Les engagements à l’alimentation du Fonds mondial pour la biodiversité (GBFF en anglais) se montent à seulement 400 millions de dollars. Les financements du secteur privé sont quant à eux quasi-totalement absents.

Il faut rappeler que les financements en provenance de toutes les sources (publiques, privées, philanthropiques, domestiques, innovantes sous la forme de taxes, etc…), et allant des pays du Nord vers ceux du Sud afin qu’ils investissent pour protéger et restaurer la biodiversité, sont estimés devoir être de l’ordre de 200 milliards de dollars par an. On en est très loin.

Plus globalement, la prise de conscience par le secteur privé de l’effondrement de la diversité biologique parait très limitée. Autant les dépendances, les impacts (négatifs et éventuellement positifs) et les risques posés par le changement climatique et ses conséquences commencent à être pris en compte aussi bien par les différents acteurs que par les banques et, surtout, par les assureurs, autant ceux liés à la dégradation de la biodiversité et aux destructions des écosystèmes semblent encore, au-delà de la communication sur leurs ambitions, peu pris en compte dans la réflexion stratégique des entreprises, des investisseurs et de leurs financeurs.

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Une COP inachevée.

Le nombre de délégués encore présents étant insuffisant pour constituer le quorum, les débats ont été interrompus le matin du samedi 2 novembre, après près de 24h non-stop de discussions. La clôture formelle des travaux de la COP16 a alors été reportée à une date ultérieure.

Les délégations présentes à Cali n’ont ainsi pas pu se mettre d’accord sur la création d’un nouveau fonds, réclamé par les pays du Sud qui considèrent que le fonds actuel est difficile d’accès, qu’il n’est pas favorable à leurs intérêts et qu’il bénéficie davantage aux pays émergents comme la Chine et le Brésil. Abordé en toute fin de réunion, cette question importante n’a pas pu être réglée.

La problématique des « crédits biodiversité » visant à ‘récompenser’ des actions bénéfiques aux écosystèmes, n’a pas été solutionnée. L’un des 23 objectifs de l’Accord de Kunming-Montréal prévoit en effet la recherche de systèmes innovants tels que « les crédits et les compensations en matière de biodiversité ». Ce dispositif est très fortement controversé ; peut-on se dire qu’on peut détruire « ici » si l’on compense « ailleurs » ? Entre ceux qui ne souhaitent pas que ces crédits soient utilisés pour de la compensation et ceux (i.e. les acteurs économiques) qui pensent qu’ils en ont besoin pour compenser, le débat est vif. Ceci d’autant plus que le bilan très critiqué (car très critiquable) des crédits-carbone octroyés en contrepartie de tonnes de CO2 évitées ou (trop souvent soi-disant) absorbées, est dans tous les esprits. La question de savoir si ces crédits peuvent participer à la cible de 200 milliards de dollars du Fonds mondial pour la biodiversité n’a également pas été tranchée.

Autre conséquence de la suspension des travaux de la COP 26 : le mécanisme de pilotage et de suivi des stratégies et plans nationaux pour la biodiversité (cf. supra) n’a pas été adopté. Il devait fixer les règles et les indicateurs de suivi devant permettre d’établir un premier bilan de ces actions lors de la COP 17 en 2026 à Erevan en Arménie.

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Une fois encore, les engagements pris par les Etats n’ont pas été tenus.

Une fois encore, on n’est pas passé de la parole aux actes. On n’est pas passé des ambitions aux actions qui permettent de les réaliser.

Malgré les engagements pris il y a deux ans à Montréal, les pays les plus riches n’ont pas apporté au Fonds mondial pour la biodiversité les sommes promises. Et tous les Etats ont collectivement échoué à mettre en place les mécanismes permettant de mobiliser les financements nécessaires pour protéger la biodiversité sur le long terme.

Trop peu d’Etats par ailleurs ont réussi à finaliser leurs stratégies nationales pour la protection et la restauration de leurs écosystèmes terrestres et marins.

Cet échec est d’autant plus critiquable que la signature d’accords internationaux engage les Etats signataires. Que ce soit l’Accord de Kunming-Montréal de 2022[ii] ou le Pacte pour l’Avenir [iii] qui a été adopté il y a tout juste quelques semaines. Dans sa mesure 9-e, ce Pacte fait expressément référence au Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal quand il indique qu’il est « important de préserver, protéger et restaurer la nature et les écosystèmes ». Il demande aussi à « redoubler d’efforts pour restaurer, protéger, conserver et utiliser durablement l’environnement » (mesure 10). Et pourtant…

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Un avenir un peu plus sombre depuis quelques jours

L’élection de Donald Trump, pour qui le réchauffement climatique est « One of the greatest scams of all time » (« une des plus grandes arnaques de tous les temps ») et qui est un ardent défenseur des énergies fossiles, assombrit l’avenir de l’ensemble des négociations relatives au climat et à la biodiversité. Il est très probable que, comme cela avait été le cas en 2017, les Etats-Unis se retirent de l’Accord de Paris ; ce qui peut se faire par simple décret présidentiel. Le retrait des conventions conclues à Rio de Janeiro en 1992 (Convention-cadre sur le changement climatique dont l’Accord de Paris n’est qu’un des textes d’application, Convention sur la diversité biologique, Convention contre la désertification), ne peut être totalement exclu. La sortie de ces traités fondateurs de toute la diplomatie climatique et environnementale nécessite toutefois d’obtenir une majorité des deux-tiers du Congrès étatsunien.

Cependant, de premiers effets négatifs pourraient apparaître dans les tous prochains jours, à la COP29 sur le climat de Bakou où l’un des enjeux centraux des discussions porte sur les financements mis en place par les pays occidentaux principaux responsables du réchauffement climatique à destination des pays en développement qui en sont les plus victimes. L’augmentation des engagements climatiques est rendue encore plus difficile par la sortie tout à fait possible des Etats-Unis, premier bailleur de fonds ; Etats-Unis qui sont, par ailleurs, le premier contributeur historique au changement climatique et aujourd’hui encore, le deuxième contributeur chaque année.


[i]  https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20241024-quelque-361-d%C3%A9fenseurs-de-l-environnement-ont-%C3%A9t%C3%A9-assassin%C3%A9s-en-six-ans-en-colombie

[ii]  Rappelons que les Etats-Unis ne sont pas signataires de cet accord.

[iii]  Texte du Pacte pour l’Avenir : https://digitallibrary.un.org/record/4061879?v=pdf#files 



Quelques rappels utiles  
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A l’issue du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en juin 1992, 3 conventions ont été ratifiées :
— La convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ; la CCNUCC organise tous les ans la COP (Conférence des Parties) sur le climat. La COP 29 à Bakou en Azerbaïdjan qui s’ouvre le 11 novembre 2024 devrait être dominée par les enjeux de financement dont la mise en place d’un ‘nouvel objectif collectif quantifié de financement climatique’ (NCQG) ; celui-ci vise à accroître les contributions des pays développés.
Il faut rappeler à ce sujet qu’en 2009, ces derniers s’étaient engagés à « fournir et mobiliser » la somme emblématique de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 ; cet objectif n’a été atteint qu’en 2022.
— La convention des Nations unies sur la diversité biologique dans le cadre de laquelle des Conférences des Parties sont organisées tous les deux ans. Elle a pour but de protéger, restaurer et utiliser de manière durable la biodiversité à l’échelle internationale. La COP16 sur la biodiversité (objet du présent article) s’est tenue à Cali en Colombie en octobre 2024.
— La convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification ambitionne d’accélérer les actions de restauration des terres et de résilience à la sécheresse.
Aujourd’hui, jusqu’à 40% des terres de la planète sont dégradées, ce qui affecte la moitié de l’humanité et a des conséquences désastreuses sur ses moyens de subsistance. La COP 16 contre la désertification est programmée en décembre 2024 à Ryad en Arabie Saoudite.
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Ces conventions ont pour objet la nature dans sa globalité, dans son ensemble. La crise planétaire que nous connaissons a de multiples aspects (réchauffement, augmentation de la température et de la salinité des océans, recul des glaciers et des banquises, perte de biodiversité, disparition d’espèces, destruction d’écosystèmes, pollutions, avancée des déserts, évènements climatiques extrêmes plus nombreux et plus intenses…). Tous sont liés ; tous sont étroitement imbriqués.  
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A l’issue de la COP 15 Biodiversité en 2022, le Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal a été conclu.
23 objectifs ont été actés parmi lesquels la protection d’au moins 30 % des zones terrestres et marines de la planète d’ici à 2030, la réduction de moitié de l’usage de pesticides à cette même échéance, la mise en œuvre par chaque état de plans d’actions pour la protection de la nature et la restauration des écosystèmes dégradés et la mobilisation de 200 milliards de dollars de dépenses annuelles pour la nature dont le transfert annuel par les pays les plus riches à destination des pays en développement d’au moins 20 milliards de dollars par an à l’horizon 2025 et au moins 30 milliards de dollars d’ici 2030.  
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Un pays ‘mégadivers’ (‘megadiverse’ en anglais) est un pays sur lequel se trouve une très grande diversité biologique ; on y trouve de grandes quantités d’écosystèmes et des milliers de formes de vie endémiques (i.e. qui sont propres à ces territoires), tant végétales que d’animaux terrestres et marins.
Les 17 pays mégadivers identifiés à la COP 16 sont l’Afrique du Sud, l’Australie, le Brésil, la Chine, la Colombie, l’Équateur, les Etats-Unis (qui n’ont pas signé l’accord de Kunming-Montréal), l’Inde, l’Indonésie, Madagascar, la Malaisie, le Mexique, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Pérou, les Philippines, la République démocratique du Congo et le Venezuela.
Ils contiennent environ 70% de toute la biodiversité mondiale.  

Le Pacte pour l’Avenir

Le Pacte pour l’Avenir, vous connaissez ?

Avez-vous entendu parler du Sommet de l’Avenir, qui s’est tenu les 22 et 23 septembre derniers au siège de l’ONU, à New York ? Et du « Pacte pour l’Avenir », adopté à l’unanimité par les 193 États membres à la suite de ces discussions impliquant des représentants de gouvernements, de la société civile, des secteurs privé et public, du monde universitaire et d’ONG ? Très probablement non. Faites une recherche sur Qwant ou Google, et vous serez surpris du faible nombre de références autres que celles émanant des institutions de l’ONU. Ce texte particulièrement ambitieux reste ainsi hors des radars médiatiques et du débat citoyen. Cette absence de couverture médiatique interroge, d’autant que les sujets abordés dans le Pacte pour l’Avenir touchent à des questions centrales de notre époque.

Le Pacte pour l’Avenir se veut pourtant une feuille de route pour l’action collective des États dans cinq grands domaines : le développement et le financement durables, la paix et la sécurité internationales, l’égalité numérique, la jeunesse et les générations futures, et la gouvernance mondiale. À ces domaines s’ajoutent des sujets cruciaux comme la lutte contre la crise climatique, les droits humains et l’égalité des sexes. Tous sont au cœur de l’actualité et constituent des enjeux de première importance, certains étant même devenus particulièrement urgents.

Deux actions parmi une soixantaine.

Loin de moi l’idée de lister au fil d’une longue énumération l’ensemble de ces actions ; la présentation en une phrase de chacune d’entre elles dans le rapport[1] est très explicite. Mais je voudrais mettre en exergue deux des objectifs retenus.

Tout d’abord, dans le domaine de la « paix et la sécurité », les deux premières de la quinzaine d’actions répertoriées[2] mettent l’accent sur la volonté de « redoubler d’efforts pour construire des sociétés pacifiques, inclusives et justes et pour [s]’attaquer aux causes profondes des conflits » et de « protéger toutes les populations civiles dans les conflits armés ». Cela peut sembler n’être que de pieux vœux à un moment où se déroulent les conflits les plus meurtriers. Mais il s’agit dans cet axe, au-delà d’une réponse aux guerres actuelles, qu’elles soient déclarées, larvées ou potentielles et à un moment où les défis sont multiples, de définir les bases d’un nouvel ordre pacifique mondial fondé sur la justice, l’équité et la coopération.

Concernant les ‘développement et financement durables’, le Pacte pour l’Avenir vise la sortie des énergies fossiles et réaffirme les objectifs de l’Accord de Paris. Cet objectif[3] avait un temps été retirée sous la pression des ‘pétro-Etats’ avant d’être réintégrée face notamment à la grogne de la société civile et des ONG appuyées par plusieurs états. Elle appelle ainsi à renforcer les efforts visant à « l’abandon des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques […] de manière à parvenir à un bilan net nul d’ici à 2050 en matière d’émissions de gaz à effet de serre ». L’abandon progressif des énergies fossiles inclut dans l’accord final de la COP 28 de Dubaï en décembre 2023 est ainsi confirmé.

Des raisons de douter…

Le Pacte pour l’Avenir, bien qu’adopté à l’unanimité, n’a pas de caractère contraignant. Malgré le ton très volontariste adopté : « Action 1 : we will… ; Action 2 : we will… ; … » : « Nous allons… ; nous allons… ; nous allons… », on peut tout à fait craindre qu’il s’agisse davantage d’une liste d’intentions que d’un véritable plan d’action. Et on peut tout autant douter de ces engagements pris sans contraintes juridiques, sans engagements financiers et sans ‘obligations de résultats’, notamment en matière de paix, de justice sociale ou d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Ceci alors même que les conséquences de la timidité, quand ce n’est du manque, des actions entreprises sont bien réelles et qu’elles se traduisent par une quasi-banalisation des conflits y compris les plus meurtriers, des inégalités croissantes tant entre le Nord et le Sud qu’au sein de chaque pays, des écosystèmes de plus en plus fragilisés quand ils ne sont détruits et des millions de personnes qui subissent déjà, aujourd’hui, les effets du dérèglement climatique.

On peut aussi légitimement se poser la question de savoir quelle place réelle ce Pacte occupera dans les décisions des mois et années à venir. Approuvé par l’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement, on ne peut qu’espérer qu’il ne soit pas ignoré lors des prochains grands sommets programmés ces prochains mois : COP 16 sur la diversité biologique en Colombie fin octobre ; G20 au Brésil en Novembre ; COP 29 sur le climat en Azerbaïdjan en novembre également ; COP 16 sur la lutte contre la désertification en décembre à Ryad ; Conférence des Nations Unies sur les pays en développement sans littoral au Botswana en décembre. Ou lors de l’évaluation des prochaines ‘Contributions déterminées au niveau national’ qui se trouvent au cœur de l’Accord de Paris et qui doivent être rendus d’ici février 2025.

Ce Pacte pourrait aussi être utilement rappelé lors des discussions sur les conflits en cours à l’ONU, devant la Cour Internationale de Justice ou à la Cour Pénale Internationale.

Mais on ne peut que constater que nombre d’Etats, s’ils ont validé les engagements du Pacte pour l’Avenir, adoptent devant d’autres instances internationales des positions qui y sont en flagrante contradiction. Trop souvent, les intérêts court-terme, qu’ils soient commerciaux, électoraux, géopolitiques, financiers, diplomatiques… sont autant de prétextes pour renier les principes validés en d’autres lieux.

Le Pacte pour l’Avenir a le mérite d’exister. Et il pose, soit explicitement, soit en filigrane, un certain nombre de questions. Quelle efficacité pour une gouvernance mondiale qui ne repose que sur des engagements non contraignants ? Comment faire primer les objectifs de justice, d’équité, de solidarité, de coopération quand chaque Etat, chaque entreprise multinationale, chaque acteur économique, chaque groupe d’intérêts poursuit ses seules priorités et ses seuls objectifs, trop souvent à court terme ? Quelles doivent être les transformations des structures, des systèmes et des modèles économiques dominants aujourd’hui ? Et les évolutions des mécanismes de financement dans le contexte d’une solidarité globale ?

Alors, oui ! On ne peut qu’éprouver une certaine perplexité et même un certain scepticisme quant à l’efficacité de ce texte et de ses engagements pris pour l’avenir.

Mais, malgré tout, des raisons d’espérer.

Il ne faut cependant pas oublier que des textes de portée très large ont conduit des années après, à des avancées internationales importantes. Ainsi du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en juin 1992 qui commence à déboucher sur des actions concrètes et des engagements des Etats ; engagements qui, malheureusement, sont parfois encore plus ou moins fermes et toujours plus ou moins à géométrie variable.

La Convention-cadre des Nations Unis sur les changements climatiques issue du Sommet de la Terre a, entre autres, conduit dès 1997 au Protocole de Tokyo qui a introduit l’engagement de certains pays de limiter leurs émissions de GES puis, en 2015 à l’Accord de Paris, aux engagements qui y ont été pris (notamment l’objectif de long terme de limiter le réchauffement global bien en dessous de 2 °C tout en visant 1,5 °C) et au suivi qui a été institué au travers des ‘‘Contributions déterminées au niveau national’. Créée également à Rio, la Convention des Nations-Unis sur la diversité biologique a débouché en 2022 à l’adoption de l’Accord de Kunming-Montréal qui, par le biais de 23 objectifs, fixe un cadre à l’action internationale face à la crise de la biodiversité et vise à enrayer la destruction de la nature par les activités humaines ; la COP 16 Biodiversité à Cali en ce mois d’octobre 2024 a pour but de faire avancer la mise en œuvre de cet accord.

Par ailleurs, dans le cadre de ces deux conventions des Nations-Unis, des outils de financement ont vu ou voient le jour. Ainsi, à Bakou en Azerbaïdjan, les enjeux de financement devraient dominer. Un Nouvel Objectif de Financement Climatique (NCQG en anglais) devrait venir remplacer d’ici 2025 le Fonds Vert pour le Climat et la promesse de 100 milliards de dollars fournis chaque année par les pays développés aux pays en développement pour les aider à faire face au changement climatique. De même, à Cali, la création de fonds spécifiques pour la biodiversité avec notamment l’atteinte des 20 milliards de dollars promis pour 2025 est à l’ordre du jour.

Mais ces évolutions sont trop lentes et prennent trop de temps.

Plus le temps passe, plus la liste de victimes, directes et indirectes, des conflits en cours s’allonge démesurément. Plus le temps passe, plus les quantités de GES émises par les êtres humains dans l’atmosphère augmentent avec toutes les conséquences, diverses et multiples, que nous connaissons déjà et que nous pouvons augurer ; et plus le temps passe, plus nous prenons de retard pour adopter les mesures nécessaires pour y remédier. Plus le temps passe, plus les inégalités de toutes sortes progressent et affectent de plus en plus de personnes sur la Terre. Plus le temps passe…

Le Pacte pour l’Avenir existe. Il ne doit pas n’être qu’un catalogue de vœux pieux mais il doit constituer une véritable feuille de route. Sa suite est à écrire le plus rapidement possible !


[1] Texte du Pacte pour l’Avenir : https://digitallibrary.un.org/record/4061879?v=pdf#files  

[2] Cf. les actions 13 et 14 du Pacte.

[3] Objectif inclus dans l’action 9 du Pacte.


Cet article peut aussi être consulté sur le site de l’Institut Rousseau : https://institut-rousseau.fr/pacte-pour-avenir/

Non, Monsieur Netanyahou, ce n’est pas être antisémite que de constater…

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Quelques belles et justes paroles de Bernie Sanders concernant la guerre menée par Israël à Gaza.

Et à mon humble avis, encore beaucoup de choses pourraient être dites…

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«« Non, Monsieur Netanyahou, ce n’est pas être antisémite ou pro-Hamas que de constater qu’en un peu plus de six mois, votre gouvernement extrémiste a tué 34 000 Palestiniens et en a blessé plus de 78 000, dont 70 % de femmes et d’enfants.

Ce n’est pas être antisémite que de faire remarquer que vos bombardements ont complètement détruit plus de 221 000 logements à Gaza, laissant plus d’un million de personnes sans abri, soit près de la moitié de la population.

Ce n’est pas être antisémite que de dire que votre gouvernement a anéanti les infrastructures civiles de Gaza, les réseaux électriques, de distribution d’eau et d’égouts.

Ce n’est pas être antisémite que de constater que votre gouvernement a anéanti le système de santé de Gaza, mettant 26 hôpitaux hors service et tuant plus de 400 travailleurs de la santé.

Ce n’est pas être antisémite que de condamner la destruction par votre gouvernement des 12 universités de Gaza et de 56 de ses écoles, des centaines d’autres ayant été endommagées, privant ainsi 625 000 étudiants de toute possibilité d’éducation.

Ce n’est pas être antisémite que d’être d’accord avec pratiquement toutes les organisations humanitaires pour dire que votre gouvernement, en violation de la loi américaine, a bloqué de manière délibérée l’aide humanitaire arrivant à Gaza, créant ainsi les conditions dans lesquelles des milliers d’enfants sont confrontés à la malnutrition et à la famine.

M. Netanyahou, l’antisémitisme est une forme ignoble et révoltante de racisme qui a causé un tort indescriptible à des millions de personnes.

Mais s’il vous plaît, n’insultez pas l’intelligence du peuple américain en essayant de nous faire oublier les pratiques de guerre immorales et criminelles de votre gouvernement extrémiste et raciste.

N’utilisez pas l’antisémitisme pour détourner notre attention des accusations criminelles dont vous faites l’objet devant les tribunaux israéliens.

M. Netanyahou, ce n’est pas être antisémite que de vous tenir pour responsable de vos actes. »»

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Le lien vers l’intervention de Bernie Sanders :  https://www.youtube.com/watch?v=vzhdPsCgrjU 

Finance Watch : Réduire les risques financiers liés au financement des énergies fossiles par les banques françaises

J’ai l’honneur d’être l’un des co-auteurs de cette étude de Finance Watch, organisation non-gouvernementale européenne, dont la vocation est « de contrebalancer le lobby de l’industrie financière ».

ICI le lien vers le rapport en anglais.

Ci-dessous son résumé en français.

PS : les grands esprits se rencontrent ! Cette étude rejoint dans ses préconisations, celles formulées par l’Institut Rousseau dans sa réponse à la consultation du Comité de Bâle en mars 2022. (à voir ICI sur ce blog ou LA sur le site de l’Institut Rousseau)

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1 350 milliards de dollars d’expositions aux risques liés aux énergies fossiles et une sous-évaluation des risques

Les instances de surveillance du secteur bancaire sont de plus en plus préoccupées par les liens entre les changements climatiques et la stabilité financière. Le financement bancaire du secteur des énergies fossiles se situe au coeur du problème : en effet, les énergies fossiles sont le principal facteur d’accélération des changements climatiques, et de nombreux actifs associés aux énergies fossiles (« actifs fossiles ») devront être abandonnés avant la fin de leur durée de vie économique (« actifs échoués ») pour assurer la transition vers une économie neutre en carbone.

Finance Watch estime que les 60 plus grandes banques du monde sont exposées à des risques d’un montant d’environ 1 350 milliards de dollars liés à des actifs fossiles dans leurs bilans. Cette somme colossale est supérieure au montant des actifs à risque (« subprimes ») auxquels étaient exposées les banques juste avant la crise financière mondiale, et les instances de surveillance constatent que les risques actuels liés aux énergies fossiles ne sont pas encore pleinement pris en compte dans les exigences de fonds propres des banques. Cela pourrait compromettre la solvabilité et la stabilité financière des banques lorsque les risques liés au climat deviendront de plus en plus concrets.

La manière la plus cohérente et la plus efficace d’y remédier serait d’adopter une mesure technique, qui fait actuellement l’objet d’un examen par les législateurs de l’UE et du Canada, et qui consisterait à ajuster les exigences en matière de fonds propres afin de tenir compte des risques accrus associés au financement des énergies fossiles. Il faudrait alors :

appliquer un coefficient de pondération des risques sectoriels de 150 % aux expositions des banques à des actifs fossiles

Pour mettre en œuvre cette mesure, les banques auraient besoin de fonds propres supplémentaires. Dans une étude publiée récemment, Finance Watch analyse les répercussions sur les banques de l’application d’un coefficient de pondération des risques de 150 %, et conclut que cette proposition pourrait être mise en œuvre sans compromettre la capacité des banques à accorder des prêts.

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Fonds propres supplémentaires nécessaires au niveau mondial et en France

L’étude porte sur les 60 plus grandes banques du monde, parmi lesquelles les 22 plus grandes banques de l’UE en termes d’actifs, dont six sont françaises. On constate qu’en moyenne, l’application d’un coefficient de pondération des risques de 150 % aux banques actuellement exposées à des actifs fossiles exigerait une augmentation de leurs fonds propres équivalente à environ 3 à 5 mois de bénéfices de ces banques en 2021.

Le montant moyen des fonds propres supplémentaires s’élèverait à 2,69 milliards d’euros pour chaque établissement, ce qui équivaut à 2,85 % des fonds propres actuels des banques (au 31 décembre 2021) ou à 3,42 mois de leur bénéfice net pour 2021.

Les six banques françaises comprises dans cette étude – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE / Natixis, Crédit Mutuel et La Banque Postale – ont un niveau global d’exposition aux énergies fossiles similaire à la moyenne mondiale mais supérieur à la moyenne européenne. À elles toutes, ces banques possèdent 125 milliards d’euros d’actifs fossiles dans leurs bilans, soit 1,31 % du total de leurs actifs, contre une moyenne de 1,05 % dans l’UE et de 1,47 % à l’échelle mondiale.

Cela signifie que les banques françaises devraient en moyenne mobiliser chacune 2,97 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires, contre une moyenne de 2,69 milliards d’euros au niveau mondial ou de 1,36 milliard d’euros au niveau de l’UE, afin d’appliquer un coefficient de risque plus élevé à leurs actifs fossiles.

Compte tenu des bénéfices qu’elles ont dégagé en 2021, nous estimons que ces six banques françaises pourraient y parvenir en moyenne en 6,54 mois de bénéfices non distribués.

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Conséquences pour les prêts

Dans les années qui ont suivi la crise financière mondiale, les banques ont été en mesure de mobiliser un volume important de capitaux sur 18 à 24 mois, sans pour autant réduire leurs prêts ni leurs actifs totaux, en ayant recours à la rétention de bénéfices et à l’augmentation de leurs marges de crédit.

Le capital supplémentaire requis dans le cadre de la présente proposition est beaucoup plus faible et équivaut, pour les banques françaises, à accumuler six mois de bénéfices non distribués, même si, dans la pratique, les banques disposeraient de plus de temps pour y parvenir, car ce type de mesure est généralement mis en œuvre progressivement sur de plus longues périodes.

En prévoyant une période de transition adaptée, il serait tout à fait possible pour les banques de combler le nouveau déficit de capital grâce à des bénéfices non distribués, sans compromettre leurs capacités à accorder des prêts, ce qui est important pour assurer une transition durable.

Cela n’empêcherait pas les banques d’accorder des prêts au secteur des énergies fossiles, mais elles devraient prévoir une prime de risque plus élevée pour ces prêts afin de tenir compte des risques qui y sont associés.

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Conclusion

La révision législative en cours des règles prudentielles de l’UE pour le secteur bancaire – règlement et directive sur les exigences de fonds propres – est une occasion unique d’introduire une pondération sectorielle des risques pour l’exposition aux énergies fossiles. Les instances de surveillance devraient ensuite travailler en collaboration avec les banques pour mettre en place progressivement ces changements sur une période appropriée. Cette démarche est essentielle pour protéger les banques françaises contre les risques climatiques liés au financement du secteur des énergies fossiles et des bouleversements résultant de l’accélération des changements climatiques, sans pour autant réduire leurs capacités à accorder des prêts. 

Banque Centrale Européenne et changement climatique

[ Cet article dont je suis l’un des co-auteurs, a initialement été publié sur le site de l’Institut Rousseau. Vous pouvez l’y consulter ICI ]

Intégration des enjeux climatiques dans la politique monétaire de la Banque centrale européenne : après ces premiers pas, la route reste encore longue

La BCE reconnait son rôle en matière de risque climatique : il était temps !

« La Banque Centrale Européenne prend de nouvelles mesures visant à intégrer le changement climatique à ses opérations de politique monétaire ». Tel est le titre du communiqué que la BCE vient de publier 1. Les dispositions suivantes seront mises en œuvre :

  • La BCE intégrera désormais des critères relatifs à la performance climatique des entreprises dans le cadre de son programme d’achat d’obligations d’entreprises (« Corporate Sector Purchase Program », CSPP) ;
  • La BCE limite la part des titres liés à des entreprises polluantes admise comme garantie des emprunts des banques auprès des banques centrales des États européens, sous la forme d’une décote automatique de la valeur des titres les plus vulnérables aux risques climatiques 2 ;
  • La BCE contrôlera le respect par les entreprises de l’obligation de publier leurs informations climatiques (directive dite « Corporate Sustainability Reporting », CSRD), sous peine de les exclure de ses mécanismes de garantie de crédit ;
  • La BCE renforcera ses efforts d’évaluation et de gestion des risques climatiques, notamment par lamise en place d’un ensemble de normes communes pour intégrer les risques liés au climat dans les notations produites par les systèmes d’évaluation du crédit par les banques centrales nationales.

L’Institut Rousseau se réjouit de constater que la BCE sort de son positionnement attentiste en matière de risque climatique. Pour la première fois, elle reconnait explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours du ferme attachement au principe de neutralité des marchés qu’elle brandissait jusqu’alors pour justifier son manque de volontarisme à l’égard des enjeux climatiques. La BCE et ses dirigeants reconnaissent finalement le rôle primordial et moteur qu’ils doivent jouer dans l’indispensable transition que doit mener le système financier, au-delà des déclarations de principe. Ceci en particulier dans la juste appréciation des risques que constituent les actifs échoués, ces prêts mis en place à destination des filières dépendantes du charbon, du pétrole et gaz, et qui pâtiront de la transition écologique à venir (voir la note de l’Institut Rousseau qui traite du risque que représentent particulièrement les actifs fossiles : « actifs fossiles, les nouveaux subprimes »3).

Si les actions associées ne sont pas suffisamment ambitieuses, les déclarations de la BCE ne constitueront que les perles d’un très beau collier

La BCE admet finalement la validité des arguments des économistes qui appelaient intégrer les risques climatiques au cadre de politique monétaire européen – comme l’Institut Rousseau l’a fait dans nombre de ses travaux. Les raisons énoncées par la BCE pour justifier ce changement, toutes pertinentes et justifiées, ne constituent toutefois à ce stade que les perles d’un très beau collier.

Ainsi, la BCE reconnait que l’inclusion de critères liés aux risques climatiques permettra de « réduire le risque financier lié au changement climatique dans le bilan de l’Eurosystème ». Elle se dit prête à « soutenir la transition écologique de l’économie » pour permettre un « alignement sur les objectifs de l’accord de Paris et les objectifs de neutralité climatique de l’UE » (voir à ce sujet le rapport de l’Institut Rousseau sur les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 4).

La BCE cite également la nécessité d’« intégrer les questions liées au changement climatique au cadre de politique monétaire de l’Eurosystème »  et enfin d’« inciter les entreprises et les établissements financiers à faire preuve de davantage de transparence en ce qui concerne leurs émissions de carbone, et à les réduire » (voir à ce sujet la note de l’Institut Rousseau appelant à une réforme de la règlementation financière en matière de climat 5).

On pourrait croire, à la lecture de ce communiqué, qu’au-delà des grandes déclarations de principe, la BCE et ses dirigeants prennent enfin conscience du rôle moteur et primordial qui doit être le leur dans la réorientation des flux financiers vers des produits soutenables du point de vue écologique, et dans la meilleure appréciation des risques que constituent les actifs « fossiles » mentionnés plus haut.

Les premiers pas effectués par la BCE démontrent effectivement un revirement de doctrine bienvenu, qui était attendu depuis que la revue stratégique de politique monétaire 6 en juillet dernier avait posé les prémisses d’une modification du cadre d’intervention, malgré le fait que la BCE n’avait alors pas explicitement accepté de renoncer à la doctrine de la « neutralité de marché ». Ce principe désigne le fait que la BCE s’efforçait jusqu’à présent d’investir dans des actifs financiers qui représentent fidèlement la masse de titres financiers en circulation, afin de ne pas créer de distorsion sur les marchés. Cela l’a empêchée jusqu’ici d’imposer des critères écologiques dans ses stratégies d’investissement. Le communiqué du 4 juillet 2022 représente donc un tournant majeur, en ce que la BCE reconnait pour la première fois explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours, peut-on espérer, du ferme attachement au principe de neutralité de marché dont elle faisait preuve jusqu’alors. Cette modification traduit un changement profond dans la manière d’envisager les risques climatiques et environnementaux, et reflète un consensus concernant la légitimité de l’action de la BCE dans le cadre de son mandat actuel pour lutter contre les dérèglements climatiques et favoriser la transition.

Toutefois, cette première avancée notable ne doit pas éclipser le fait que ces annonces demeurent pour l’heure largement insuffisantes au vu de l’ampleur considérable des changements à mener, et de l’urgence de la tâche.

Le périmètre et les délais de mises en œuvre des mesures annoncées : limites majeures de l’initiative de la BCE

Concernant les programmes d’achat, il faudra savoir ce que la BCE entend par « des émetteurs présentant de bons résultats climatiques » vers lesquelles elle veut orienter ses réinvestissements. La définition donnée, à savoir les entreprises ayant « une bonne performance climatique (qui) sera caractérisée par de faibles émissions de gaz à effet de serre, des objectifs ambitieux de réduction des émissions de carbone et des déclarations satisfaisantes en matière de climat », est très large et particulièrement floue. Elle devra notamment être précisée afin d’exclure les entreprises dont les plans d’alignement sont trop peu crédibles et relèvent avant tout d’une démarche de « greenwashing ».

L’une des limites principales de la mesure est que l’intégration de ces critères d’analyses environnementaux ne s’appliquera pour commencer qu’« aux seuls instruments de dette négociables émis par des entreprises n’appartenant pas au secteur financier (sociétés non financières) ». Cela signifie que cette mesure concernera exclusivement le programme d’achat du secteur privé (CSPP), soit une fraction minime des programmes d’achat d’actifs de la BCE qui sont essentiellement dédiés aux obligations souveraines d’États européens (« Public Sector Purchase Programme », PSPP). Par ailleurs, il est à noter que ces programmes avaient pour objectif initial de stimuler l’inflation afin qu’elle atteigne son objectif d’inflation de 2 %, conformément à la mission fixée par le traité fondateur de la Banque centrale européenne. Compte-tenu des niveaux récents d’inflation, qui dépassent très largement la cible de 2 % (8,1 % en mai 2022 puis 8,6 % en juin 2022), la BCE a annoncé en juin son intention de réduire progressivement ces programmes, jusqu’à l’arrêt complet 7. Ainsi, la décision d’inclure des critères climatiques dans le programme d’achat de titres de dettes émis par des entreprises intervient à quelques temps de la fin du programme, et sera donc suivi d’effets probablement très limités. Pour aller plus loin, la BCE pourrait instaurer un programme d’achats spécifique, ciblé et de long terme de titres émis par des entités ayant l’obligation d’investir dans la reconstruction écologique, notamment des banques publiques d’investissement.

Par ailleurs, la BCE entend désormais limiter « la part des actifs émis par des entités à empreinte carbone élevée qui peuvent être apportés en garantie par des contreparties dans le cadre d’emprunts auprès de l’Eurosystème ». Elle annonce également que désormais, « l’Eurosystème tiendra compte des risques liés au changement climatique lors de ses révisions des décotes appliquées aux obligations d’entreprise utilisées comme garanties ». Cette évolution s’inscrit en cohérence avec la suggestion de l’Institut Rousseau dans sa contribution à la consultation publique du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) sur les risques climatiques 8. Elle pourrait en effet mener à appliquer une pondération de risque supplémentaire aux instruments financiers issus d’entreprise des filières et secteurs les plus intensifs en carbone, afin de refléter le risque additionnel pesant sur ces acteurs économiques qui seront les premiers affectés par les politiques publiques de transition écologique et énergétique. Toutefois, pour que les mesures annoncées soient suffisamment ambitieuses et contraignantes, la BCE devra préciser les critères retenus pour définir les « entités à empreintes carbone élevée ». Au-delà d’une simple décote, une partie de ces actifs devrait être tout simplement interdite comme collatéral au refinancement. Parmi ceux-là, les travaux de l’ONG Urgewalg qui a publié la « Global Oil and Gas Exit List » (GOGEL) recensent plus de 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et qui couvre ainsi plus de 80% du secteur ainsi que la « Global Coal Exit List 10 » (GCEL) qui compte plus de 1000 entreprises du secteur du charbon.

Ces mesures auraient pour effet d’obliger les banques à renforcer leurs fonds propres et à les rendre ainsi plus à même de faire face aux crises qui pourraient survenir. Les stress-tests climatiques réalisés par la BCE en 2022, et dont les résultats ont été publiés le 8 juillet 11, démontrent explicitement la corrélation entre l’intensité carbone des expositions des banques et les probabilités de défaut associées à celles-ci. Par ailleurs, ces risques de perte augmentent à mesure que les entreprises, les banques et les États tardent à engager la transition. Pour des raisons tant économiques qu’écologiques, il est grand temps d’agir !

La BCE annonce toutefois que la mise en œuvre de ces dispositions interviendra « à mesure que la qualité des données relatives au climat s’améliorera ». En effet, les données financières propres à la vulnérabilité de chaque établissement manquent toujours (ex. : émissions de gaz à effet de serre associées à chaque ligne de prêt, diagnostic de performance énergétique de chaque bien sous-jacent à un prêt immobilier). En revanche, les études et travaux relatifs au climat rédigés par le GIEC, l’Agence Internationale de l’Energie, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, l’Organisation Météorologique Mondiale – pour ne citer que ceux-là – tout comme les scénarios climatiques développés par le NGFS, le Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier 12 sont suffisamment élaborés pour rendre compte de l’urgence à agir. Bien qu’ils soient encore perfectibles, ces travaux permettent toutefois d’agir sur le fondement du principe de précaution, une disposition définie lors du sommet de Rio de 1992 selon laquelle, malgré l’absence de certitudes dues à un manque de connaissances techniques, scientifiques ou économiques, les acteurs publics et privés sont tenus de prendre des mesures anticipatives de gestion de risques pour éviter des dommages potentiels immédiats et futurs sur le climat et l’environnement.

L’absence d’encadrement des conséquences climatiques des flux financiers, marge de progression majeure du cadre de politique monétaire

Une autre limite majeure des annonces de la BCE est justement qu’elles ne limitent que très faiblement et très indirectement la capacité du système bancaire à financer les secteurs des combustibles fossiles. Et on sait aujourd’hui que les grands établissements financiers mondiaux ne s’en privent pas – et sont même particulièrement généreux 13.

D’autant plus que, dans le contexte international, l’urgence climatique est devenue… moins urgente aux yeux des décideurs politiques. Du fait de la crise énergétique découlant du conflit russo-ukrainien, les acteurs publics et privés renoncent progressivement aux mesures encadrant ou limitant la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, en particulier ceux en eaux profondes et dans l’Arctique ou ceux issus de la fracturation hydraulique, désastreuse pour les nappes phréatiques, l’environnement et le climat. Les entreprises européennes portent à elles seules un nombre important de fossiles de grande ampleur et engageants sur le long terme, d’ores et déjà lancés (ports méthaniers, gazoducs) ou en cours de financement (notamment East Gas Program, EACOP, etc.). Les banques européennes sont ou seront engagées dans le financement de tous ces projets, et augmenteront ainsi le volume de leurs actifs risqués.

Pour contribuer à enrayer efficacement le processus de dérèglement climatique, la règlementation financière devrait être structurée autour d’une approche duale, en encadrant à la fois les risques mentionnés plus haut que le changement climatique fait peser sur la stabilité financière, mais également ceux auxquels les acteurs financiers exposent l’environnement et la société. À cet effet, nous réaffirmons l’importance que les institutions économiques européennes accélèrent les travaux d’élaboration d’une taxonomie brune, c’est-à-dire d’une définition européenne commune des instruments financiers considérés comme préjudiciables à l’environnement : la transformation indispensable de notre économie passera par une réorientation des flux financiers vers des activités plus soutenables, et donc par un processus de sortie de ces investissements dits « bruns ». Pour y arriver, les régulateurs et superviseurs devront pouvoir se fonder sur une norme européenne commune sur laquelle établir les règles visant à dissuader ou interdire les investissements dans certains secteurs d’activités. En permettant d’interdire le financement des activités les plus polluantes, l’élaboration d’une taxonomie brune emportera des conséquences vertueuses systémiques sur l’ensemble du secteur économique.

Pour conclure, il faut reconnaitre à cette revue de politique monétaire le mérite, essentiellement symbolique, de rompre enfin avec l’illusion de la « neutralité de marché » brandie par la BCE pour justifier son inaction à l’égard des enjeux climatiques. En prenant acte de la nécessité d’agir pour contrôler davantage le système financier en la matière, et en entérinant sa capacité à agir en ce sens dans le cadre de son mandat actuel, la BCE ouvre la voie politique, juridique et technique à de futures mesures plus radicales qui permettront d’aligner les flux financiers sur les objectifs des accords de Paris. Toutefois, cet optimiste doit pour l’heure être tempéré par le caractère restreint des mesures annoncées par la BCE, qui n’auront finalement qu’un effet de contrainte minime sur les flux financiers en circulation actuellement. Cette insuffisance est encore renforcée par les indications de calendrier avancées par la BCE : affichant l’intention de laisser aux acteurs financiers le temps de s’adapter à l’évolution du cadre de politique monétaire, les mesures de la BCE n’entreront en vigueur que très graduellement entre 2024 et 2026 pour les plus tardives.

Les derniers volets du sixième rapport du GIEC parus au cours des derniers mois l’ont pourtant réaffirmé avec force : les acteurs publics et privés doivent prendre des mesures immédiates, et drastiques, pour espérer contenir le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité à des niveaux soutenables pour l’avenir. En outre, les instruments présentés ici ne permettent pas d’imaginer la politique monétaire comme un véritable levier de la reconstruction écologique, ce qu’elle pourrait devenir si nous instaurions un financement monétaire de certaines dépenses écologiques, le financement long et à taux préférentiels des banques publiques d’investissements ou de fonds ad hoc agissant pour le climat, et cela grâce à des mécanismes de contrôle politique et citoyen qui lui font pleinement défaut aujourd’hui.


[1] Voir le communiqué de la BCE en juillet 2022 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ecb.pr220704~4f48a72462.fr.html

[2] Cette proposition avait notamment été faite dès février 2020 par Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean dans « Une monnaie écologique » publié aux éditions Odile Jacob.

[3] Voir la note sur le site de l’Institut Rousseau : https://institut-rousseau.fr/actifs-fossiles-les-nouveaux-subprimes/

[4] https://institut-rousseau.fr/2-pour-2c-resume-executif/

[5] https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/lecologie-combat-du-siecle-la-transformation-de-la-finance-na-pas-eu-lieu/

[6] Voir le communiqué de la BCE en juillet 2021 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2021/html/ecb.pr210708_1~f104919225.en.html

[7] Voir le communiqué de la BCE en juin 2022 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ecb.mp220609~122666c272.en.html

[8] Voir la contribution de l’Institut Rousseau pour le CBCB sur notre site : https://institut-rousseau.fr/consultations-en-matiere-de-reglementation-bancaire-ecologique-notre-reponse/

[9] Voir les travaux de l’ONG Urgewalg : https://gogel.org/sites/default/files/2021-11/urgewald%20GOGEL%202021%20Methodology.pdf

[10] Voir les travaux de l’ONG Reclaim Finance : https://reclaimfinance.org/site/wp-content/uploads/2021/10/Media-Briefing_GCEL_ENG_07102021.pdf

[11] Voir le communiqué de la BCE le 8 juillet 2022 : https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ssm.pr220708~565c38d18a.en.html

[12] Le NGFS met à disposition l’ensemble des données et variables climatiques, énergétiques et économiques modélisées pour 132 pays dont ceux de l’Union Européenne Ses travaux couvrent les risques de transition et les risques physiques liés au changement climatique :  https://www.ngfs.net/ngfs-scenarios-portal/

[13] Voir le rapport « Banking on climate chaos, fossile fuel finance report 2022 » https://www.bankingonclimatechaos.org/

La guerre en Ukraine doit accélérer la lutte contre le réchauffement climatique, pas le contraire

[ Cet article a initialement été publié sur le site de l’Institut Rousseau. Vous pouvez l’y consulter ICI ]

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« Nous marchons les yeux fermés vers la catastrophe climatique » ; 

« Si nous continuons comme ça, nous pouvons dire adieu à l’objectif de 1,5 °C. Celui de 2 °C pourrait aussi être hors d’atteinte ».

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Ce cri d’alarme lancé par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors d’une conférence sur le développement durable organisée par The Economist à Londres le 21 mars, ne peut que nous conforter dans le sentiment d’urgence qui a conduit l’Institut Rousseau à publier, il y a quelques jours, son rapport « 2% pour 2°C » ; rapport qui montre qu’il est totalement réalisable que la France s’inscrive pleinement et de façon volontaire et irréprochable sur la trajectoire du respect des Accords de Paris.

Antonio Guterres ne peut que s’alarmer – et regretter – qu’en dépit de l’aggravation de la situation, les émissions de gaz à effet de serre des grandes économies du monde ont continué d’augmenter ces dernières années, faisant craindre un réchauffement supérieur à 2°C, voire “bien supérieur ». Contrairement à toutes les habitudes consistant à ne citer aucun pays en particulier, Antonio Guterres n’a pas hésité à pointer du doigt l’Australie et une « poignée de récalcitrants » pour ne pas avoir présenté de plans significatifs à court terme pour réduire leurs émissions. Il ne nommait pas alors expressément la Chine et l’Inde qui ont refusé d’adhérer pleinement à l’objectif de 1,5°C et de fixer des objectifs plus ambitieux de réduction des émissions à court terme.

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Antonio Guterres appuie alors sa réflexion sur le second volume de son 6e rapport d’évaluation sur le changement climatique que le GIEC a publié le 28 février 2022 [1] et qui est consacré aux impacts, à l’adaptation et aux vulnérabilités au changement climatique. 

Les conclusions des experts du GIEC dont les termes ont été négociés ligne par ligne par les 195 Etats membres, sont sans appel. Elles sont d’autant plus préoccupantes que les conséquences du réchauffement provoqué par les activités humaines se conjuguent au présent !

Sécheresses, inondations, canicules, incendies, insécurité alimentaire, pénuries d’eau, maladies, montée des eaux… De 3,3 à 3,6 milliards de personnes – sur 7,9 milliards d’humains – sont déjà « très vulnérables » au réchauffement climatique.

Dans le premier volet de son évaluation publiée en août dernier, le GIEC estimait que le mercure atteindrait le seuil de +1,5°C de réchauffement autour de 2030, soit bien plus tôt que prévu et de manière bien plus sévère. Il laissait toutefois une porte ouverte, évoquant un retour possible sous +1,5°C d’ici la fin du siècle en cas de dépassement. Le deuxième volet publié le mois dernier souligne que même un dépassement temporaire de +1,5°C provoquerait de nouveaux dommages irréversibles sur les écosystèmes fragiles, avec des effets en cascade sur les communautés qui y vivent, souvent les moins aptes à y faire face.

Le troisième volume du 6e rapport du GIEC [2] consacré aux solutions pour atténuer le changement climatique a été publié le 4 avril. Dans le communiqué de presse qui accompagne cette publication, les scientifiques du GIEC préviennent que pour « limiter le réchauffement à environ 1,5 °C, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient atteindre leur valeur maximale avant 2025 puis diminuer de 43% d’ici à 2030 ». Nous avons trois ans pour conserver un monde ‘vivable’ ; si nous restons sur la trajectoire actuelle, le réchauffement serait de l’ordre de 3,2°C à la fin de ce siècle ! 

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Tout au long des 3 opus de ce 6e rapport, les experts du GIEC démontrent l’urgence à agir face aux risques croissants et de plus en plus visibles de l’élévation des températures ; risques qui vont s’amplifier avec « chaque fraction supplémentaire de réchauffement ». Ils démontrent aussi les conséquences de l’inaction sur toutes les populations (tant celles des pays riches que celles des pays moins favorisés et tant sur leur santé physique que mentale), sur les systèmes socio-économiques, sur les écosystèmes (qu’ils soient terrestres, d’eau douce ou marin) et sur la biodiversité. Encore et encore, ces scientifiques veulent nous convaincre que « le changement climatique menace le bien-être de l’humanité et la santé de la planète ». 

Ils veulent aussi – et peut-être surtout – en convaincre les dirigeants et les décideurs pour les faire adhérer à l’idée qu’une gouvernance globale (i.e. impliquant tous les pays) et inclusive (i.e. fondée sur l’équité et sur la justice sociale et climatique), des politiques adaptées et de long terme et des efforts financiers très importants sont indispensables. Ils veulent ainsi les convaincre que les décisions politiques doivent dépasser les échéances électorales !

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L’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait pénaliser encore plus les actions en faveur du climat. Pour répondre à la crise climatique, nous avons besoin de paix, de solidarité, de coopération entre tous les États. Ainsi, par exemple, le Conseil de l’Arctique auquel la Russie participait, a suspendu tous ses travaux. Cet organisme intergouvernemental qui coordonne la politique dans cette région traite notamment des questions liées à l’exploration, à l’extraction des ressources et aux études d’impact environnemental ; sachant que l’Arctique est, après la forêt amazonienne, le deuxième plus grand puits de carbone au monde et que, pour l’instant, les mécanismes de la fonte du pergélisol et ses conséquences sont assez peu connues.

De nombreux pays, y compris en Europe, se sont engagés dans une recherche effrénée de nouveaux approvisionnements en gaz et pétrole pour remplacer leurs importations russes, confortant ainsi leur dépendance aux combustibles fossiles. Insistant sur l’urgence due au contexte actuel, les entreprises du pétrole et du gaz commencent quant à elles à « suggérer » de lever les mesures les limitant dans la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements, en particulier ceux en eaux profondes et dans l’Arctique ou ceux de gaz de schiste qui, faut-il le rappeler, sont désastreux pour les nappes phréatiques et pour le climat. 

Cela est totalement à rebours des préconisations de tous les scientifiques ; non seulement ceux du GIEC mais aussi ceux du Programme des Nations Unis pour l’Environnement, de l’Agence internationale de l’Énergie ou en France, du Shift Project, de négaWatt, de l’Institut Rousseau, de RTE, de l’ADEME… Tous prônent une réduction drastique de l’usage des combustibles fossiles et un développement rapide et important des alternatives à leur utilisation. 

En Europe et en particulier en France, les lobbys de l’agro-industrie et tous les tenants d’une agriculture intensive et productiviste s’activent depuis son annonce pour tenter de réduire la portée de la stratégie « de la ferme à la fourchette », volet agricole du Pacte vert pour l’Europe – Green Deal – porté par la Commission européenne et visant à mettre en place un système alimentaire plus durable à l’horizon 2030. Arguant des conséquences de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire, ils avaient amplifié leurs actions. Ils viennent d’obtenir satisfaction ! 

Lorsqu’elle a présenté le 23 mars ses mesures d’urgence pour préserver la sécurité alimentaire mondiale et pour soutenir les agriculteurs et consommateurs européens touchés par les conséquences de la guerre en Ukraine, la Commission européenne a accepté de déroger temporairement aux règles régissant les terres à laisser en jachère pour la biodiversité. Elle a aussi mis en suspens le texte relatif à la limitation de l’usage des pesticides et des engrais d’ici 2030. Édulcorant ainsi très fortement les stratégies « de la ferme à la fourchette » et « biodiversité » qu’elle porte et réduisant à peau de chagrin une part notable de ses ambitions pour une agriculture respectueuse de l’environnement et du climat ! 

Certaines organisations professionnelles militent aussi – et le gouvernement français actuel semble aller dans leur sens – pour l’adoption de mesures visant à « simplifier » le droit de l’environnement dans le but de « faciliter » l’implantation des activités industrielles et de raccourcir les délais de traitement des dossiers pour les porteurs de projets industriels et logistiques. Ceci, est-il affirmé, dans l’optique de construire le plus rapidement possible, une plus grande autonomie stratégique et énergétique.

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L’urgence climatique est, aujourd’hui plus que jamais, un sujet qui doit être au cœur de nos préoccupations

Le contexte actuel doit nous inciter à aller encore plus vite dans les politiques énergétiques visant à abandonner les énergies fossiles et dans celles visant à développer l’agroécologie et l’agriculture biologique en remplacement des pratiques conventionnelles. Il ne doit surtout pas servir de prétexte à un ralentissement des efforts à faire ! 

N’oublions pas qu’il n’y a qu’une seule Terre, qu’une seule humanité, qu’un seul futur !  


[1] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/

[2] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/

Une réglementation bancaire écologique : la réponse de l’Institut Rousseau à la consultation du Comité de Bâle

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[ Cet article dont je suis le co-auteur, a d’abord été publié sur le site de l’Institut Rousseau. Vous pouvez l’y consulter ICI ]

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Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) qui rassemble les superviseurs bancaires de nombreux pays et qui est en charge des standards réglementaires pour les banques à l’échelle mondiale, a ouvert une consultation publique sur les risques climatiques.

Les banques comptent parmi les principaux bailleurs de fonds des entreprises et des projets liés aux combustibles fossiles cause du changement climatique. Et leurs financements aux filières, tant du pétrole et du gaz que du charbon, sont toujours aussi importants contrairement à ce que ces établissements financiers veulent nous faire croire. Les analyses, études, enquêtes réalisées ces derniers mois par de nombreuses associations (Oxfam, Reclaim Finances, Les Amis de la Terre, Urgewald, Attac pour n’en citer que quelques-unes) vont à l’encontre du discours rassuré que les banques tentent de porter sur le sujet.  

Même si elles continuent aujourd’hui de largement sous-estimer ce risque, les banques seront fortement impactées par les événements liés au climat.

Cette consultation doit déboucher sur un nouvel ensemble de principes mondiaux concernant la manière dont les banques gèrent et les autorités de surveillance supervisent les risques financiers liés au changement climatique. On ne peut qu’espérer que le résultat de cette consultation ne soit pas très éloigné des réels enjeux climatiques et que les décisions prises soient fortes. Nous y contribuons pour que les avis des lobbys bancaires, toujours très actifs lors de ces consultations, ne soient pas les seuls à être pris en compte.

L’Institut Rousseau a donc décidé d’apporter sa contribution à cette consultation ; ce qui a été fait le 15 février 2022

En voici le texte :

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« Les actifs liés au financement des énergies fossiles constituent un double risque : un risque pour le climat et un risque pour la stabilité financière et monétaire. Or les banques continuent de financer toutes les activités de ces filières ; que ce soit l’exploration, l’extraction et toutes les activités qui y sont liées (études sismiques, obtention des permis d’exploration) ainsi que le stockage, le commerce et le transport du brut et des hydrocarbures. Voire elles augmentent leurs concours ! [1]

Tous ces actifs vont très probablement devenir des « actifs échoués » c’est-à-dire des actifs ayant fortement perdu de leur valeur et de leur liquidité. Car le respect de l’Accord de Paris entrainera une baisse importante et continue de l’utilisation des énergies fossiles. Or ce risque est actuellement très largement sous-estimé par les milieux financiers ; la dévalorisation de ces actifs fossiles, si elle n’est pas anticipée et accompagnée, pourrait produire d’importantes turbulences, voire générer une nouvelle crise financière d’ampleur.

Banquiers, superviseurs et grand public ne peuvent plus arguer aujourd’hui qu’ils n’ont pas une connaissance large de toutes les entreprises impliquées dans les énergies fossiles, tant conventionnelles que non conventionnelles – pétrole et gaz de schiste, forages en eaux profondes et en zones arctiques ; elles sont bien connues – et pas seulement des ‘majors’. Ainsi, l’ONG Urgewalg a publié le 4 novembre 2021 la ‘Global Oil and Gas Exit List’ (GOGEL)[2] qui recense plus de 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et qui couvre ainsi plus de 80% du secteur. Cette liste complète la ‘Global Coal Exit List’ (GCEL) [3] qui compte plus de 1000 entreprises du secteur du charbon.

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Les 18 principes énoncés dans le document du Comité de Bâle, ‘Principles for the effective management and supervision of climate-related financial risks‘, sont très généraux et sont plutôt en deçà de ce que l’urgence climatique nécessiterait.

Ces principes en effet ne prennent pas en compte le risque ‘climat’ comme un risque en lui-même et par lui-même mais uniquement au travers des entreprises qui y sont exposées.

Et cela tant pour les risques identifiés aujourd’hui – comme ceux liés aux entreprises des filières des combustibles fossiles, objet de cette consultation – que pour les risques à venir qui ne manqueront pas de se faire jour. Par exemple, sur les entreprises de l’agro-industrie impliquées dans la production animale – non seulement bovine à l’origine aujourd’hui d’une très large part des émissions de CO2 et de méthane mais aussi porcine, ovine, avicole… – et son négoce, avec la diminution voulue et encouragée de la consommation de viande et avec une évolution souhaitée des pratiques intensives d’élevage ; par exemple aussi, les entreprises touchées directement ou indirectement par l’élévation du niveau des océans.

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1) Dans un rapport paru en juin 2021 sur le site de l’Institut Rousseau, « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ? Quand financer la crise climatique peut mener à la crise financière »[4], Gaël Giraud[5] et Christian Nicol[6] préconisaient la création de « fossil banks », structures de défaisance dans lesquelles seraient cantonnés les actifs fossiles des banques et qui conduiraient leur extinction progressive, de façon ordonnée.

Sans attendre la création de ces structures, il est indispensable d’avoir une connaissance précise et exhaustive de l’ensemble de ces financements. Les banques et établissements financiers doivent ainsi déclarer de façon régulière l’ensemble des encours portées par les contreparties œuvrant dans les filières des énergies fossiles – et, demain, dans les filières professionnelles et les zones géographiques identifiées comme présentant un risque climatique.

Cela permettra d’avoir une connaissance précise aux niveaux national et régional de ces financements et de leur évolution et pourra servir de base à la prise, si nécessaire, de mesures correctives.

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2) Les exigences en fonds propres au titre du pilier -1- doivent être fortement augmentées pour toutes les entreprises exposées à des risques financiers en liaison avec le climat.

Un des moyens possibles pour ce faire est d’attribuer à ces entreprises, du seul fait de leur activité dans certaines filières ou certains secteurs, une notation exprimant au minimum des réserves, sans dérogation possible. Et cela, que la notation des contreparties soit fondée sur une approche interne (IRB) ou externe. Ce faisant, ipso facto, les allocations en fonds propres devront être augmentées. En diminuant parallèlement le coussin d’actifs liquides de haute qualité, le ratio de liquidité à court terme des banques sera en conséquence renforcé.

Cette approche, en rupture nette avec ce qui se fait actuellement, rendra les banques plus solides et mieux à même de faire face aux risques que constituent dès aujourd’hui ces actifs ‘fossiles’.

Mais cela aura aussi pour effet d’exclure ces actifs des rachats d’actifs des banques centrales (‘quantitative easing’) et de la liste des collatéraux acceptés lors de leurs opérations de refinancement.

Ces mesures doivent ainsi être mises en œuvre de façon progressive mais, au vu de l’urgence climatique, rapide.

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Pour l’Institut Rousseau, son directeur, Nicolas Dufrêne »

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[1] https://reclaimfinance.org/site/2021/03/24/rapport-les-banques-francaises-plus-grands-financeurs-europeens-des-energies-fossiles-en-2020/

[2] https://gogel.org/sites/default/files/2021-11/urgewald%20GOGEL%202021%20Methodology.pdf

[3] https://reclaimfinance.org/site/wp-content/uploads/2021/10/Media-Briefing_GCEL_ENG_07102021.pdf

[4] https://institut-rousseau.fr/actifs-fossiles-les-nouveaux-subprimes/#_ftnref1

[5] Gaël Giraud est économiste et directeur de recherche au CNRS. Chef économiste à l’Agence Française de Développement (AFD), il est aujourd’hui directeur du Environmental Justice Program à l’Université de Georgetown, Washington DC, dont il est le fondateur.

[6] Christian Nicol est cadre dans une banque et militant écologique.

Le droit international ? Aujourd’hui, il est au plus mal. Il faut qu’il reprenne la première place ! Pour la paix partout dans le monde !!!

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Le droit international ? C’est l’ensemble des règles qui régissent les relations entre les états dans le but de maintenir la paix. Dit autrement, c’est l’ensemble des règles instituées dans le but de gérer tout conflit potentiel par la diplomatie et la négociation. Ou encore, c’est l’ensemble des règles instituées dans le but d’éviter tout recours à la force, à la violence, à la guerre.

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[ Ah oui ! Mettons tout de suite les choses au point. Je condamne de façon absolue et sans aucune réserve l’intervention militaire russe en Ukraine.

Ceci d’autant plus que, comme dans toutes les guerres, les victimes sont les civils et les militaires qu’on envoie se battre ; ceux qui ont déclenché le conflit n’en sont jamais victimes ; « La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas » a écrit Paul Valéry.]

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Il est important que nous comprenions pourquoi les guerres se déclenchent afin que nous puissions éviter que cela se reproduise, pour que l’histoire ne se répète pas encore et encore. D’où l’importance de l’analyse et de la compréhension des faits qui doivent être débarrassés autant se faire que peut, des biais de la ‘propagande’, des ‘propagandes’ d’où qu’elles viennent. Ce travail doit ainsi être mené de la façon la plus neutre, la plus honnête et la plus complète possible.

D’où l’importance aussi que les faits ne soient pas observés et analysés sous le seul prisme des ressorts émotionnels et compassionnels qui le plus souvent, il faut bien l’avouer, ne durent que le temps que cette ‘information’ reste à la une des médias. Cela permet notamment d’éviter que ces faits ne soient vus que de façon manichéenne : le Bien contre le Mal : « la guerre que nous menons est juste, nécessaire et inévitable » ou l’exact inverse selon le camp dans lequel on se positionne. Ne pas adopter cette posture permet aussi d’éviter de donner au récit de toute situation, un début précis ce qui conduit à passer sous silence tout ce qu’il y a avant et à en masquer les causes.

N’oublions surtout pas que, selon l’adage bien connu, la vérité est la première victime de la guerre !

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Le droit international précise qu’un état n’a pas le droit de se faire justice lui-même et d’intervenir militairement dans un autre état si ce n’est sous mandat des Nations Unis.

La Russie a reconnu les deux républiques du Donbass et de Lougansk qui ont fait sécession de l’Ukraine en 2014, à la suite du renversement du président Viktor Ianoukovytch qui menait une politique pro-russe et, selon ses adversaires, anti-démocratique. Ce conflit, malgré sa résolution prévue par les accords de Minsk de 2015, n’a en fait jamais cessé. A l’appel des dirigeants de ces deux entités, entre autres raisons avancées, la Russie a commencé à envahir l’Ukraine. En totale violation du droit international !

En 1999, dans le conflit opposant la République fédérale de Yougoslavie et le Kosovo, l’OTAN intervient au côté des forces luttant pour la sécession du Kosovo. L’OTAN effectue ainsi, pendant deux mois et demi, des centaines de bombardements aériens par jour sur des cibles militaires, industrielles et civiles situées en Serbie. En totale violation du droit international !

En 2014 également, parallèlement à la sécession de deux républiques russophones d’Ukraine, la Russie a envahi la Crimée. Au terme d’un processus électoral contesté, notamment par les nouvelles autorités de Kiev, la Crimée est rattachée à la Russie [1] ; ainsi que Sébastopol, son port et sa base navale. Une grande crainte de Vladimir Poutine et de la Russie était que, l’Ukraine devenant membre de l’Union Européenne et de l’OTAN, la marine russe ne puisse plus accéder à ce port et que celui-ci soit à la disposition des USA. Ici aussi, une totale violation du droit international !

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Totale violation du droit international en 2003 lors de l’invasion de l’Irak par les USA qui ont menti de façon éhontée et répétée pour essayer d’emporter l’adhésion du Conseil de Sécurité de l’ONU. Faut-il d’ailleurs rappeler l’extraordinaire discours de Dominique de Villepin [2] ?

Totale violation du droit international en 2011 quand, en Libye, détournant une décision de l’ONU visant à protéger des populations civiles lors d’une guerre civile, la France et la Grande-Bretagne ont en fait principalement visé la chute d’un régime, certes totalitaire et assassin de son propre peuple.

Totales violations du droit international quand, en 2014 et 2015, une coalition internationale menée par les USA d’un côté, la Russie de l’autre interviennent en Syrie.

Totale violation du droit international quand en 2015, l’Arabie Saoudite à la tête d’une coalition arabe soutenue par les Etats-Unis et la France [3], entre en guerre contre la minorité chiite du pays (soutenue par l’Iran) qui veut faire sécession. Guerre au Yémen qui s’annonce comme une des plus grandes catastrophes humanitaires contemporaines avec pas loin de 400 000 morts [4] dont les trois quarts sont dus aux conséquences indirectes du conflit, telles que le manque d’eau potable, la faim et les maladies. Selon l’ONU, au Yémen, un enfant de moins de cinq ans meurt toutes les neuf minutes !!!!

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Ne peut-on pas aussi parler de violation du droit international quand un pays décide de façon unilatérale et sans passer par les Nations Unis, de sanctions économiques plus ou moins larges, voire d’embargos à l’encontre d’autres pays : Cuba (depuis 1962 !), l’Iran (le principal embargo ayant été mis en place par les Etats-Unis en 1995 ; d’autres ont suivi en 2006 et 2007 sous l’égide des Nations Unis), la Russie en 2014, le Venezuela (par l’administration Trump) en 2019.

Ah, les sanctions économiques ! Elles sont toujours présentées comme une alternative à une guerre militaire. Un ministre français [5] ne vient-il pas d’ailleurs d’avouer que les sanctions économiques constituent de fait une « guerre économique et financière » qui peut être « totale ». Mais, comme dans toutes les guerres, les victimes sont les populations civiles : les sanctions peuvent conduire à un effondrement de l’économie, provoquer des pénuries de produits de première nécessité (alimentation, médicaments…) [6], amener à un délabrement des infrastructures, hypothéquant ainsi l’avenir.

Les sanctions ont aussi leurs limites. Suite à celles prises à son encontre en 2014, la Russie a décrété un embargo des importations de produits agricoles, notamment en provenance de l’Union Européenne (nos agriculteurs en ont bien souffert !). Dans le même temps, elle a fortement accéléré sa production nationale. En 2020, la Russie a exporté des produits agroalimentaires pour des montants qui approchent ceux des exportations de gaz [7] même si ces dernières ont été en baisse en raison du ralentissement de la demande mondiale du fait de la pandémie du Covid19. Aussi, la Russie a développé depuis 2015 son propre système de messagerie (SPFS), un analogue du système de règlement SWIFT. Le SFPS est relié aux systèmes de paiement d’autres pays comme la Chine, L’inde et l’Iran ; mais son efficacité est moindre (doit-on dire ‘encore moindre’).

Et n’est-ce pas une violation du droit international quand un pays se donne le droit de sanctionner, là non pas des pays mais des entreprises d’autres pays si elles n’obéissent pas aux décisions qu’il a prises ? On ne peut que citer ici l’extraterritorialité du droit américain qui couvre de vastes domaines envers les pays contre lesquels les USA ont décidé, en dehors de l’égide des Nations Unis, de sanctions économiques et financières. On n’est certes pas dans une guerre militaire mais dans une guerre économique dans laquelle sont impliqués, contre leur gré, des pays tiers.

Par contre, il ne faut pas cesser de le répéter, les sanctions économiques et financières ont souvent pour effet de renforcer le pouvoir en place dans les pays autoritaires et d’exacerber les sentiments nationalistes.

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Totale violation du droit international, aujourd’hui, en Afghanistan quand des sanctions économiques et financières font le lit d’une catastrophe humanitaire de grande ampleur. Les Nations unies estiment à 23 millions le nombre de personnes, plus de la moitié de la population, qui sont confrontées à la famine et qu’un million d’enfants risquent de mourir [8]… Et le directeur des opérations du CICR s’insurge [9] : « Les sanctions financières ont ruiné l’économie et entravent également l’aide bilatérale ». Les obligations juridiques découlant des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unis freinent, quand elles ne les arrêtent pas, les opérations conduites par les bailleurs de fonds et les organisations humanitaires

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Il faut totalement restaurer le droit international. Il faut impérativement remettre sur le devant de la scène la diplomatie. Celle-ci doit œuvrer, maintenant encore plus qu’avant, pour la paix. Car, la crise que nous connaissons aujourd’hui en Europe en constitue une preuve : quand il n’y a pas de diplomatie, il y a la guerre, il y a le malheur.

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Ne nous leurrons pas. Nous allons connaitre d’autres crises ; des crises diplomatiques (on peut d’ores et déjà en constater à divers endroits sur Terre), des crises militaires, des crises écologiques (migrations climatiques forcées, accès à l’eau, aux produits alimentaires, aux matières premières) …

Seule la diplomatie permettra d’y faire faire et de les résoudre de la façon la meilleure et la plus juste possible. L’analyse des succès et des échecs passés doit alors permettre d’éviter de reproduire les mêmes errements et les mêmes erreurs et de renouveler les bonnes pratiques. La diplomatie, toujours, doit triompher !

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Pour (librement) paraphraser Dominique de Villepin [10], je dirais : « La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont ceux des dirigeants et des décideurs aujourd’hui, doivent les conduire à toujours donner la priorité à la paix ».

Sinon, les conflits armés, les guerres, les désastres humanitaires et écologiques, avec leurs cortèges de victimes innocentes, ne seront que le constat et la sanction de leur échec, de notre échec !

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[1] – Un point ‘anecdotique’ : la Crimée, à l’époque glorieuse de l’URSS sous Nikita Khrouchtchev, a été détachée de la Russie pour être rattachée à l’Ukraine en 1954.

[2] – La vidéo de l’intervention : https://www.youtube.com/watch?v=5WyCMaoVXIo – Le texte du discours : https://clio-texte.clionautes.org/discours-de-villepin-onu-fevrier-2003.html

[3] – L’utilisation par l’Arabie Saoudite d’armes fournies par la France et l’implication de ses services de renseignements sont maintenant bien documentés.

[4] – https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/yemen/yemen-le-conflit-a-fait-377-000morts_4859887.html

[5] – https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/01/nous-allons-provoquer-l-effondrement-de-l-economie-russe-affirme-bruno-le-maire_6115679_823448.html

[6] – L’embargo infligé à l’Irak en 1990 sous l’égide de l’ONU a causé la vie à 500 000 enfants du fait de l’augmentation de la mortalité infantile selon le Fonds des Nations unis pour l’enfance. Mais « le prix en vaut la peine » selon Madeleine Allbright, alors ambassadrice des USA à l’ONU, en 1996 : https://www.monde-diplomatique.fr/2022/03/RICHARD/64416

[7] – https://www.monde-diplomatique.fr/2022/03/RICHARD/64416

[8] – https://www.courrierinternational.com/article/reportage-en-afghanistan-la-catastrophe-humanitaire-est-la

[9] – https://www.icrc.org/fr/document/afghanistan-une-catastrophe-humanitaire-pourtant-evitable

[10] – La citation exacte est : « La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix ».

A la veille de la COP26, il faut rappeler que de nombreux rapports sur l’urgence climatiques sont disponibles

Ces derniers mois, ont été publiés de nombreux rapports, bilans, analyses, études qui documentent le réchauffement climatique et l’urgence à y faire face et qui proposent des changements à mettre en œuvre et des trajectoires à suivre. On ne peut toutefois s’empêcher de penser que nos dirigeants ne se les approprient pas dans les responsabilités qui sont les leurs et même n’en tiennent pas compte, si ce n’est par quelques citations au détour d’un discours.

La COP 26 qui se tient du 31 octobre au 12 novembre 2021 à Glasgow verra-t-elle une évolution des comportements de ses participants ? Les négociations qui s’y tiendront déboucheront-elles sur un rehaussement de l’ambition climatique à un moment où l’urgence est de plus en plus grande ? Les solutions et actions qui y seront arrêtées, seront-elles à la hauteur des enjeux ? Et seront-elles mises en œuvre ?

Voici un petit inventaire, bien succinct et forcément très incomplet, de quelques rapports, études, analyses, enquêtes dont la lecture devrait alimenter la réflexion de nos dirigeants. C’est tout ce que l’on espère !

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A tout seigneur tout honneur ! Il faut commencer par citer le GIEC, le « Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat » auquel 195 gouvernements (sur les 197 actuellement reconnus par l’ONU) participent.

« Le changement climatique se généralise, s’accélère et s’intensifie » : le ‘Résumé à destination des décideurs’ en date du 7 août 2021 est franchement catastrophique (en anglais ici ; en français – traduction non officielle –  ; et là la synthèse faite par ‘The Shifters’). Il en est de même du rapport sur l’état des connaissances sur le changement climatique publié simultanément.

Loin de moi l’idée de faire ici une synthèse ou un résumé de ce document d’une quarantaine de pages que, quant à eux, tous nos dirigeants devraient lire et relire. Juste quelques points, parmi une foultitude d’autres, que je veux mettre en exergue.

Car il y aurait tant à dire sur l’état actuel du climat ou sur les différents scénarios d’évolution future ou sur les impacts prévisibles sur les sociétés humaines et sur les écosystèmes. Juste peut-être que, même en cas de réduction immédiate des émissions de GES, il est plus ‘probable qu’improbable’ (pour reprendre les termes du Résumé) que la barre des +1.5°C sera atteinte voire dépassée d’ici 2040 ; peut-être même d’ici 2025 ; mais que, dans le meilleur des scénarios (SSP1-1.9), elle pourrait redescendre légèrement sous ce seuil d’ici la fin du XXIe siècle. Et que dans le pire des scénarios (SSP5-8.5 – celui du ‘business as usual’ ?), les émissions annuelles de GES tripleraient et la température augmenterait de 4.4°C d’ici la fin de ce siècle (fourchette large des estimations de 3.3 à 5.7°C). Ou que toute augmentation du réchauffement diminue également l’efficacité des puits de carbone naturels (océans, sols, végétation). Ou encore (oh combien est-ce pessimiste !), que quoi que nous fassions, du fait de l’inertie des océans et des glaces terrestres qui est bien plus grande que celle de l’atmosphère, de nombreux changements dus aux émissions de gaz à effet de serre, qu’elles soient passées et futures, sont irréversibles sur plusieurs siècles, en particulier les changements concernant les océans, les calottes glaciaires et le niveau mondial des océans… Il y aurait tant à dire !

Un des résultats majeurs de ce rapport est que la limitation du réchauffement à +1,5°C à horizon 2100 – le but affiché de l‘Accord de Paris, de la COP 21 de 2015 – est impossible sans une réduction majeure et immédiate des émissions de GES, suivie par l’élimination nette de CO2 atmosphérique. En particulier, cela implique d’arriver à la neutralité carbone (les émissions doivent être compensées par des captures de CO2) peu après 2050. Un second est la réaffirmation forte qu’il y a une relation quasi-linéaire entre la quantité cumulée de GES dans l’atmosphère et le réchauffement climatique.

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Les critiques des rapports du GIEC sont nombreuses. Et le plus souvent, les stratégies développées sont dans le droit fil de celles des Majors de l’industrie du tabac qui ont réussi pendant des années à cacher la nocivité et les dangers de la cigarette ; ces stratégies sont maintenant parfaitement bien documentées [1].

On est ainsi face à des ‘manipulations scientifiques’ qui visent à discréditer les travaux de la multitude de scientifiques qui contribuent aux rapports du GIEC ; des ‘manipulations médiatiques’ avec de soi-disant experts qui minimisent les impacts et l’ampleur des phénomènes décrits et de leurs conséquences – quand ils n’accusent par les contributeurs et relecteurs des rapports de ‘manipuler’ les données sur le climat ; des ‘manipulations sociétales’ lorsqu’il est affirmé que le bien-être, si ce n’est le bonheur, des êtres humains est gravement menacé par les luttes menées pour éviter un changement climatique (trop) important ; des ‘manipulations de greenwashing’ quand les industries les plus polluantes et tous leurs lobbys – tant au niveau de l’extraction des énergies fossiles que de leur transformation et de leur utilisation sous ses différentes formes – multiplient les communications censées montrées qu’elles sont des acteurs importants dans la lutte contre le réchauffement climatique [2]

Il est sans doute utile aussi de rappeler que le « Résumé technique » et le « Résumé à l’intention des décideurs » sont approuvés ligne à ligne, voire mot à mot, par les représentants des 195 gouvernements impliqués – qui ont parfois des intérêts très différents – et les experts scientifiques ; ils sont donc l’expression du consensus. En outre, la transparence du processus de sélection des auteurs et des relecteurs, puis des publications scientifiquespermet de garantir un haut niveau de neutralité politique.

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Dans son bulletin annuel paru le 25 octobre (à lire ici), l’Organisation météorologique mondiale fait un constat sans appel : le taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère progresse de façon alarmante. Et cela est vrai tant pour le gaz carbonique – CO2 – que pour le méthane – CH4 – ou l’oxyde nitreux – N2O. A leur rythme actuel, l’augmentation de la concentration de ces gaz dans l’atmosphère conduit à une hausse des températures bien supérieure aux objectifs fixés par l’Accord de Paris.

Dans ce rapport s’expriment aussi de sérieuses inquiétudes quant à l’efficacité future des ‘puits de carbone’ dont la capacité à agir comme un tampon contre une augmentation plus importante de température pourrait se réduire. Et cela est aussi vrai pour les écosystèmes terrestres en raison des conséquences du changement climatique en cours comme la fréquence accrue des sécheresses et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des incendies de forêt que pour les océans avec l’augmentation des températures à la surface de la mer, l’acidification due à l’absorption de CO2 et le ralentissement de la circulation océanique méridienne dû à la fonte accrue de la glace de mer. Les effets du réchauffement climatique amplifient et accélèrent le réchauffement climatique !

Le Secrétaire Général de cette agence de l’ONU lance ainsi un cri d’alarme : « la dernière fois que la Terre a connu une concentration comparable de CO2, c’était il y a 3 à 5 millions d’années, lorsque la température était de 2 à 3 °C plus élevée et que le niveau de la mer était de 10 à 20 mètres plus haut qu’aujourd’hui. Mais il n’y avait pas 7,8 milliards d’habitants à l’époque ».

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Dans son « rapport 2021 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions » publié le 26 octobre 2021 (à voir ici), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) rappelle que les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître, excepté en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19 (- 5,4 %). Il indique que les dernières promesses climatiques pour 2030 mettent le monde sur la voie d’une augmentation de la température d’au moins 2,7°C au cours du siècle.

A la veille de la COP26, les « contributions déterminées au niveau national » (NDC) – ces feuilles de route climatiques avec 2030 pour horizon que chaque Etat élabore lui-même et pour lui-même – qui ont été présentées sont notablement insuffisantes ; d’autres sont même en repli sur celles présentées il y a 6 ans ; et certains Etats n’ont pas présenté leurs engagements de décarbonation de leur société.

A ce jour, selon Climate Action Tracker (CAT), réseau international de climatologues, seule la Gambie a une trajectoire compatible avec le scénario + 1,5 °C d’ici à la fin du siècle

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Il convient de mentionner aussi une initiative assez peu connue : la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes qui se déroule de 2021 à 2030 (présentation à voir ici).

2030 ! Cette date a été choisie encore une fois comme cible pour atteindre les objectifs de développement durable car elle constitue notre dernière chance selon les scientifiques, d’éviter des changements climatiques catastrophiques. Mais cela est-il encore nécessaire de le rappeler ?

Ce n’est pas le premier appel que l’ONU lance dans ce domaine. Il y a déjà eu la proclamation de la Décennie des Nations Unies pour les déserts et la lutte contre la désertification (2010-2020), de la Décennie pour la biodiversité (2011-2020), de la Décennie internationale d’action sur le thème « L’eau pour le développement durable » (2018-2028), de la Décennie pour l’océanologie au service du développement durable (2021-2030) et de la Décennie pour l’agriculture familiale (2019-2028).

Sans doute faut-il rappeler à nos dirigeants tous ces engagements qu’ils ont pris ! Il ne s’agit pas là de rapports édités par des organismes ici et là, certains même étant gouvernementaux. Non ! il s’agit là d’engagements qu’ils ont ratifiés de façon très officielle.

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En mai 2021, l’Agence Internationale de l’Energie a publié, à la demande de la présidence de la COP 26, un rapport ‘Net Zéro by 2050’ (lien ici) sur la trajectoire à adopter pour décarboner le secteur de l’énergie d’ici 2050. Elle y appelait en particulier à ne plus investir dans de nouvelles installations charbonnières, pétrolières et gazières, à un déploiement massif et immédiat de toutes les sources d’énergie propres et à faire de l’investissement dans l’innovation l’une des priorités. Elle y évoquait aussi le recours nécessaire au nucléaire.

Mais elle avertissait que, même si toutes les promesses étaient tenues, cela ne permettra pas de limiter le réchauffement climatique à 1.5 °C ; surtout que nombre des engagements ne se sont pas traduits par des mesures concrètes.

Dans son édition 2021 du ‘World Energy Outlook’ (voir ici), l’Agence Internationale de l’Energie confirme que le développement au rythme actuel des énergies renouvelables (solaire, éolien), des véhicules électriques et des autres technologies bas carbone n’est pas suffisant pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle appelle ainsi à pousser encore plus l’électrification bas carbone des usages.

Le Directeur exécutif de l’AIE avertit ainsi les décideurs que « le secteur de l’énergie doit réaliser une transformation totale d’ici à 2050 ». Et il regrette que « jusqu’ici, beaucoup d’entre eux l’ont mal compris. » Et il appelle à « un signal clair d’ambition et d’action de la part des gouvernements à Glasgow ». Sera-t-il entendu ?

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En France, de nombreux rapports sont publiés dans l’optique de proposer au niveau national des scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et limiter ainsi le réchauffement climatique dans les limites de l’Accord de Paris.

Le 25 octobre, RTE, le gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité, a publié ses scénarios de production et de consommation électrique permettant l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 (lien ici). Il insiste sur le fait que « quel que soit le scénario choisi, il y a urgence à se mobiliser ».

6 scénarios sont ainsi présentés qui, tous conduisent à ce que, en 2050, la neutralité carbone – à savoir l’équilibre entre les émissions de GES et leur absorption par les puits de carbone – soit atteinte et à ce que « nous ne consommerons plus de pétrole ni de gaz fossile ». 3 sont bâtis sur la sortie du nucléaire et un mix à 100% en énergies renouvelables ; 3 le sont sur un mix incluant le nucléaire dans des proportions plus ou moins importantes en 2050.

Le 26 octobre, cela a été le tour de l’association Négawatt de présenter son scénario de transition énergétique pour la France (à voir ici). S’appuyant sur deux grands piliers, la sobriété et l’efficacité énergétique, il vise la neutralité carbone en 2050 sans recourir au nucléaire.

Le rapport couvre des domaines excédant la seule production d’énergie. La transition énergétique doit s’accompagner d’une transition sociétale ; ce qui implique de passer aussi par une transformation de nos modes de production et de consommation. Il s’attache ainsi à suivre les émissions des GES non seulement sur le territoire national mais aussi sur les biens et services importés. Il souligne aussi les impacts positifs sur la santé de cette transition, notamment du fait de la baisse de la pollution de l’air, d’une nette diminution des émissions de particules fines et d’une augmentation de l’activité physique liée à une pratique plus soutenue du vélo et de la marche à pied.

L’ADEME, l’agence de la transition écologique, devrait produire son rapport vers la mi-novembre à l’exception notable du volet électricité, reporté sine die. Est-ce parce que la version de travail qui a fuité offre une vision différente de celle de RTE sur des points sensibles tels que le niveau de consommation et la place du nouveau nucléaire ? Les quatre scénarios examinés par l’ADEME (contre six pour RTE) correspondent en effet à des modèles de société allant du très sobre au très énergivore, avec des niveaux de consommation très contrastés allant de 400 à 800 TWh contre 550 à 770 TWh chez RTE et un minimum chez Négawatt de 540 TWh. Des variations sont également appliquées selon le niveau de flexibilité et d’électrification du système.

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Le Directeur de Négawatt alerte : « Si l’on veut atteindre nos objectifs, ce quinquennat est celui de la dernière chance. On ne peut plus attendre encore et encore. Il faut passer de la politique des petits pas à celle des grandes enjambées. » Tant sur la base des travaux de son association que sur celles d’autres études et analyses (RTE, ADEME, il y en a certainement d’autres), toutes les informations pour élaborer et proposer des orientations politiques argumentées sont disponibles. Les candidats à la Présidentielle doivent impérativement s’emparer de ces problématiques et ne pas les réduire, comme c’est trop souvent encore le cas, à quelques slogans !

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Tous les rapports de transition énergétique tablent de façon plus ou moins importante sur l’efficacité énergétique que l’on peut définir comme étant la diminution de la quantité d’énergie nécessaire pour satisfaire un même besoin.

La sobriété y est nettement moins présente. Elle vise à modérer, à réduire notre consommation d’énergie et de biens matériels par un changement de nos comportements et de nos modes de vie, tant au niveau individuel que collectif. Elle est souvent opposée à ‘l’ébriété’ qui caractérise souvent nos sociétés de surabondance.

Quelques exemples. L’efficacité est de remplacer les lampes à incandescence par des lampes LED ; la sobriété, c’est de ne pas laisser nos appareils en mode veille quand nous ne nous en servons pas ; ou d’éteindre l’éclairage publique à certaines heures la nuit. La sobriété, c’est concevoir les produits pour qu’ils puissent être réparés plutôt que de devoir être remplacés. La sobriété, c’est de s’interroger sur l’utilisation d’une voiture pesant 1200 kg pour faire 5 km pour aller travailler quand un transport collectif est disponible ou que le faire à vélo est possible ; ou sur la nécessité de toutes les fonctions gadget dont nombre de nos produits sont pourvus…

La sobriété a ainsi fait l’objet d’études très abouties qui couvrent tous les aspects de notre vie. On peut citer, parmi certainement plusieurs autres, celle de Négawatt (ici) et celle de l’ADEME () – toutes deux, à mon avis, très intéressantes et instructives bien que différentes.

La sobriété est souvent ignorée de nos politiques dans les actions qu’ils proposent et/ou mettent en place, même s’ils la citent régulièrement, car elle suppose un effort particulier. Il lui préfère l’efficacité énergétique qui repose essentiellement sur de nouvelles solutions technologiques.

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Pour finir, je tiens à indiquer cette étude scientifique (en lien ici) publiée en septembre 2021 et qui a été menée auprès de 10.000 jeunes de 16 à 25 ans dans une dizaine de pays [3].

Sa conclusion est sans appel : « Les personnes interrogées dans tous les pays ont fait part d’un niveau d’inquiétude important, près de 60 % d’entre elles déclarant se sentir « très » ou « extrêmement » inquiets du changement climatique. Plus de 45 % ont déclaré que leurs sentiments à l’égard du changement climatique avaient un impact négatif sur leur vie quotidienne. »

Et leur avenir fait peur à 75% d’entre eux (74% en France) ! Ils sont aussi 56% (48% dans notre pays) à penser que l’humanité est condamnée ! C’est effrayant, n’est-ce pas ? Qu’en disent nos dirigeants ?

Car ces jeunes hommes et ces jeunes femmes sont aussi très critiques envers leurs dirigeants et les réponses qu’ils apportent au changement climatique. Ils sont ainsi 65% à se sentir abandonnés par leur gouvernement (55% en France) et 64% à penser qu’il leur ment sur les résultats des actions entreprises (58% en France). A l’inverse, ils ne sont que 33% (27% en France) à juger que leurs dirigeants les protègent, eux mais aussi la planète et les générations futures, du changement climatique.

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Le temps des annonces politiciennes, des coups de menton se voulant volontaires et des grandiloquents effets de manche doit cesser ! Il devient de plus en plus important que tous les gouvernants, tous les décideurs, en France et dans le monde, prennent conscience de la réalité climatique et s’engagent résolument dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il doit en être de même dans notre pays pour tous les candidats à l’élection présidentielle. Il est encore temps !

Pas pour eux.

Pour leurs enfants et petits-enfants, pour leur avenir, pour leur bien-être futur !!!

Pour l’humanité, pour les générations actuelles et futures, pour le bien-être futur de toutes et à tous sur Terre !!!

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Dans tout voyage, aussi long et difficile soit-il, il y a toujours un premier pas. Dans cette lutte contre le réchauffement climatique, jusqu’à maintenant, nous n’avons fait que piétiner. Il est temps que nos dirigeants fassent, que nous fassions toutes et tous un premier pas ! Un premier pas ferme, résolu, déterminé.

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Une seule planète, une seule humanité, un seul futur !

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29 octobre 2021                                

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[1]  A voir sur ce sujet ce documentaire d’Arte « Tabac, la conspiration – dans les rouages d’une industrie meurtrière« 

[2]  Je ne peux m’empêcher de citer ici l’étude d’Oxfam : « Oxfam décrypte les ressorts du greenwashing de Total« . Cette étude a été réalisé après que le groupe Total ait décidé de changer de son nom en ‘Total Energies’, ait annoncé sa transformation vers une entreprise « multi-énergies » et ait proclamé son engagement dans la transition énergétique. Ce qui n’est que du ‘pur greenwashing’ : la feuille de route sur le climat présentée va en effet à l’encontre des objectifs de l’Accord de Paris mais aussi du dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

[3]  « Young people’s voices on climate anxiety, government betrayal and moral injury : a global phenomenon ». Enquête menée en Australie, au Brésil, aux États-Unis, en Finlande, en France, en Inde, au Nigeria, aux Philippines, au Portugal et au Royaume-Uni.

Thomas Sankara : son discours sur la dette de juillet 1987 est d’une incroyable actualité

Thomas Sankara est une figure quasi-mythique dans son pays, le Burkina Faso – ‘Le Pays des hommes intègres’ comme il l’a rebaptisé lorsqu’il était au pouvoir ; il l’est tout autant dans l’ensemble du continent africain. Thomas Sankara est en effet considéré comme le « Che Guevara Africain ».

Socialiste, anti-impérialiste, démocrate, anticolonialiste ; mais aussi homme idéaliste, intègre, altruiste, rigoureux, plein d’humour. Les qualificatifs pour le nommer sont nombreux. Il a laissé à la postérité de nombreux discours expliquant ses pensées et ses actions lorsqu’il était à la tête du Burkina Faso.

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Le discours qu’il a prononcé pendant le sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine du 29 juillet 1987 à Addis-Abeba est certainement le plus célèbre.

[ Vidéo de ce discours par ce lien ]

[ Texte de ce discours à cette adresse ]

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Thomas Sankara y fait le lien entre le colonialisme et la dette qui, déjà il y a plus de 30 ans, étranglait certains pays africains. Mais surtout, il appelle les membres de l’Organisation de l’Unité Africaine à constituer un front uni pour refuser de la payer.

Il n’y a, bien sûr, aucune relation de cause à effet entre ce discours et son assassinat, intervenu 3 mois plus tard, le 15 octobre 1987. Juste une fâcheuse coïncidence ! Coïncidence qu’il prévoyait peut-être lorsqu’il dit : « si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ».

Certains passages de ce discours sont aujourd’hui d’une incroyable actualité.

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Lorsque Thomas Sankara dit en 1987 que la dette fait « en sorte que chacun d’entre nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser », il aurait tout aussi bien pu le dire il y a 20 ans, il y a 10 ans ; il pourrait tout aussi bien le dire aujourd’hui.

Sont maintenant bien connues les ‘techniques’ mises en place depuis le début des années 1980 par les institutions financières internationales – principalement le FMI et la Banque Mondiale –qui ont conduit de nombreux pays de par le monde à la situation d’endettement très élevé, voire de surendettement, qu’ils connaissent aujourd’hui. Sans pour autant qu’ils ne soient sortis des graves difficultés économiques qui avaient nécessité la mise en place de ces prêts. Ces techniques sont connues sous le terme très ‘savant’ de ‘programmes d’ajustement structurel’.

Programmes d’ajustement structurels généralement extorqués par un chantage du type : « si vous voulez qu’on vous prête, vous devez / vous devez continuer / vous devez encore plus, faire de l’austérité, privatiser, libéraliser, flexibiliser, ouvrir vos frontières… Et donc ouvrir votre pays aux vautours entreprises multinationales qui vont acquérir des pans entiers de votre économie dans le seul but de leur propre enrichissement, sans viser celui de votre peuple et sans tenir aucun compte de ses besoins et de ses intérêts… Bien sûr, il faudra faire en sorte que ces sociétés paient le minimum d’impôts et aient toute latitude pour faire ce qu’elles veulent comme elles le veulent… Et qui dit austérité dit aussi coupes dans les services publics, la santé, l’éducation, les infrastructures… Ah oui ! Le prêt sera libellé en dollars… Oui, on sait, cela va vous obliger à privilégier les exportations au détriment des besoins directs de votre peuple… Mais c’est comme ça ! »

Caricaturale, cette présentation ? Très peu, en fait ; juste peut-être dans la formulation peu ‘diplomatique’. Les dégâts causés par ces programmes sont nombreux et ont amenés de très nombreux pays à demander de nouvelles aides, donc de nouveaux ajustements structurels, donc… Du néolibéralisme pur jus ! Reconnu, il faut le dire pour être totalement honnête, comme inadapté et abandonné par le FMI depuis quelques années – cette appréciation est, par contre, dite de façon fortement diplomatique.

Ces derniers mois, le FMI a décidé d’alléger, sous forme de dons, la dette de 28 pays. Le G20, quant à lui, vient d’annoncer une nouvelle extension pour six mois du moratoire sur les intérêts de la dette vers ces pays ; moratoire sur les intérêts mais on ne touche pas au capital ! Le minimum donc.

Aujourd’hui, les appels à l’annulation sont de plus en plus pressants ; pour des raisons humanitaires immédiates certes mais aussi afin d’aider dans une optique de moyen et long terme ces pays dont beaucoup vont être directement confrontés aux conséquences du réchauffement climatique.

Le non-remboursement de leur dette par les pays les plus pauvres leur permettrait de sortir de la spirale infernale de l’endettement et de s’orienter vers des développements économiques plus tournés vers l’intérieur et non sur les exportations vers les pays développés, qui soient socialement justes et écologiquement durables.

N’est-ce pas ce qui disait Thomas Sankara lorsqu’il disait : « Faisons-en sorte que le marché africain soit le marché des Africains. Produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique. Produisons ce dont nous avons besoin et consommons ce que nous produisons au lieu de l’importer ».

Ou encore : « en évitant de payer, nous pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement ».

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Lorsque Thomas Sankara mentionne « la ruse, la fourberie » de certains bailleurs de fonds, il ne connaissait pas les créanciers de la Grèce – en grande partie français et allemands – mais il parlait déjà d’eux.

Car ce sont bien eux qui, avec l’aide de Goldman Sachs, ont trafiqué la dette du pays, un peu trop lourde pour permettre son entrée dans la zone euro en 2001. Et certains gouvernements, qui avaient fermés les yeux sur ces magouilles, se sont mués en parfaits défenseurs de ces créanciers : « il faut rembourser la dette ». Et la Troïka – Commission Européenne, BCE (qui, à un moment crucial, avait autoritairement suspendu toutes ses aides aux banques grecques, précipitant la ‘chute’ de ce pays) et FMI – a mis en place en 2010, au mépris de la volonté exprimée démocratiquement par le peuple grec, un plan qui n’avait rien à envier aux programmes d’ajustement structurel.

Là encore, laissons la parole à Thomas Sankara ; « maintenant qu’ils perdent au jeu, ils nous exigent le remboursement. Et on parle de crise ! Non, ils ont joué. Ils ont perdu, c’est la règle du jeu. Et la vie continue ». Le problème, c’est qu’en 1987, en 2010, aujourd’hui, la règle du jeu n’est pas respectée.

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Sur ce sujet, on ne peut éviter de parler de l’annulation de la majeure partie de la dette allemande en février 1953, le solde ayant fait l’objet d’aménagements à des conditions exceptionnelles. Certes, l’origine de cette dette, portant sur des périodes précédant et suivant la 2ème Guerre mondiale, est différente. Mais surtout, c’est le contexte qui l’est : nous étions en pleine guerre froide et il était nécessaire que l’économie de l’Allemagne de l’Ouest redémarre.

Dans le cas de la Grèce, les grandes puissances et les institutions financières internationales ont imposées des politiques conformes aux intérêts des créanciers et n’ont donc pas du tout été disposées à annuler des dettes. Il ne fallait surtout pas créer un précédent dont auraient pu se saisir les pays endettés !

Par ailleurs, la question des réparations de guerre réclamées par la Grèce à L’Allemagne n’a jamais été traité. Selon l’estimation grecque faite au moment de cette crise, elles s’élèvent à 279 milliards d’euros. Ce sujet a été vigoureusement écarté par le gouvernement allemand ; sur la base notamment du Traité de 1953 portant sur l’aménagement de la dette allemande.

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« Il y a crise aujourd’hui parce que les masses refusent que les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus. […] Il y a crise parce que face à ces richesses individuelles qu’on peut nommer, les masses populaires refusent de vivre dans les ghettos et les bas quartiers ».

L’accroissement des inégalités, son explosion pourrais-je même dire si on regarde l’accroissement de la précarité et de la pauvreté ces derniers mois, fait totalement écho à cette affirmation. Et il y a tant à dire sur ce sujet.

Hurler plutôt contre la suppression de l’ISF ; le Prélèvement Forfaitaire Unique des dividendes – la ‘flat tax’ qui s’est substitué à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus ; la diminution des prélèvements sur les stock-options ; la suppression de la tranche de la taxe sur les salaires supérieurs à plus de 150 000 €/an appliquée dans les métiers de la finance ; le refus d’introduire de nouvelles tranches supérieures de l’impôt sur les revenus ; le refus d’alourdir la contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus (revenu fiscal de référence supérieure à 250 000 €) ; les mesures élargissant les avantages fiscaux fait ces dernières années sur les placements financiers…

S’époumoner sur la réduction des APL – qui a pénalisé de nombreux jeunes et a augmenté le nombre de pauvres en 2018 par rapport à 2017 d’environ 190 000 personnes ; les ordonnances Pénicaud – détricotage, dans le droit fil des lois François Hollande / Myriam El Khomri, du droit du travail pour ceux qui l’ont oublié – qui a accru la précarité et donc la pauvreté – plus de 9 millions de personnes ‘pauvres’ selon la dernière estimation de l’Insee sur 2019 ; les Plans de Sauvegarde de l’Emploi qui permettent de diminuer les salaires, augmenter le temps de travail, revoir les conditions de travail mais n’imposent aucunement la limitation des dividendes ; le plan de relance du Gouvernement qui fait la part belle aux entreprises, sans contreparties sociales ou environnementales, mais est très chiche pour lutter contre la précarité, la pauvreté, la détresse sociale ; la mise en place de l’assurance chômage, suspendue quelques mois, mais qui entre ne vigueur en plein 3ème confinement et qui va précariser encore plus des dizaines de milliers de personnes déjà précarisées ; etc… ; etc. ; etc…

On n’arrête pas de le dire, de le crier pourtant. A preuve les multiples manifestations et contestations sous toutes leurs formes intervenues ces dernières années – contre les lois Travail sous François Hollande ou Emmanuel Macron ; contre la réforme des retraites ; celles de Gilets Jaunes ; pour la réelle prise en compte de l’urgence climatique ; pour la défense de services publics de qualité dans la santé, l’éducation, la justice, la police, l’aide aux plus démunis ; contre la privatisation d’ADP ; contre les lois liberticides et les violences policières…

Il ne faut pas s’arrêter !

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Lorsque je regarde cette phrase prononcée par Thomas Sankara : « la dette ne peut pas être remboursée parce que, d’abord, si nous ne la payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûr. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mourir », je ne peux pas m’empêcher de penser à la controverse existant actuellement sur l’annulation des dettes détenues par la BCE, en réalité par les Banques Centrales Nationales – la Banque de France en ce qui nous concerne.

On ne peut que s’irriter face à la propagande que mènent les tenants du néolibéralisme pour que des mesures de « maîtrise des dépenses » – nom hypocrite qu’ils donnent à l’austérité – soient mises en place pour rembourser la dette ; toute la dette ; même celle directement liée aux crises sanitaire, économique, écologique, sociale, sociétale que nous connaissons ; sans tenir aucun compte des impératifs environnementaux et climatiques qui sont les nôtres aujourd’hui.

Soyons clair ! Selon ce schéma, nous ne lésons aucun créancier privé en annulant ces dettes ; même si « ils ont perdu ». La Banque de France est détenue à 100% par l’Etat français ; par nous. Sans entrer dans des débats techniques aisément surmontables, on parle donc d’annuler des dettes que nous détenons. « Je me dois à moi-même 100 €. J’annule cette dette ». En définitive, je ne suis ni plus riche, ni plus pauvre.

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Il est difficile de conclure un tel article.

Laissons donc la conclusion, une double conclusion en fait, à Thomas Sankara. Elle montre sa totale et complète actualité :

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« La libération de la femme : une exigence du futur ! » (8 mars 1987 à Ouagadougou à l’occasion de la Journée de la femme).

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Et aussi :

« L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère » (Discours à l’ONU le 4 octobre 1984)

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