Pour les partisans de l’A69 comme des autres projets écocides et climaticides, toujours les mêmes arguments et les mêmes poncifs

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Tout le narratif développé par les partisans de la construction de l’autoroute A69 Toulouse Castres constitue un véritable condensé des argumentaires que déploient les promoteurs de tous les projets destructeurs du vivant et de la biodiversité. On assiste ainsi autour de ce chantier écocide et climaticide, à la même litanie sans cesse répétée partout en France, des mêmes arguments et des mêmes poncifs ressassés et rabâchés ad nauseam !

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Le premier argument souvent avancé par les pro-A69 est qu’il s’agit d’un projet de plus de trente ans. A cette époque (lointaine), les enjeux environnementaux et climatiques, mais aussi sociaux, n’étaient pas aussi prégnants et importants qu’aujourd’hui. Et ces nouveaux impératifs viennent percuter de plein fouet et avec force, une idéologie d’un autre temps et de vieilles habitudes d’urbanisme et d’aménagements du territoire sur lesquelles iels s’arcboutent. Toutes sont devenues aujourd’hui anachroniques, si ce n’est dangereuses pour notre avenir à tous.

Cela montre surtout que ces élus et décideurs ne veulent pas prendre en compte les nouveaux enjeux imposés par les multiples dégradations de l’environnement et l’effondrement de la biodiversité ainsi que par le changement climatique et l’objectif de neutralité climatique (ou ‘net zéro’) en 2050.

Il n’entre pas dans notre propos ici de revenir sur ces enjeux. Dans leur lettre adressée à Emmanuel Macron début octobre 2023, 2000 scientifiques dont de nombreux co-auteurs du GIEC et membres d’institutions consultatives (Haut Conseil pour le climat et Conseil national pour la protection de la nature) ont clairement démontré l’inadaptation et l’incohérence de l’A69 sur le plan du climat et de la biodiversité.

Il faut aussi laisser les collectifs citoyens portant cette lutte (La Voie Est Libre, Extinction Rébellion, les Soulèvements de la Terre, la Confédération Paysanne, le Groupe National de Surveillance des Arbres, Une Autre Voie, France Nature Environnement, le Déroute des Routes) expliquer bien mieux que l’auteur de cette note ne saurait le faire, toutes les raisons impliquant que ce projet ne doit pas aller à son terme.

En fait, sur ce dossier comme sur tant d’autres, les décideurs politiques et économiques ignorent, ou tout du moins minimisent ou relativisent fortement, quand ils ne réduisent pas à une simple opinion, tous les faits scientifiques relatifs au réchauffement climatique et à son origine anthropique. Ce déni de la gravité des conséquences du changement climatique est particulièrement préoccupant ; et ce d’autant plus qu’il est largement partagé par une large partie de ces décideurs.

Les politiques d’adaptation et d’atténuation qui sont mises en place par les pouvoirs publics pâtissent ainsi de cette non-prise en compte de l’urgence actuelle et de l’inaction matinée de greenwashing qui prévaut. Ajoutée à cela la présentation de techno-solutions (le plus souvent encore à finaliser ou à découvrir) qui résoudront tous les problèmes, on se trouve dans une situation où les discours des décideurs politiques et économiques sont plus tournés vers le maintien d’un statu quo confortable et où leurs décisions sont prioritairement axées vers un développement économique sans fin et vers les profits à court terme d’entreprises privées ; quand elles ne le sont pas vers des « arrangements » d’ordre politique ou des objectifs purement électoralistes.

Ce déni est d’autant plus préoccupant que les décisions prises et les choix arrêtés aujourd’hui, tout comme les actions et les projets qu’ils promeuvent, engagent notre avenir. Construire l’A69, ce n’est pas seulement l’accaparement et l’artificialisation de près de 400 ha de terres agricoles, de zones humides et d’espaces naturels et/ou protégés ; ce n’est pas seulement l’abattage de milliers d’arbres, dont des centaines d’arbres centenaires ; ce n’est pas seulement la compensation carbone mise en avant par tous les pro-A69 dans la volonté de se dédouaner de la destruction du vivant. Faut-il rappeler que la communauté scientifique est particulièrement critique sur ce sujet, notamment sur la façon purement comptable d’appréhender la nature et sur les résultats incertains des mesures mises en œuvre. Tiens ! Juste une question toute simple : combien des petits arbres et des arbustes plantés en compensation d’un platane patrimonial centenaire seront-ils encore vivants dans un an ? Dans cinq ans ? Dans dix ans ? Ceci sachant que le taux de mortalité des jeunes plants d’arbres en 2022 a été de 38% !!!

Concernant l’A69 en particulier et les projets autoroutiers de façon plus générale, ce déni nous maintient dans un modèle de société dans laquelle la voiture individuelle (la ‘bagnole’ pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron) est le mode de mobilité privilégié alors qu’il faudrait favoriser d’autres modes de transport. Ces projets d’un maillage dense de rubans d’asphalte et de bitume sont le rêve d’un développement économique infini et de flux de marchandises venant de toujours plus loin, arrivant toujours plus vite et toujours en plus grandes quantités et qui nourrissent une surconsommation ; ils sont radicalement opposés à toute sobriété et à toute économie locale pourtant tellement souhaitables.

Cela nous ancre dans des pratiques incompatibles avec les transformations sociétales, sociales et économiques nécessaires pour atténuer, autant se faire que peut, les effets du dérèglement climatique et pour nous y adapter. Cela nous fige dans des modes de vie incompatibles avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces infrastructures construites pour durer des décennies et des décennies aggravent les risques climatiques et reviennent à repousser les indispensables transitions et adaptations qui doivent être faites dès aujourd’hui !

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L’argument suivant assené avec véhémence et qui ne peut souffrir aucune contradiction, est que cette autoroute A69 va désenclaver le sud du Tarn. Ah, ‘désenclavement’ ! Ce mot magique dont personne n’est capable de donner une définition précise.

Sur le bassin de Castres Mazamet, il y a environ 50 000 emplois dont une part notable dans des entreprises d’envergure internationale ou nationale ? Est-ce cela un territoire enclavé ? Est-ce cela un territoire touché par « la pauvreté, l’isolement et le déclin » pour reprendre les termes de Carole Delga quand elle parle de la lutte pour le désenclavement du sud tarnais ? Castres est-elle une ville enclavée alors qu’elle arrive en tête en 2023 des ‘villes et villages où il fait bon vivre’ dans le Tarn et devance ainsi la préfecture, Albi ? Est-ce désenclaver que de remplacer une liaison routière correcte, même si sans doute améliorable, et gratuite par une autoroute parmi les plus chères de France ? Sachant que, selon les termes du contrat signé entre l’Etat et Atosca et les formules de révision des tarifs qui y sont inclues, les prix annoncés de 17€ pour les voitures et de 40€ pour les poids lourds seront revus… à la hausse ; l’aller-retour devrait être au minimum de 19,50€ dès l’ouverture ! Ce n’est pas sûr que la majorité des habitants de ce territoire aient les moyens d’utiliser cette autoroute.

Le poncif régulièrement martelé par les promoteurs de tels projets routiers ou autoroutiers est que ces infrastructures favorisent le développement économique et donc la création d’emplois. S’agissant de l’A69, le rapport définitif de l’enquête publique publié en février 2023 indique qu’Atosca n’a apporté « aucune démonstration concrète » quant à un impact économique favorable. Le constructeur de l’A69 s’est contenté d’annoncer un millier d’emplois environ mais uniquement pendant la durée des travaux.

Par ailleurs, les études liées à cette affirmation, tant en France que dans différents pays étrangers, montrent que les impacts économiques ne sont pas réellement significatifs ; dit autrement, elles montrent que la présence d’une autoroute n’est pas automatiquement génératrice d’une croissance économique ; voire qu’elle peut avoir un effet négatif du fait de l’exacerbation de la compétition entre territoires. En outre, ce développement économique intervient, quand cela est le cas, essentiellement en périphérie des villes concernées sous forme de zones commerciales et d’infrastructures logistiques.

Mais aussi, et peut-être surtout s’agissant de cette autoroute, l’A69 contribuera à accroître l’aire d’influence de Toulouse ; en « aspirant » en son cœur les activités industrielles, commerciales et marchandes, l’A69 va soutenir le développement économique de cette métropole au détriment de sa périphérie de plus en plus lointaine. Cela à un moment où la dé-métropolisation, à mettre en étroite corrélation avec une revitalisation des petites et moyennes villes et des territoires ruraux, est plus que jamais d’actualité ; et nécessaire. De ce fait, l’A69 pourrait transformer les villes de Castres et de Mazamet en banlieues (certes un peu éloignées géographiquement) de Toulouse ; elle pourrait être en définitive un facteur rendant le sud du Tarn moins dynamique tant économiquement que socialement ! L’exact contraire d’une politique renforçant l’autonomie de ce territoire pour permettre à ses habitants d’y vivre et d’y travailler. L’exact contraire de ce que les partisans de l’A69 affirment !

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Viennent ensuite tous les arguments tournant autour de la loi et de l’Etat de droit.

Bien sûr, l’Etat de droit et rien que l’Etat de droit dans le mensonge formulé tant par Clément Beaune et le préfet du Tarn que par les élus régionaux et locaux favorables à ce projet : « ce projet […] a été décidé démocratiquement et confirmé systématiquement par le juge », affirme ainsi dans un communiqué le ministère chargé des Transports. Or, tous les recours devant les tribunaux n’ont pas été jugés. Certes, des recours suspensifs ont été jugés et rejetés mais des recours sur le fonds sont toujours en suspens.

On peut d’ailleurs à ce sujet s’interroger sur la « logique » des tribunaux administratifs qui rejettent la plupart du temps, si ce n’est quasi systématiquement, les demandes de suspension des travaux et refusent ainsi d’attendre les jugements sur le fonds qu’ils prononceront par la suite. Alors même que ceux-ci peuvent juger que ces projets sont entachés d’illégalité.

Ainsi des arrêtés préfectoraux autorisant la création de quinze méga-bassines en Nouvelle-Aquitaine annulés début octobre 2023 car jugées inadaptées face aux effets du changement climatique. Ou ce même mois, toujours en Nouvelle-Aquitaine, le rejet d’un permis d’aménager une autre méga-bassine. Et ceci, alors que dans plusieurs cas, les travaux avaient commencé.

D’autres jugements emblématiques doivent être cités. C’est le cas du contournement de Beynac dans le Périgord où la cour administrative a ordonné, en décembre 2019, l’arrêt immédiat des travaux engagés ainsi que la démolition des ouvrages déjà réalisés ; démolition qui, à ce jour, n’a toujours pas démarré malgré des astreintes importantes que devront payer, in fine, l’ensemble des contribuables du département de la Dordogne.

Plus emblématique encore : le « grand contournement ouest » de Strasbourg. Les recours déposés en septembre 2018 ont été jugés en juillet 2021 alors que cette autoroute était construite à 90%. Les arrêtés préfectoraux autorisant les travaux n’étaient pas légaux ! En novembre 2021, suite à la fourniture de nouveaux arrêtés, la Cour administrative d’appel a autorisé sa mise en service en reprenant l’un des arguments de ses promoteurs : ne pas faire ce contournement aurait des « conséquences difficilement réparables » en termes de pollution de l’air et de bruit dans l’agglomération strasbourgeoise. Mais il aurait été ‘difficile’ de juger que cette construction quasiment terminée était illégale et devait être détruite !

Très problématique aussi, le soutien indéfectible des préfets à ces projets. Préfets qui se posent en garant de l’Etat de droit mais qui n’hésitent pas à bafouer la justice en autorisant les travaux alors que tous les recours déposés n’ont pas été jugés. Voire en les facilitant en usant (mésusant ?) des pouvoirs que leur donne leur fonction.

En la demeure, le préfet du Tarn a atteint des sommets ! Juste un exemple. Dans la nuit du jeudi 31 août, juste après minuit, l’abattage de platanes d’alignement a repris après la pause imposée par la législation environnementale afin de ne pas gêner la nidification des oiseaux. Dès le mardi précédant, un important déploiement de gendarmes a été mis en place pour ‘protéger’ le chantier : deux cents gendarmes, des équipes cynophiles, des hélicoptères avec des caméras thermiques, des drones policiers. Un déploiement impressionnant… et couteux pour le contribuable ! En outre, n’hésitant pas à dévoyer la loi, le préfet a pris un arrêté prétextant une battue aux sangliers ce qui a permis à la gendarmerie de bloquer des routes et d’empêcher les manifestants et des journalistes d’accéder à proximité du chantier.

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Ici comme partout ailleurs, le respect de la démocratie est aussi régulièrement mis en avant par des élus régionaux et locaux pro-A69, drapés dans leur écharpe tricolore et dans leur « légitimité » issue des urnes. Ils estiment que leur élection constitue une autorisation de faire ce qu’ils veulent pendant toute la durée de leur mandat.

Mais, sur ce sujet de l’A69 comme sur d’autres projets portant des atteintes graves et irréversibles à l’environnement et à la biodiversité, opposer la ‘démocratie’ aux alertes scientifiques est problématique. En les ignorant et en refusant ainsi de se projeter à moyen terme, en restant dans une vision strictement économique et souvent court-termiste, en ne prenant pas en compte les alarmes que constitue d’ores et déjà l’augmentation de la fréquence et de l’ampleur des événements climatiques extrêmes, ils empêchent l’acquisition par nos concitoyens de connaissances permettant des réflexions et des délibérations éclairées. Par leur défense de ces projets qu’ils appuient de tout leur poids grâce à leur notoriété, en opposant « la vie réelle » et la satisfaction d’une demande de consommation immédiate au fait que, pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, nous n’avons plus que cinq ans d’émissions au rythme actuel, ils alimentent un climato-scepticisme qui constitue un frein important aux évolutions et aux changements nécessaires dans les domaines économique, social et sociétal.

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Enfin, on ne peut pas terminer sans indiquer que, selon une enquête journalistique argumentée, les actionnaires des entreprises portant ce projet sont des très proches d’Emmanuel Macron et l’ont grandement aidé dans son accession à la présidence de la République, en particulier en soutenant activement et en finançant largement sa carrière politique.

Cela peut expliquer la crispation sur ce dossier du gouvernement et de la préfecture du Tarn et leur volonté de le mener à son terme le plus vite possible, coûte que coûte.

Cela peut aussi permettre de comprendre la violence déployée lors la manifestation ‘Ramdam sur le Macadam’ des 21 et 22 octobre près de Castres. Violence physique avec l’emploi de grenades lacrymogènes arrosant une foule pacifique dans laquelle familles et enfants étaient nombreux et noyant dans un nuage de gaz lacrymogène la ‘base arrière’ où étaient notamment installés la cantine et les espaces de soin ainsi que le camping. Violence physique avec les incendies de chaumes de paille secs déclenchés par les grenades lacrymogènes, incendies éteints par les manifestants alors que les grenades continuaient à pleuvoir. Violence ‘symbolique’ avec la charge des gendarmes juste au moment où des scientifiques tenaient une conférence sur les motifs issus de leurs savoirs pluridisciplinaires de s’apposer à la réalisation de cette autoroute. Violence de soi-disant journalistes quand, dans un journal appartenant au groupe Pierre Fabre, multinationale appuyant de tout son poids le projet de l’A69, les militantes et militants écologistes, qualifiés de « guérilleros » et de « commandos encagoulés et armés », sont comparés aux terroristes du Hamas. Violence dans la communication avec Gérald Darmanin twittant de façon mensongère, au moment où les gendarmes attaquaient, sur les « violences inouïes » à leur encontre ; information reprise sans filtre par nombre de médias. Violence encore dans la propagande, pardon, dans la communication faite par le préfet du Tarn parlant de 2500 manifestants radicalisés alors que la presse locale n’en comptait qu’environ 400.

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Le Club de Rome, pour le cinquantenaire du Rapport Meadows, a publié en octobre dernier un nouveau rapport, « Earth for All », dans lequel il imagine deux scénarios.

Le premier, baptisé « trop peu, trop tard », est la poursuite de la tendance actuelle. Le second, appelé « à pas de géant », propose une série de transformations rapides et profondes mais économiquement, techniquement et politiquement réalistes.

Le premier résulte d’une diminution trop lente et insuffisante des émissions de gaz à effet de serre et de la poursuite de l’effondrement de la biodiversité. Le second est le résultat d’un changement de cap radical simultanément sur les cinq axes que sont le climat, la biodiversité, la pauvreté, les inégalités et les rapports de genre.

Dans le premier, l’humanité fonce à toute allure, droit dans le mur ! Dans le second, les changements introduits permettent de rendre la Terre habitable pour tous.

L’autoroute A69, tout comme tous ces projets destructeurs du vivant et de la biodiversité poursuivis envers et contre tout pour que rien ne change malgré l’urgence et en ignorant toutes les alertes, ressortent très clairement de ce premier scénario, « trop peu, trop tard ».

C’est pourquoi ‘ici’ (dans le sud du Tarn mais aussi partout en France métropolitaine et dans les outre-mer) ‘et maintenant’ (aujourd’hui et en phase avec le droit des générations futures à vivre dans un environnement sain comme vient de le reconnaitre le Conseil Constitutionnel), tous ces projets écocides, climaticides et injustes doivent être abandonnés !

Quelques réflexions sur les transitions climatiques et environnementales, étroitement liées et imbriquées des entreprises et des banques

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[ Cet article a initialement été publié sur le site de l’Institut Rousseau. Vous pouvez l’y consulter ICI ]

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Dans le contexte des multiples dégradations de l’environnement et de l’effondrement de la biodiversité ainsi que dans celui du changement climatique et de l’objectif de neutralité climatique[1] ou ‘net zéro’ en 2050, les entreprises, les plus importantes certes mais aussi celles d’une taille plus modeste, sont confrontées à de nombreux risques – risques de transition(s), risques physiques, risques juridiques – qu’elles doivent anticiper pour s’adapter à un monde qui se réchauffe et qui est fortement impacté par les activités des êtres humains.

Les banques, du fait des engagements de leurs clients, des risques qu’ils encourent et des difficultés qu’ils peuvent (et pour certaines vont) rencontrer doivent de même anticiper ces problématiques et accompagner ces changements.

LA TRANSITION DES ENTREPRISES

De façon très large, les entreprises œuvrant dans des filières du charbon, du pétrole et gaz, tant conventionnels que non-conventionnels, ou qui en sont fortement – quand ce n’est pas totalement – dépendantes sont extrêmement nombreuses ; elles se situent dans de très nombreux secteurs d’activité. Il y a celles situées en amont de ces filières : prospection, extraction et soutien à l’extraction de ces combustibles fossiles ; celles en aval : production d’électricité à partir de ces énergies fossiles, transformation, stockage, distribution et commercialisation ; celles fabriquant des dérivés qui en sont directement issus : plastiques, engrais, détergents, produits cosmétiques, vêtements en synthétique, etc… ; celles pour qui les énergies fossiles constituent la principale source d’énergie : transport routier, aérien, maritime ; celles pour qui elles représentent une matière première indispensable : sidérurgie. Et pourtant, aux yeux du public, toutes ces entreprises sont essentiellement – voire exclusivement – symbolisées par les grandes majors pétrolières et gazières.

De très nombreux facteurs vont directement impacter l’ensemble de ces entreprises : les politiques publiques de tous ordres mises en œuvre pour réduire les émissions de gaz à effets de serre pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris à l’horizon 2050 ; celles pour lutter contre les pollutions et les destructions de notre environnement ; aussi toutes les actions pour limiter les impacts et réparer les dégâts sur la nature et sur la biodiversité ; les avancées techniques et technologiques y contribuant ; les évolutions nécessaires pour réaliser et contribuer à leur niveau aux transitions climatiques et environnementales ; les adaptations indispensables face aux nombreux changements de diverses natures induits… Ces impacts vont concerner tant l’activité, les process, les approvisionnements, les ventes… de ces sociétés, que leurs investissements dont certains vont devoir être mis hors service avant la fin de leur durée de vie économique ; on parle là d’  « actifs échoués ».

Les entreprises devront donc évaluer ce que l’on appelle leur « vulnérabilité climatique et environnementale » et qui résulte de l’analyse de leurs risques dans ces domaines. Un critère de plus à prendre en compte lors de la détermination de leurs orientations stratégiques et de leurs choix d’investissements.

L’ensemble des études menées[2] montre que, selon que la transition est effectuée d’une manière dite ‘ordonnée’ ou, à l’inverse, de manière trop tardive ou trop abrupte, les probabilités de défaut de ces entreprises (i.e. leurs capacités de faire face à leurs engagements financiers, voire de tout simplement ‘survivre’) augmentent parfois sensiblement. Avec des répercutions possiblement notables, par ce canal, sur la stabilité financière dans l’ensemble de l’économie.

On ne peut pas dire aujourd’hui que, dans ce domaine, « tous les voyants sont au vert ».

Dès le début de la guerre en Ukraine, de nombreux pays, y compris en Europe, se sont engagés dans une recherche effrénée de nouveaux approvisionnements en gaz et pétrole pour remplacer leurs importations russes, confortant ainsi leur dépendance aux combustibles fossiles. Parallèlement, insistant sur l’urgence due au contexte actuel, les entreprises du pétrole et du gaz accélèrent dans la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements, en particulier ceux en eaux profondes et dans l’Arctique ou ceux de gaz et de pétrole de schiste qui, faut-il le rappeler, sont désastreux pour les nappes phréatiques et pour le climat. Ils s’impliquent aussi fortement dans la construction de nouvelles infrastructures destinées au transport et aux importations tels que les terminaux de gaz naturel liquéfié[3].

Au niveau mondial, les ministres de l’Energie des pays du G20 n’ont pas réussi fin juillet 2023 en Inde à s’accorder sur un calendrier permettant de réduire progressivement le recours aux énergies fossiles. Le charbon, qui est l’une des principales sources d’énergie de nombreux pays dont la Chine et l’Inde, n’est même pas mentionné dans le rapport final alors même qu’il est l’un des principaux contributeurs au réchauffement climatique. La réticence de certains pays producteurs de pétrole, Arabie Saoudite et Russie en tête, à une sortie rapide des combustibles fossiles est aussi pointée par les ONG présentes à Goa.

D’ailleurs, dans son tout récent scénario (octobre 2023), l’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, prévoit une hausse de 16,5% de la demande de pétrole d’ici 2045 par rapport à 2022. Elle estime que 14.000 milliards de dollars d’investissements – soit environ 610 milliards de dollars en moyenne par an – sont nécessaires dans le secteur pétrolier pour combler cette demande. Cette organisation argue que ses membres ne font ainsi que répondre à la demande de leurs clients. Même si cela est en totale contradiction avec les préconisations de l’Agence Internationale de l’Energie qui prône depuis des années l’arrêt de ces investissements pour permettre au monde d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050.

Le rapport de synthèse du GIEC[4] publié en mars 2023 (dont le résumé à l’intention des décideurs a été adopté par 195 pays) appelle à un sursaut international immédiat pour saisir l’espoir, maintenant très tenu, de limiter le réchauffement à 1.5°C ; objectif que toutefois, de plus en plus de scientifiques s’accordent à considérer comme inatteignable. Notamment, le GIEC appelle à des réductions profondes, rapides et soutenues des émissions de gaz à effet de serre ; autrement dit, en filigrane, à la réduction rapide et soutenue des émissions liées aux énergies fossiles. Et il indique qu’en cas de poursuite des politiques actuelles, la planète se dirige vers un réchauffement de 2.8°C à la fin du siècle ; voire plus.

Ainsi de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP 15) qui s’est tenue à Montréal du 7 au 19 décembre 2022. Son objectif était de freiner un aspect crucial de la crise écologique : l’effondrement de la biodiversité ; ceci tant au niveau de la diversité écologique – les écosystèmes – que de celle des espèces – ce que l’on appelle la « sixième extinction des espèces », crise causée par une seule espèce, la nôtre, alors que les cinq extinctions précédentes dans l’histoire de la Terre avaient des facteurs exogènes. L’accord qui en est issu est assez largement critiqué comme n’allant pas assez loin pour sauvegarder la nature et la biodiversité ; en particulier, il ne vise à protéger, d’ici à 2030, ‘que’ 30 % des terres et des mers de la Terre. Et pourtant, les scientifiques sont formels, le temps presse. 75% de la surface terrestre est déjà altérée par l’activité humaine et la prospérité du monde est en jeu : plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature et de ses services.

Le premier rapport de l’IPBES[5], ‘’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services’’, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité, publié en mai 2019, alertait déjà sur l’effondrement du vivant. Il pointait que l’agriculture industrielle et la consommation de viande étaient les causes majeures de ce déclin. Dans son rapport de juillet 2022, l’IPBES observe que la nature n’est protégée que si elle rapporte de l’argent et qu’à l’inverse, certains services, certes plus indirects comme la régulation du climat ou le sentiment d’appartenance culturelle qu’elle nous rend, ne sont pas pris en compte.

Après d’avoir pris haut et fort des engagements pour contribuer activement à la lutte contre le réchauffement climatique, les entreprises du secteur du pétrole et du gaz – notamment les trois majors européennes, BP, Shell et TotalEnergies – sont en train de revenir sur leurs engagements. La crise énergétique et les conséquences de la guerre en Ukraine ont fait exploser les prix du gaz et du pétrole. En 2023, en totale contradiction avec l’impératif de se passer de plus en plus des énergies fossiles, la consommation mondiale de pétrole devrait battre des records. Ces entreprises préfèrent ainsi miser sur des profits à court terme. Quitte à reporter à plus tard leur transition vers la neutralité climatique ; ainsi que celle de toutes les sociétés en aval.

Les appels à effectuer une pause dans la réglementation environnementale européenne ou à la rendre moins contraignante se multiplient ; et ce, jusqu’à être repris au plus haut niveau de certains états (dont la France) et au Parlement européen. On ne peut que craindre que cela ne survienne quand on voit que les demandes de réduction de la portée de la stratégie « de la ferme à la fourchette », volet agricole du Pacte vert pour l’Europe – Green Deal – porté par la Commission européenne et visant à mettre en place un système alimentaire plus durable à l’horizon 2030, ont été satisfaites dès le début du conflit ukrainien. En effet, à la fin du premier trimestre 2022, la Commission européenne a accepté de déroger temporairement à certaines de ces règles, notamment celles régissant les terres à laisser en jachère.

Les entreprises sont par ailleurs de plus en plus confrontées aux risques de litige via les procès dits climatiques. Ces initiatives, au nombre de 2180 en 2022 selon le comptage effectué par le Programme des Nations Unis pour l’environnement (PNUE)[6], visent surtout les états, avec succès parfois. A preuve, en France, l’« affaire du siècle » dans laquelle des ONG ont réussi à faire condamner l’état pour son inaction climatique[7] ; ou le récent procès (juin 2023) sur la biodiversité et contre « l’effondrement du vivant » qui s’est conclu par la condamnation de l’état pour le préjudice écologique engendré par les pesticides dont il ne fait pas respecter les obligations de réduction ; ou encore plus récente (juillet 2023), la décision d’un Tribunal administratif imposant à l’Etat de renforcer la lutte contre les algues vertes dans un délai de quatre mois. Ainsi en Allemagne, la Cour constitutionnelle a obligé le gouvernement à revoir ses objectifs climatiques à la hausse, au motif que les libertés des « générations futures » – et en particulier leurs droits fondamentaux à la vie et à la santé – étaient menacées par le « fardeau écrasant » de la réduction des émissions de gaz à effet de serre envisagée après 2030 ; celle-ci reportait sur les épaules des générations à venir le gros des efforts à fournir pour freiner le changement climatique. De même aux Pays-Bas où, dans le cadre du procès ‘Urgenda’, l’État néerlandais a été jugé « responsable » pour ses carences en matière d’action climatique au nom de son devoir de vigilance envers ses concitoyens.

Mais ces procédures sont de plus en plus orientées vers les multinationales dans le but d’obtenir de la Justice des condamnations les contraignant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, à stopper et à réparer leurs atteintes à l’environnement et à la biodiversité – voire à demander des compensations pour les victimes, à respecter les engagements qu’ils ont pris en matière environnementale et climatique ou à dénoncer certaines de leurs assertions et déclarations dans ces domaines. En 2021, sur 200 procès climatiques intentés, 10% ciblent des entreprises. Les entreprises productrices de pétrole (ExxonMobil, BP, Shell, TotalÉnergies, Perenco…) et de charbon (American Electric Power, RWE…) sont majoritairement visées ; mais des constructeurs automobiles (Volkswagen, BMW, Mercedes), des compagnies aériennes (dont Air France), des banques (BNP Paribas), des industriels (Arcelor-Mittal, Nestlé/Nespresso, Danone/Evian) et des groupes de distribution alimentaire (Casino) sont également visés.

Un nouveau front judiciaire a en outre été ouvert tout récemment (octobre 2023) avec la plainte déposée contre TotalEnergies, non pas devant une juridiction civile comme c’était le cas antérieurement mais devant une juridiction pénale. Cette plainte vise des faits qui s’apparentent à un climaticide ; elle ne compte pas moins de quatre infractions graves[8].

Le risque réputationnel est évident. Pour une entreprise, être attaqué en justice pour ces motifs alors que sa communication fait état de ses efforts conséquents en matière écologique, environnementale et climatique est du plus mauvais effet. La presse suit de près ces procédures et relaye les expertises des ONG les engageant et leurs arguments sur les conséquences environnementales ; elle en assure ainsi la médiatisation. Cela porte ces affaires devant le grand public et en explique les enjeux. Cela permet aussi de désigner des « responsables », si ce n’est des « coupables », parfois même avant que la Justice n’ait statué ; ce qui incite (ou devrait inciter) ces multinationales à faire une plus grande part à leurs responsabilités, à leurs actions et à leurs allégations d’ordre climatique et environnemental.

Le risque juridique est, à ce jour, relativement faible. Sur les procédures engagées, seule une a débouché sur la condamnation de l’entreprise visée (en l’occurrence, Shell à La Haye en mai 2021) à renforcer ses mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Mais plusieurs affaires doivent encore être jugées en première instance ou en appel ; en outre, de multiples actions se profilent sur la base de griefs de plus en plus variés sur les politiques climatiques, les communications qu’elles en font et les pratiques antiécologiques (pour ne pas dire écocides) des multinationales.

Une étude[9] du ‘’Grantham Research Institute on climate change and environment’’ de la London School of Economics montre que les litiges climatiques présentent un risque financier pour les entreprises cotées dans la mesure où ils font baisser le cours de leurs actions. Le dépôt d’une plainte ou la publication d’une décision de justice a une conséquence négative sur leur valeur boursière. Selon cette étude, la valeur attendue des actions est en baisse de 0,41%, avec des variations selon les étapes du processus : – 0,57% en moyenne après le dépôt d’une plainte et -1,5 % après un jugement défavorable.

A titre d’exemple, quand Shell est condamné à La Haye en mai 2021, son action recule de 3.8%. Lorsque TotalEnergies est assigné en justice en janvier 2020 par une quinzaine de collectivités et plusieurs ONG pour son inaction climatique, le cours de son action baisse de 1.4%. Nouveau recul de 3.6% en novembre 2021 lorsque qu’en appel, la compétence du tribunal de Nanterre est confirmée. Et le 31 mai 2023, jour d’une audience devant le juge sur ce dossier, nouvelle baisse de 1.4% ; après 3.4% la veille.

On doit mentionner aussi les actions et les procès plus ‘locaux’, souvent moins médiatisés, portés contre des entreprises en vue de les amener à modifier ou à annuler leurs projets ou à mettre fin à des nuisances. Ainsi, à titre d’exemple, de la contestation en Serbie contre la création par le géant anglo-australien Rio Tinto d’une mine de lithium[10] ; ainsi de la lutte contre l’extension par RWE de la mine de charbon de Lützerath dans l’ouest de l’Allemagne ; ainsi de la fermeture administrative temporaire d’une partie de l’usine Arcelor Mittal de Fos-sur-Mer, l’un des sites les plus émetteurs de CO2 de France, du fait de rejet de produits toxiques et de poussières supérieurs aux seuils légaux[11]. Ainsi des très nombreux projets destructeurs de l’environnement et fortement contributeurs à l’émission de gaz à effet de serre partout en France[12] et qui sont souvent trop peu connus.

LA TRANSITION DES BANQUES

Les enjeux financiers liés à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris et à la prévention et la réparation des dégâts environnementaux (passés, présents et futurs), doivent ainsi être envisagés sous un double aspect. Le premier, qui concerne les communautés financières publique et privée dans leur ensemble, est celui de l’accompagnement de la transition environnementale et climatique jusqu’aux niveaux fins que sont celui de l’entreprise, de la plus grande à la plus petite et celui du particulier. Mais cela n’est pas l’objet de la présente note. Le second concerne la gestion par les établissements bancaires des relations avec leurs clients et de leur accompagnement, au quotidien et à moyen et long terme, tant en financements qu’en investissements, dans leurs évolutions et leurs transformations imposées par ces enjeux et objectifs.

Pour reprendre l’adage populaire : « les promesses n’engagent que ceux qui y croient et pas ceux qui les font ».

La majorité (pour ne pas dire la quasi-totalité) des grands établissements bancaires se sont engagés en ce sens en tant que membre des alliances de la Glasgow Financial Alliance For Net Zero (GFANZ)[13] et de signataire de l’initiative onusienne Race to Zero[14].

Mais, les banques – tout comme les sociétés d’assurances et les sociétés d’investissement et de services financiers, parfois filiales de groupes bancaires – continuent de financer massivement les énergies fossiles. Le rapport ‘Banking on climate chaos 2023’ de Reclaim Finance [15] montre ainsi que « le financement des énergies fossiles par les 60 plus grandes banques mondiales a atteint 5500 milliards de dollars américains au cours des sept années suivant l’adoption de l’Accord de Paris, avec un financement de 673 milliards de dollars uniquement pour les énergies fossiles en 2022 ». On est loin des engagements pris !

Loin derrière leurs homologues étatsuniennes et canadiennes, les banques françaises sont particulièrement actives en matière de soutien aux énergies fossiles, notamment au niveau européen. L’an passé, BNP Paribas a mis en place 20 milliards de dollars US de financements auprès des entreprises de ces filières, montant en augmentation de plus de 20% sur 2021 ; dont 5.5 milliards de dollars en Europe. Le Crédit Agricole (11.7 Milliards de dollars globalement et 6.1 milliards en Europe) a aussi enregistré une augmentation de ses concours (6%). La Société Générale (11.1 Milliards de dollars globalement et 3.4 milliards en Europe) connait par contre un repli de ses nouveaux prêts pour la deuxième année consécutive.

Dans son rapport ‘‘A safer transition for fossil banking’’[16], Finance Watch chiffre à 1354 milliards de dollars US l’exposition des 60 plus grandes banques mondiales aux actifs fossiles[17]. Les engagements des 22 banques européennes dont les états financiers consolidés ont été analysés, se montent à 239 milliards de dollars US ; dont près de 60% sont détenues par les 6 banques françaises.

Tous les financements et les investissements mis en place par les banques contribuent inévitablement, par les moyens de prospecter, d’investir, d’opérer mis à la disposition de ces entreprises, à de colossales émissions supplémentaires de gaz à effets de serre et à de nouvelles atteintes à l’environnement et à la biodiversité. Ils retardent d’autant la décarbonation de ces filières et, par ricochet, de tous les secteurs dépendant de ses produits. Tous ces « actifs fossiles » des banques basés sur ce qui risque de devenir des « actifs échoués » des entreprises constituent un risque très important pour les établissements bancaires[18].

Et plus les établissements financiers tardent à en prendre conscience, plus ces risques augmentent. Car plus eux et leurs clients tardent à s’engager dans une transition ordonnée, plus cette transition s’effectuera de façon désordonnée. Et plus les risques de défaut – i.e. de difficultés à honorer ses engagements – et de défaillance – i.e. d’incapacité à les honorer – augmenteront. Et plus les risques de fragilisation des établissements financiers seront importants, y compris ceux qualifiés de systémiques qui sont aussi les plus engagés dans les énergies fossiles. Ce qui pourrait déboucher sur des crises financières et monétaires de grande ampleur. Faut-il rappeler que toutes les études montrent qu’il y a urgence ?

La Banque Centrale Européenne semble paraître soucieuse de « soutenir la transition écologique de l’économie » et de « réduire le risque financier lié au changement climatique dans le bilan de l’Eurosystème ». Elle reconnait qu’elle a un rôle en matière de risques climatiques ; elle a ainsi décidé d’intégrer le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire[19]. Certaines dispositions vont indéniablement dans le bon sens ; on peut notamment citer la limitation des titres des entreprises liées aux énergies fossiles admis en garantie de ses opérations de refinancement ; cela pourrait faciliter la réorientation des flux financiers vers des produits soutenables du point de vue écologique.

Mais le caractère somme toute limité des dispositions annoncées et la volonté affichée de laisser du temps aux établissements bancaires de s’adapter à ces nouvelles contraintes, repoussant certaines mesures à 2027, font craindre que ces mesures n’aient qu’un impact limité et décalé sur les financements concernés.

Cela est d’autant plus regrettable que le dernier test de résistance prudentiel – stress test – réalisé auprès de 104 banques importantes par la Banque Centrale Européenne[20] et à vocation essentiellement ‘pédagogique’, montre que les établissements bancaires de la zone euro doivent se concentrer davantage sur les risques liés au climat. La BCE les invite à intensifier urgemment leurs efforts pour mesurer et gérer les risques climatiques.

Ce stress test a montré que «60% des banques n’ont pas de dispositif adéquat de gestion des risques liés au climat » et que seuls 20% des établissements « prennent en compte le climat comme une variable lorsqu’elles accordent un prêt ». Ce qui n’est pas sans susciter quelques inquiétudes dans la mesure où cet exercice met aussi en exergue que, « en termes agrégés, près des deux tiers des revenus que les banques tirent de leur clientèle de sociétés non financières provient de secteurs à fortes émissions de gaz à effet de serre. Dans bien des cas, les ‘émissions financées’ sont produites par un nombre limité de contreparties importantes, ce qui accroît l’exposition des banques aux risques de transition ».

Le test de résistance montre par ailleurs que, dans le scénario de transition à court terme et dans les deux scénarios de risques physiques retenus, les pertes de crédit et de marché s’élèvent à environ 70 milliards d’euros, en termes agrégés, pour les 41 banques européennes concernées. La BCE relève néanmoins que, très certainement, ce montant pourrait être bien supérieur dans la mesure où le risque climatique tel que retenu par les modèles est considérablement sous-évalué par rapport au risque réel et qu’il ne reflète donc qu’une fraction du danger réel.

Un signe positif toutefois ! La Banque de France a annoncé que la cotation qu’elle attribue aux entreprises et qui permet d’évaluer leur santé financière, va intégrer des critères environnementaux ; d’abord à une population d’entreprises-test dès 2024 puis étendu progressivement à la totalité des entités cotées. Cette cotation est déjà utilisée par les banques dans leurs décisions d’octroi de crédit et dans les conditions dans lesquels ils sont consentis. Si la mesure de la vulnérabilité climatique et environnementale des entreprises, et donc les critères de l’attribution de cette composante, est suffisamment pertinente, rigoureuse et poussée, cette évolution pourrait conduire à des augmentations du coût des crédits. Celles-ci devraient être de plus en plus importantes au fil du temps si les risques climatiques et environnementaux ne sont pas pris en compte ; en cas donc d’immobilisme face au changement climatique. Un motif supplémentaire pour que les entreprises fassent une transition de façon volontaire et ordonnée et non pas subie et dans l’urgence.

Une régulation politique est absolument indispensable pour arriver à une transformation réelle et rapide du modèle des banques. Car on ne peut que constater qu’à ce jour, les engagements volontaires de ces établissements financiers ne sont le plus souvent que des opérations de greenwashing qui ne se reflètent que partiellement, voire pas du tout, dans les politiques de financement et d’investissement mises en place.

Il doit être imposé des obligations légales et/ou réglementaires, et donc contraignantes et sanctionnables, à tous les acteurs financiers – les banques mais aussi les compagnies d’assurance et les sociétés d’investissement et de service financiers – pour qu’ils s’inscrivent sur une sortie ordonnée de leurs activités à destination des entreprises portant atteinte, de quelque façon que ce soit, à l’environnement, les énergies fossiles en priorité. Elles doivent ainsi se positionner sur une trajectoire quantifiée de réduction de leur empreinte carbone ; à savoir s’engager sur une diminution des émissions de gaz à effet de serre issues de leurs activités de financement et d’investissement. Par exemple (et non exclusivement), cela pourrait passer par l’obligation pour tous les prêteurs, les assureurs et les investisseurs que leurs opérations soient conditionnées (covenants, accords de prêt, clauses de sauvegarde, etc…) à des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre des entreprises bénéficiaires et/ou à des engagements de non-pollution de l’eau, des sols et de l’air.

Mais il semble quelque peu illusoire d’espérer de telles décisions de la part de nos dirigeants et des décideurs actuels ! Jusqu’à aujourd’hui, leurs actions se limitent le plus souvent au strict minimum quand cela ne constitue pas à de simples et inefficaces « appels à faire mieux » ; le terme « supplique » serait d’ailleurs plus approprié.

Un levier sur lequel il est plus aisé d’intervenir est celui de la réglementation bancaire. De nombreuses analyses vont toutes dans le même sens : il faut renchérir le coût des financements aux entreprises les plus destructrices de l’environnement et du climat ; dit autrement, même si ce n’est pas très ‘politiquement correct’, il faut renchérir le coût des financements des entreprises écocides et climaticides !

L’Institut Rousseau, dans sa réponse à la consultation du Comité de Bâle en matière de réglementation bancaire écologique[21], a proposé d’attribuer à ces entreprises, du seul fait de leur activité dans certaines filières ou certains secteurs, une notation exprimant au minimum des réserves, sans dérogation possible. Cela exclurait les titres de créances sur ces entités du collatéral demandé pour un refinancement par la Banque Centrale Européenne.

Cela aurait comme impact d’augmenter le coût des financements mis en place et, en en diminuant la rentabilité, aurait un impact dissuasif supplémentaire sur les entreprises ‘polluantes’ bénéficiaires. Au niveau des établissements bancaires, cela permettrait de renforcer leur solidité par les allocations en fonds propres supplémentaires que cela induirait et par le renforcement de leur liquidité à court terme. Il est proposé, dans un premier temps, en attendant que soient développés des outils robustes de mesure du risque climatique, de s’appuyer sur les travaux de l’ONG Urgewald[22] et notamment sur la « Global Oil and Gas Exit List[23] » (GOGEL) qui recense plus de 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et qui couvre ainsi plus de 95% du secteur et la « Global Coal Exit List[24] » (GCEL) qui compte plus de 1000 entreprises du secteur du charbon.

Finance Watch, dans son rapport ‘A safer transition for fossil banking’[25], constate qu’en moyenne, l’application d’un coefficient de pondération des risques de 150 % aux banques actuellement exposées à des actifs fossiles exigerait une augmentation de leurs fonds propres équivalente à environ 3 à 5 mois de bénéfices de ces banques en 2021. Ce qui est relativement peu au regard des enjeux. Il convient de noter que globalement, l’effort des banques européennes (4,75 mois de bénéfice) serait supérieur à celui des établissements nord-américains et asiatiques analysés dans cette étude.

La proposition de Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean dans leur livre ‘Une monnaie écologique’ de décoter automatiquement les titres les plus vulnérables au changement climatique, va dans le même sens. Il convient selon les auteurs d’assumer, entre autres outils de politique économique, une politique monétaire libérée des dogmes qui la restreignent et qui repose sur des choix, plutôt qu’une « gestion » monétaire toute entière tournée vers la préservation de la stabilité des prix.

CONCLUSION

Risques de transition(s) pouvant conduire à un énorme bouleversement, voire à un chamboulement complet de leur activité, de leurs conditions d’exercice, de leur environnement et de leurs marchés ; risques physiques liés à l’augmentation de la fréquence et de l’ampleur des évènements climatiques et des catastrophes naturelles ; risques de litige dans leurs volets réputationnel, juridique et financier. Les risques auxquels font face aujourd’hui – et feront face demain – les entreprises sont nombreux et ne peuvent qu’aller croissants s’ils ne sont pas bien anticipés.

Il en est de même pour les banques qui sont impactées du fait de leurs relations commerciales et financières avec ces entreprises – clientes. Le risque pour les établissements financiers – mais aussi pour les sociétés d’assurances et pour les sociétés d’investissement et de services financiers – qui n’ont pas anticipé et préparé ces évolutions, est d’être confronté à des problèmes importants du fait des difficultés, voire des faillites, d’entreprises dont elles sont créancières et/ou actionnaires. Ce qui pourrait conduire à une crise financière, possiblement très importante.

Ce qui accentuerait les problématiques à affronter pour lutter contre le réchauffement climatique et pour protéger, préserver la nature !

Il y a donc vraiment urgence à ce que, dès aujourd’hui, entreprises et banques s’engagent résolument dans cette voie. Et ce, avec un appui ferme des pouvoirs publics.

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[1] Le terme de ‘neutralité climatique’ est plus précis (et a été préféré ici) à celui de ‘neutralité carbone’. Telle qu’introduite par l’article 4 de la Convention de Paris, la neutralité climatique vise à équilibrer les émissions et les absorptions par des puits, de l’ensemble des gaz à effet de serre et pas seulement du dioxyde de carbone qui ne représente qu’environ 80% des gaz à effet de serre de la planète. Cet équilibre est entendu au niveau mondial et non pas au niveau microéconomique dans lequel le terme de neutralité carbone, associé uniquement au dioxyde de carbone, est souvent utilisé.

[2] Voir notamment les deux billets de chercheurs de la Banque de France :

[3] Selon un rapport publié en décembre 2022 par l’organisation américaine Global Energy Monitor, 26 nouveaux projets de terminaux d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) ont été annoncés en Europe depuis le début de la guerre en Ukraine.

Lien vers le rapport : https://drive.google.com/file/d/1ZjHa2XZsGo-6zNiTlIL7vrm37EHth_nm/view

[4] Rapport de synthèse du 6ème rapport d’évaluation du GIEC et son Résumé pour les décideurs

[5] Site de l’IPBES : https://www.ipbes.net/

[6] Lien vers le communiqué de presse du PNUE : https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/les-contentieux-lies-au-climat-ont-plus-que-double-en

Lien vers le rapport « Global Climate Litigation Report », juillet 2023 : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/43008/global_climate_litigation_report_2023.pdf?sequence=1&isAllowed=y

[7] En février 2021 par le Tribunal administratif de Paris et en mai 2023 par le Conseil d’Etat

[8] Les infractions visées par la plainte des quatre associations à l’origine de la procédure sont : l’ « abstention de combattre un sinistre », l’ « homicide involontaire », les « atteintes involontaires à l’intégrité de la personne » et la « destruction ou la dégradation d’un bien appartenant à autrui de nature à créer un danger pour les personnes ».

[9]  https://www.lse.ac.uk/granthaminstitute/wp-content/uploads/2023/05/working-paper-397_-Sato-Gostlow-Higham-Setzer-Venmans.pdf , Mai 2023

[10] A noter par ailleurs le projet d’Imerys d’ouverture d’une mine de lithium en France, dans l’Allier, d’ici 2027 ou la découverte en Bretagne, au beau milieu d’une zone écologique protégée, d’un gisement de lithium que le gouvernement souhaite exploiter.

[11] Plusieurs plaintes judiciaires pour dépassement des seuils de pollution atmosphériques émanant de riverains et d’associations sont par ailleurs en cours.

[12] Lien vers la carte des luttes écologiques et environnementales en France établie par Reporterre : https://reporterre.net/La-carte-des-luttes-contre-les-grands-projets-inutiles

[13] Site du Glasgow Financial Alliance for Net Zero  —  La liste des banques signataires via Net-Zero Banking Alliance (possibilité de sélection par région et pays) peut être consultée ICI .

[14] Site de Race to zero campaign des Nations Unis  —  La liste des participants de cette campagne (possibilité de sélections par type, pays, région…) peut être consultée ICI .

[15] Reclaim Finances : Banking on climate chaos 2023

[16] Le rapport en anglais A safer transition for fossil banking ; et son résumé en français

[17] A noter que Finance Watch retient une définition plus étroite des actifs fossiles que celles utilisées supra. Ont été ciblées ici (cf. méthodologie, page 20 du rapport) « les expositions de crédit liées à la prospection, à l’extraction et au soutien à l’extraction de ces ressources (c’est-à-dire les activités en amont), ainsi qu’à la production d’électricité à partir de ces combustibles, mais pas à la distribution par les principaux oléoducs et gazoducs ».

A noter également que les montants retenus ne concernent que les prêts mis en place par ces banques tels qu’ils ressortent de leurs comptes consolidés.

[18] Voir sur le site de l’Institut Rousseau, l’étude « Actifs fossiles, les nouveaux subprimes ? Quand financer la crise climatique peut mener à la crise financière »

[19] Voir la note de l’Institut Rousseau : Intégration des enjeux climatiques dans la politique monétaire de la Banque centrale européenne : après ces premiers pas, la route reste encore longue

[20] Voir le communiqué de la BCE

[21] Voir sur le site de l’Institut Rousseau la note : Consultations en matière de réglementation bancaire écologique : notre réponse

[22] Site de l’ ONG Urgenwald  +  site de l’ONG Urgewald en anglais

[23] Global Oil and Gas Exit List

[24] Global Coal Exit List

[25] Cf. note 8

Finance Watch : Réduire les risques financiers liés au financement des énergies fossiles par les banques françaises

J’ai l’honneur d’être l’un des co-auteurs de cette étude de Finance Watch, organisation non-gouvernementale européenne, dont la vocation est « de contrebalancer le lobby de l’industrie financière ».

ICI le lien vers le rapport en anglais.

Ci-dessous son résumé en français.

PS : les grands esprits se rencontrent ! Cette étude rejoint dans ses préconisations, celles formulées par l’Institut Rousseau dans sa réponse à la consultation du Comité de Bâle en mars 2022. (à voir ICI sur ce blog ou LA sur le site de l’Institut Rousseau)

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1 350 milliards de dollars d’expositions aux risques liés aux énergies fossiles et une sous-évaluation des risques

Les instances de surveillance du secteur bancaire sont de plus en plus préoccupées par les liens entre les changements climatiques et la stabilité financière. Le financement bancaire du secteur des énergies fossiles se situe au coeur du problème : en effet, les énergies fossiles sont le principal facteur d’accélération des changements climatiques, et de nombreux actifs associés aux énergies fossiles (« actifs fossiles ») devront être abandonnés avant la fin de leur durée de vie économique (« actifs échoués ») pour assurer la transition vers une économie neutre en carbone.

Finance Watch estime que les 60 plus grandes banques du monde sont exposées à des risques d’un montant d’environ 1 350 milliards de dollars liés à des actifs fossiles dans leurs bilans. Cette somme colossale est supérieure au montant des actifs à risque (« subprimes ») auxquels étaient exposées les banques juste avant la crise financière mondiale, et les instances de surveillance constatent que les risques actuels liés aux énergies fossiles ne sont pas encore pleinement pris en compte dans les exigences de fonds propres des banques. Cela pourrait compromettre la solvabilité et la stabilité financière des banques lorsque les risques liés au climat deviendront de plus en plus concrets.

La manière la plus cohérente et la plus efficace d’y remédier serait d’adopter une mesure technique, qui fait actuellement l’objet d’un examen par les législateurs de l’UE et du Canada, et qui consisterait à ajuster les exigences en matière de fonds propres afin de tenir compte des risques accrus associés au financement des énergies fossiles. Il faudrait alors :

appliquer un coefficient de pondération des risques sectoriels de 150 % aux expositions des banques à des actifs fossiles

Pour mettre en œuvre cette mesure, les banques auraient besoin de fonds propres supplémentaires. Dans une étude publiée récemment, Finance Watch analyse les répercussions sur les banques de l’application d’un coefficient de pondération des risques de 150 %, et conclut que cette proposition pourrait être mise en œuvre sans compromettre la capacité des banques à accorder des prêts.

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Fonds propres supplémentaires nécessaires au niveau mondial et en France

L’étude porte sur les 60 plus grandes banques du monde, parmi lesquelles les 22 plus grandes banques de l’UE en termes d’actifs, dont six sont françaises. On constate qu’en moyenne, l’application d’un coefficient de pondération des risques de 150 % aux banques actuellement exposées à des actifs fossiles exigerait une augmentation de leurs fonds propres équivalente à environ 3 à 5 mois de bénéfices de ces banques en 2021.

Le montant moyen des fonds propres supplémentaires s’élèverait à 2,69 milliards d’euros pour chaque établissement, ce qui équivaut à 2,85 % des fonds propres actuels des banques (au 31 décembre 2021) ou à 3,42 mois de leur bénéfice net pour 2021.

Les six banques françaises comprises dans cette étude – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE / Natixis, Crédit Mutuel et La Banque Postale – ont un niveau global d’exposition aux énergies fossiles similaire à la moyenne mondiale mais supérieur à la moyenne européenne. À elles toutes, ces banques possèdent 125 milliards d’euros d’actifs fossiles dans leurs bilans, soit 1,31 % du total de leurs actifs, contre une moyenne de 1,05 % dans l’UE et de 1,47 % à l’échelle mondiale.

Cela signifie que les banques françaises devraient en moyenne mobiliser chacune 2,97 milliards d’euros de fonds propres supplémentaires, contre une moyenne de 2,69 milliards d’euros au niveau mondial ou de 1,36 milliard d’euros au niveau de l’UE, afin d’appliquer un coefficient de risque plus élevé à leurs actifs fossiles.

Compte tenu des bénéfices qu’elles ont dégagé en 2021, nous estimons que ces six banques françaises pourraient y parvenir en moyenne en 6,54 mois de bénéfices non distribués.

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Conséquences pour les prêts

Dans les années qui ont suivi la crise financière mondiale, les banques ont été en mesure de mobiliser un volume important de capitaux sur 18 à 24 mois, sans pour autant réduire leurs prêts ni leurs actifs totaux, en ayant recours à la rétention de bénéfices et à l’augmentation de leurs marges de crédit.

Le capital supplémentaire requis dans le cadre de la présente proposition est beaucoup plus faible et équivaut, pour les banques françaises, à accumuler six mois de bénéfices non distribués, même si, dans la pratique, les banques disposeraient de plus de temps pour y parvenir, car ce type de mesure est généralement mis en œuvre progressivement sur de plus longues périodes.

En prévoyant une période de transition adaptée, il serait tout à fait possible pour les banques de combler le nouveau déficit de capital grâce à des bénéfices non distribués, sans compromettre leurs capacités à accorder des prêts, ce qui est important pour assurer une transition durable.

Cela n’empêcherait pas les banques d’accorder des prêts au secteur des énergies fossiles, mais elles devraient prévoir une prime de risque plus élevée pour ces prêts afin de tenir compte des risques qui y sont associés.

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Conclusion

La révision législative en cours des règles prudentielles de l’UE pour le secteur bancaire – règlement et directive sur les exigences de fonds propres – est une occasion unique d’introduire une pondération sectorielle des risques pour l’exposition aux énergies fossiles. Les instances de surveillance devraient ensuite travailler en collaboration avec les banques pour mettre en place progressivement ces changements sur une période appropriée. Cette démarche est essentielle pour protéger les banques françaises contre les risques climatiques liés au financement du secteur des énergies fossiles et des bouleversements résultant de l’accélération des changements climatiques, sans pour autant réduire leurs capacités à accorder des prêts. 

Banque Centrale Européenne et changement climatique

[ Cet article dont je suis l’un des co-auteurs, a initialement été publié sur le site de l’Institut Rousseau. Vous pouvez l’y consulter ICI ]

Intégration des enjeux climatiques dans la politique monétaire de la Banque centrale européenne : après ces premiers pas, la route reste encore longue

La BCE reconnait son rôle en matière de risque climatique : il était temps !

« La Banque Centrale Européenne prend de nouvelles mesures visant à intégrer le changement climatique à ses opérations de politique monétaire ». Tel est le titre du communiqué que la BCE vient de publier 1. Les dispositions suivantes seront mises en œuvre :

  • La BCE intégrera désormais des critères relatifs à la performance climatique des entreprises dans le cadre de son programme d’achat d’obligations d’entreprises (« Corporate Sector Purchase Program », CSPP) ;
  • La BCE limite la part des titres liés à des entreprises polluantes admise comme garantie des emprunts des banques auprès des banques centrales des États européens, sous la forme d’une décote automatique de la valeur des titres les plus vulnérables aux risques climatiques 2 ;
  • La BCE contrôlera le respect par les entreprises de l’obligation de publier leurs informations climatiques (directive dite « Corporate Sustainability Reporting », CSRD), sous peine de les exclure de ses mécanismes de garantie de crédit ;
  • La BCE renforcera ses efforts d’évaluation et de gestion des risques climatiques, notamment par lamise en place d’un ensemble de normes communes pour intégrer les risques liés au climat dans les notations produites par les systèmes d’évaluation du crédit par les banques centrales nationales.

L’Institut Rousseau se réjouit de constater que la BCE sort de son positionnement attentiste en matière de risque climatique. Pour la première fois, elle reconnait explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours du ferme attachement au principe de neutralité des marchés qu’elle brandissait jusqu’alors pour justifier son manque de volontarisme à l’égard des enjeux climatiques. La BCE et ses dirigeants reconnaissent finalement le rôle primordial et moteur qu’ils doivent jouer dans l’indispensable transition que doit mener le système financier, au-delà des déclarations de principe. Ceci en particulier dans la juste appréciation des risques que constituent les actifs échoués, ces prêts mis en place à destination des filières dépendantes du charbon, du pétrole et gaz, et qui pâtiront de la transition écologique à venir (voir la note de l’Institut Rousseau qui traite du risque que représentent particulièrement les actifs fossiles : « actifs fossiles, les nouveaux subprimes »3).

Si les actions associées ne sont pas suffisamment ambitieuses, les déclarations de la BCE ne constitueront que les perles d’un très beau collier

La BCE admet finalement la validité des arguments des économistes qui appelaient intégrer les risques climatiques au cadre de politique monétaire européen – comme l’Institut Rousseau l’a fait dans nombre de ses travaux. Les raisons énoncées par la BCE pour justifier ce changement, toutes pertinentes et justifiées, ne constituent toutefois à ce stade que les perles d’un très beau collier.

Ainsi, la BCE reconnait que l’inclusion de critères liés aux risques climatiques permettra de « réduire le risque financier lié au changement climatique dans le bilan de l’Eurosystème ». Elle se dit prête à « soutenir la transition écologique de l’économie » pour permettre un « alignement sur les objectifs de l’accord de Paris et les objectifs de neutralité climatique de l’UE » (voir à ce sujet le rapport de l’Institut Rousseau sur les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 4).

La BCE cite également la nécessité d’« intégrer les questions liées au changement climatique au cadre de politique monétaire de l’Eurosystème »  et enfin d’« inciter les entreprises et les établissements financiers à faire preuve de davantage de transparence en ce qui concerne leurs émissions de carbone, et à les réduire » (voir à ce sujet la note de l’Institut Rousseau appelant à une réforme de la règlementation financière en matière de climat 5).

On pourrait croire, à la lecture de ce communiqué, qu’au-delà des grandes déclarations de principe, la BCE et ses dirigeants prennent enfin conscience du rôle moteur et primordial qui doit être le leur dans la réorientation des flux financiers vers des produits soutenables du point de vue écologique, et dans la meilleure appréciation des risques que constituent les actifs « fossiles » mentionnés plus haut.

Les premiers pas effectués par la BCE démontrent effectivement un revirement de doctrine bienvenu, qui était attendu depuis que la revue stratégique de politique monétaire 6 en juillet dernier avait posé les prémisses d’une modification du cadre d’intervention, malgré le fait que la BCE n’avait alors pas explicitement accepté de renoncer à la doctrine de la « neutralité de marché ». Ce principe désigne le fait que la BCE s’efforçait jusqu’à présent d’investir dans des actifs financiers qui représentent fidèlement la masse de titres financiers en circulation, afin de ne pas créer de distorsion sur les marchés. Cela l’a empêchée jusqu’ici d’imposer des critères écologiques dans ses stratégies d’investissement. Le communiqué du 4 juillet 2022 représente donc un tournant majeur, en ce que la BCE reconnait pour la première fois explicitement la nécessité de prendre en compte le changement climatique dans ses opérations de politique monétaire, à rebours, peut-on espérer, du ferme attachement au principe de neutralité de marché dont elle faisait preuve jusqu’alors. Cette modification traduit un changement profond dans la manière d’envisager les risques climatiques et environnementaux, et reflète un consensus concernant la légitimité de l’action de la BCE dans le cadre de son mandat actuel pour lutter contre les dérèglements climatiques et favoriser la transition.

Toutefois, cette première avancée notable ne doit pas éclipser le fait que ces annonces demeurent pour l’heure largement insuffisantes au vu de l’ampleur considérable des changements à mener, et de l’urgence de la tâche.

Le périmètre et les délais de mises en œuvre des mesures annoncées : limites majeures de l’initiative de la BCE

Concernant les programmes d’achat, il faudra savoir ce que la BCE entend par « des émetteurs présentant de bons résultats climatiques » vers lesquelles elle veut orienter ses réinvestissements. La définition donnée, à savoir les entreprises ayant « une bonne performance climatique (qui) sera caractérisée par de faibles émissions de gaz à effet de serre, des objectifs ambitieux de réduction des émissions de carbone et des déclarations satisfaisantes en matière de climat », est très large et particulièrement floue. Elle devra notamment être précisée afin d’exclure les entreprises dont les plans d’alignement sont trop peu crédibles et relèvent avant tout d’une démarche de « greenwashing ».

L’une des limites principales de la mesure est que l’intégration de ces critères d’analyses environnementaux ne s’appliquera pour commencer qu’« aux seuls instruments de dette négociables émis par des entreprises n’appartenant pas au secteur financier (sociétés non financières) ». Cela signifie que cette mesure concernera exclusivement le programme d’achat du secteur privé (CSPP), soit une fraction minime des programmes d’achat d’actifs de la BCE qui sont essentiellement dédiés aux obligations souveraines d’États européens (« Public Sector Purchase Programme », PSPP). Par ailleurs, il est à noter que ces programmes avaient pour objectif initial de stimuler l’inflation afin qu’elle atteigne son objectif d’inflation de 2 %, conformément à la mission fixée par le traité fondateur de la Banque centrale européenne. Compte-tenu des niveaux récents d’inflation, qui dépassent très largement la cible de 2 % (8,1 % en mai 2022 puis 8,6 % en juin 2022), la BCE a annoncé en juin son intention de réduire progressivement ces programmes, jusqu’à l’arrêt complet 7. Ainsi, la décision d’inclure des critères climatiques dans le programme d’achat de titres de dettes émis par des entreprises intervient à quelques temps de la fin du programme, et sera donc suivi d’effets probablement très limités. Pour aller plus loin, la BCE pourrait instaurer un programme d’achats spécifique, ciblé et de long terme de titres émis par des entités ayant l’obligation d’investir dans la reconstruction écologique, notamment des banques publiques d’investissement.

Par ailleurs, la BCE entend désormais limiter « la part des actifs émis par des entités à empreinte carbone élevée qui peuvent être apportés en garantie par des contreparties dans le cadre d’emprunts auprès de l’Eurosystème ». Elle annonce également que désormais, « l’Eurosystème tiendra compte des risques liés au changement climatique lors de ses révisions des décotes appliquées aux obligations d’entreprise utilisées comme garanties ». Cette évolution s’inscrit en cohérence avec la suggestion de l’Institut Rousseau dans sa contribution à la consultation publique du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) sur les risques climatiques 8. Elle pourrait en effet mener à appliquer une pondération de risque supplémentaire aux instruments financiers issus d’entreprise des filières et secteurs les plus intensifs en carbone, afin de refléter le risque additionnel pesant sur ces acteurs économiques qui seront les premiers affectés par les politiques publiques de transition écologique et énergétique. Toutefois, pour que les mesures annoncées soient suffisamment ambitieuses et contraignantes, la BCE devra préciser les critères retenus pour définir les « entités à empreintes carbone élevée ». Au-delà d’une simple décote, une partie de ces actifs devrait être tout simplement interdite comme collatéral au refinancement. Parmi ceux-là, les travaux de l’ONG Urgewalg qui a publié la « Global Oil and Gas Exit List » (GOGEL) recensent plus de 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et qui couvre ainsi plus de 80% du secteur ainsi que la « Global Coal Exit List 10 » (GCEL) qui compte plus de 1000 entreprises du secteur du charbon.

Ces mesures auraient pour effet d’obliger les banques à renforcer leurs fonds propres et à les rendre ainsi plus à même de faire face aux crises qui pourraient survenir. Les stress-tests climatiques réalisés par la BCE en 2022, et dont les résultats ont été publiés le 8 juillet 11, démontrent explicitement la corrélation entre l’intensité carbone des expositions des banques et les probabilités de défaut associées à celles-ci. Par ailleurs, ces risques de perte augmentent à mesure que les entreprises, les banques et les États tardent à engager la transition. Pour des raisons tant économiques qu’écologiques, il est grand temps d’agir !

La BCE annonce toutefois que la mise en œuvre de ces dispositions interviendra « à mesure que la qualité des données relatives au climat s’améliorera ». En effet, les données financières propres à la vulnérabilité de chaque établissement manquent toujours (ex. : émissions de gaz à effet de serre associées à chaque ligne de prêt, diagnostic de performance énergétique de chaque bien sous-jacent à un prêt immobilier). En revanche, les études et travaux relatifs au climat rédigés par le GIEC, l’Agence Internationale de l’Energie, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, l’Organisation Météorologique Mondiale – pour ne citer que ceux-là – tout comme les scénarios climatiques développés par le NGFS, le Réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier 12 sont suffisamment élaborés pour rendre compte de l’urgence à agir. Bien qu’ils soient encore perfectibles, ces travaux permettent toutefois d’agir sur le fondement du principe de précaution, une disposition définie lors du sommet de Rio de 1992 selon laquelle, malgré l’absence de certitudes dues à un manque de connaissances techniques, scientifiques ou économiques, les acteurs publics et privés sont tenus de prendre des mesures anticipatives de gestion de risques pour éviter des dommages potentiels immédiats et futurs sur le climat et l’environnement.

L’absence d’encadrement des conséquences climatiques des flux financiers, marge de progression majeure du cadre de politique monétaire

Une autre limite majeure des annonces de la BCE est justement qu’elles ne limitent que très faiblement et très indirectement la capacité du système bancaire à financer les secteurs des combustibles fossiles. Et on sait aujourd’hui que les grands établissements financiers mondiaux ne s’en privent pas – et sont même particulièrement généreux 13.

D’autant plus que, dans le contexte international, l’urgence climatique est devenue… moins urgente aux yeux des décideurs politiques. Du fait de la crise énergétique découlant du conflit russo-ukrainien, les acteurs publics et privés renoncent progressivement aux mesures encadrant ou limitant la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, en particulier ceux en eaux profondes et dans l’Arctique ou ceux issus de la fracturation hydraulique, désastreuse pour les nappes phréatiques, l’environnement et le climat. Les entreprises européennes portent à elles seules un nombre important de fossiles de grande ampleur et engageants sur le long terme, d’ores et déjà lancés (ports méthaniers, gazoducs) ou en cours de financement (notamment East Gas Program, EACOP, etc.). Les banques européennes sont ou seront engagées dans le financement de tous ces projets, et augmenteront ainsi le volume de leurs actifs risqués.

Pour contribuer à enrayer efficacement le processus de dérèglement climatique, la règlementation financière devrait être structurée autour d’une approche duale, en encadrant à la fois les risques mentionnés plus haut que le changement climatique fait peser sur la stabilité financière, mais également ceux auxquels les acteurs financiers exposent l’environnement et la société. À cet effet, nous réaffirmons l’importance que les institutions économiques européennes accélèrent les travaux d’élaboration d’une taxonomie brune, c’est-à-dire d’une définition européenne commune des instruments financiers considérés comme préjudiciables à l’environnement : la transformation indispensable de notre économie passera par une réorientation des flux financiers vers des activités plus soutenables, et donc par un processus de sortie de ces investissements dits « bruns ». Pour y arriver, les régulateurs et superviseurs devront pouvoir se fonder sur une norme européenne commune sur laquelle établir les règles visant à dissuader ou interdire les investissements dans certains secteurs d’activités. En permettant d’interdire le financement des activités les plus polluantes, l’élaboration d’une taxonomie brune emportera des conséquences vertueuses systémiques sur l’ensemble du secteur économique.

Pour conclure, il faut reconnaitre à cette revue de politique monétaire le mérite, essentiellement symbolique, de rompre enfin avec l’illusion de la « neutralité de marché » brandie par la BCE pour justifier son inaction à l’égard des enjeux climatiques. En prenant acte de la nécessité d’agir pour contrôler davantage le système financier en la matière, et en entérinant sa capacité à agir en ce sens dans le cadre de son mandat actuel, la BCE ouvre la voie politique, juridique et technique à de futures mesures plus radicales qui permettront d’aligner les flux financiers sur les objectifs des accords de Paris. Toutefois, cet optimiste doit pour l’heure être tempéré par le caractère restreint des mesures annoncées par la BCE, qui n’auront finalement qu’un effet de contrainte minime sur les flux financiers en circulation actuellement. Cette insuffisance est encore renforcée par les indications de calendrier avancées par la BCE : affichant l’intention de laisser aux acteurs financiers le temps de s’adapter à l’évolution du cadre de politique monétaire, les mesures de la BCE n’entreront en vigueur que très graduellement entre 2024 et 2026 pour les plus tardives.

Les derniers volets du sixième rapport du GIEC parus au cours des derniers mois l’ont pourtant réaffirmé avec force : les acteurs publics et privés doivent prendre des mesures immédiates, et drastiques, pour espérer contenir le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité à des niveaux soutenables pour l’avenir. En outre, les instruments présentés ici ne permettent pas d’imaginer la politique monétaire comme un véritable levier de la reconstruction écologique, ce qu’elle pourrait devenir si nous instaurions un financement monétaire de certaines dépenses écologiques, le financement long et à taux préférentiels des banques publiques d’investissements ou de fonds ad hoc agissant pour le climat, et cela grâce à des mécanismes de contrôle politique et citoyen qui lui font pleinement défaut aujourd’hui.


[1] Voir le communiqué de la BCE en juillet 2022 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ecb.pr220704~4f48a72462.fr.html

[2] Cette proposition avait notamment été faite dès février 2020 par Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean dans « Une monnaie écologique » publié aux éditions Odile Jacob.

[3] Voir la note sur le site de l’Institut Rousseau : https://institut-rousseau.fr/actifs-fossiles-les-nouveaux-subprimes/

[4] https://institut-rousseau.fr/2-pour-2c-resume-executif/

[5] https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/lecologie-combat-du-siecle-la-transformation-de-la-finance-na-pas-eu-lieu/

[6] Voir le communiqué de la BCE en juillet 2021 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2021/html/ecb.pr210708_1~f104919225.en.html

[7] Voir le communiqué de la BCE en juin 2022 : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ecb.mp220609~122666c272.en.html

[8] Voir la contribution de l’Institut Rousseau pour le CBCB sur notre site : https://institut-rousseau.fr/consultations-en-matiere-de-reglementation-bancaire-ecologique-notre-reponse/

[9] Voir les travaux de l’ONG Urgewalg : https://gogel.org/sites/default/files/2021-11/urgewald%20GOGEL%202021%20Methodology.pdf

[10] Voir les travaux de l’ONG Reclaim Finance : https://reclaimfinance.org/site/wp-content/uploads/2021/10/Media-Briefing_GCEL_ENG_07102021.pdf

[11] Voir le communiqué de la BCE le 8 juillet 2022 : https://www.bankingsupervision.europa.eu/press/pr/date/2022/html/ssm.pr220708~565c38d18a.en.html

[12] Le NGFS met à disposition l’ensemble des données et variables climatiques, énergétiques et économiques modélisées pour 132 pays dont ceux de l’Union Européenne Ses travaux couvrent les risques de transition et les risques physiques liés au changement climatique :  https://www.ngfs.net/ngfs-scenarios-portal/

[13] Voir le rapport « Banking on climate chaos, fossile fuel finance report 2022 » https://www.bankingonclimatechaos.org/

2% pour 2°C

Combien faudrait-il investir pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ?

Gaël Giraud et 23 expertes et experts de l’Institut Rousseau (dont votre serviteur) ont travaillé pendant des mois à le quantifier, à chiffrer ‘ligne par ligne’ les investissements nécessaires. Le résultat ? 2%.

Il suffit de 2% du PIB pour limiter l’augmentation de la température à la fin de ce siècle dans les limites de l’accord de Paris.

Ce rapport est disponible sur le site de l’Institut Rousseau par ce lien :

https://institut-rousseau.fr/2-pour-2c-resume-executif/embed/#?secret=MaxEZ92wha#?secret=aFdBFPRVO2 https://institut-rousseau.fr/2-pour-2c-resume-executif/

A la veille de la COP26, il faut rappeler que de nombreux rapports sur l’urgence climatiques sont disponibles

Ces derniers mois, ont été publiés de nombreux rapports, bilans, analyses, études qui documentent le réchauffement climatique et l’urgence à y faire face et qui proposent des changements à mettre en œuvre et des trajectoires à suivre. On ne peut toutefois s’empêcher de penser que nos dirigeants ne se les approprient pas dans les responsabilités qui sont les leurs et même n’en tiennent pas compte, si ce n’est par quelques citations au détour d’un discours.

La COP 26 qui se tient du 31 octobre au 12 novembre 2021 à Glasgow verra-t-elle une évolution des comportements de ses participants ? Les négociations qui s’y tiendront déboucheront-elles sur un rehaussement de l’ambition climatique à un moment où l’urgence est de plus en plus grande ? Les solutions et actions qui y seront arrêtées, seront-elles à la hauteur des enjeux ? Et seront-elles mises en œuvre ?

Voici un petit inventaire, bien succinct et forcément très incomplet, de quelques rapports, études, analyses, enquêtes dont la lecture devrait alimenter la réflexion de nos dirigeants. C’est tout ce que l’on espère !

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A tout seigneur tout honneur ! Il faut commencer par citer le GIEC, le « Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat » auquel 195 gouvernements (sur les 197 actuellement reconnus par l’ONU) participent.

« Le changement climatique se généralise, s’accélère et s’intensifie » : le ‘Résumé à destination des décideurs’ en date du 7 août 2021 est franchement catastrophique (en anglais ici ; en français – traduction non officielle –  ; et là la synthèse faite par ‘The Shifters’). Il en est de même du rapport sur l’état des connaissances sur le changement climatique publié simultanément.

Loin de moi l’idée de faire ici une synthèse ou un résumé de ce document d’une quarantaine de pages que, quant à eux, tous nos dirigeants devraient lire et relire. Juste quelques points, parmi une foultitude d’autres, que je veux mettre en exergue.

Car il y aurait tant à dire sur l’état actuel du climat ou sur les différents scénarios d’évolution future ou sur les impacts prévisibles sur les sociétés humaines et sur les écosystèmes. Juste peut-être que, même en cas de réduction immédiate des émissions de GES, il est plus ‘probable qu’improbable’ (pour reprendre les termes du Résumé) que la barre des +1.5°C sera atteinte voire dépassée d’ici 2040 ; peut-être même d’ici 2025 ; mais que, dans le meilleur des scénarios (SSP1-1.9), elle pourrait redescendre légèrement sous ce seuil d’ici la fin du XXIe siècle. Et que dans le pire des scénarios (SSP5-8.5 – celui du ‘business as usual’ ?), les émissions annuelles de GES tripleraient et la température augmenterait de 4.4°C d’ici la fin de ce siècle (fourchette large des estimations de 3.3 à 5.7°C). Ou que toute augmentation du réchauffement diminue également l’efficacité des puits de carbone naturels (océans, sols, végétation). Ou encore (oh combien est-ce pessimiste !), que quoi que nous fassions, du fait de l’inertie des océans et des glaces terrestres qui est bien plus grande que celle de l’atmosphère, de nombreux changements dus aux émissions de gaz à effet de serre, qu’elles soient passées et futures, sont irréversibles sur plusieurs siècles, en particulier les changements concernant les océans, les calottes glaciaires et le niveau mondial des océans… Il y aurait tant à dire !

Un des résultats majeurs de ce rapport est que la limitation du réchauffement à +1,5°C à horizon 2100 – le but affiché de l‘Accord de Paris, de la COP 21 de 2015 – est impossible sans une réduction majeure et immédiate des émissions de GES, suivie par l’élimination nette de CO2 atmosphérique. En particulier, cela implique d’arriver à la neutralité carbone (les émissions doivent être compensées par des captures de CO2) peu après 2050. Un second est la réaffirmation forte qu’il y a une relation quasi-linéaire entre la quantité cumulée de GES dans l’atmosphère et le réchauffement climatique.

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Les critiques des rapports du GIEC sont nombreuses. Et le plus souvent, les stratégies développées sont dans le droit fil de celles des Majors de l’industrie du tabac qui ont réussi pendant des années à cacher la nocivité et les dangers de la cigarette ; ces stratégies sont maintenant parfaitement bien documentées [1].

On est ainsi face à des ‘manipulations scientifiques’ qui visent à discréditer les travaux de la multitude de scientifiques qui contribuent aux rapports du GIEC ; des ‘manipulations médiatiques’ avec de soi-disant experts qui minimisent les impacts et l’ampleur des phénomènes décrits et de leurs conséquences – quand ils n’accusent par les contributeurs et relecteurs des rapports de ‘manipuler’ les données sur le climat ; des ‘manipulations sociétales’ lorsqu’il est affirmé que le bien-être, si ce n’est le bonheur, des êtres humains est gravement menacé par les luttes menées pour éviter un changement climatique (trop) important ; des ‘manipulations de greenwashing’ quand les industries les plus polluantes et tous leurs lobbys – tant au niveau de l’extraction des énergies fossiles que de leur transformation et de leur utilisation sous ses différentes formes – multiplient les communications censées montrées qu’elles sont des acteurs importants dans la lutte contre le réchauffement climatique [2]

Il est sans doute utile aussi de rappeler que le « Résumé technique » et le « Résumé à l’intention des décideurs » sont approuvés ligne à ligne, voire mot à mot, par les représentants des 195 gouvernements impliqués – qui ont parfois des intérêts très différents – et les experts scientifiques ; ils sont donc l’expression du consensus. En outre, la transparence du processus de sélection des auteurs et des relecteurs, puis des publications scientifiquespermet de garantir un haut niveau de neutralité politique.

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Dans son bulletin annuel paru le 25 octobre (à lire ici), l’Organisation météorologique mondiale fait un constat sans appel : le taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère progresse de façon alarmante. Et cela est vrai tant pour le gaz carbonique – CO2 – que pour le méthane – CH4 – ou l’oxyde nitreux – N2O. A leur rythme actuel, l’augmentation de la concentration de ces gaz dans l’atmosphère conduit à une hausse des températures bien supérieure aux objectifs fixés par l’Accord de Paris.

Dans ce rapport s’expriment aussi de sérieuses inquiétudes quant à l’efficacité future des ‘puits de carbone’ dont la capacité à agir comme un tampon contre une augmentation plus importante de température pourrait se réduire. Et cela est aussi vrai pour les écosystèmes terrestres en raison des conséquences du changement climatique en cours comme la fréquence accrue des sécheresses et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des incendies de forêt que pour les océans avec l’augmentation des températures à la surface de la mer, l’acidification due à l’absorption de CO2 et le ralentissement de la circulation océanique méridienne dû à la fonte accrue de la glace de mer. Les effets du réchauffement climatique amplifient et accélèrent le réchauffement climatique !

Le Secrétaire Général de cette agence de l’ONU lance ainsi un cri d’alarme : « la dernière fois que la Terre a connu une concentration comparable de CO2, c’était il y a 3 à 5 millions d’années, lorsque la température était de 2 à 3 °C plus élevée et que le niveau de la mer était de 10 à 20 mètres plus haut qu’aujourd’hui. Mais il n’y avait pas 7,8 milliards d’habitants à l’époque ».

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Dans son « rapport 2021 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions » publié le 26 octobre 2021 (à voir ici), le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) rappelle que les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître, excepté en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19 (- 5,4 %). Il indique que les dernières promesses climatiques pour 2030 mettent le monde sur la voie d’une augmentation de la température d’au moins 2,7°C au cours du siècle.

A la veille de la COP26, les « contributions déterminées au niveau national » (NDC) – ces feuilles de route climatiques avec 2030 pour horizon que chaque Etat élabore lui-même et pour lui-même – qui ont été présentées sont notablement insuffisantes ; d’autres sont même en repli sur celles présentées il y a 6 ans ; et certains Etats n’ont pas présenté leurs engagements de décarbonation de leur société.

A ce jour, selon Climate Action Tracker (CAT), réseau international de climatologues, seule la Gambie a une trajectoire compatible avec le scénario + 1,5 °C d’ici à la fin du siècle

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Il convient de mentionner aussi une initiative assez peu connue : la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes qui se déroule de 2021 à 2030 (présentation à voir ici).

2030 ! Cette date a été choisie encore une fois comme cible pour atteindre les objectifs de développement durable car elle constitue notre dernière chance selon les scientifiques, d’éviter des changements climatiques catastrophiques. Mais cela est-il encore nécessaire de le rappeler ?

Ce n’est pas le premier appel que l’ONU lance dans ce domaine. Il y a déjà eu la proclamation de la Décennie des Nations Unies pour les déserts et la lutte contre la désertification (2010-2020), de la Décennie pour la biodiversité (2011-2020), de la Décennie internationale d’action sur le thème « L’eau pour le développement durable » (2018-2028), de la Décennie pour l’océanologie au service du développement durable (2021-2030) et de la Décennie pour l’agriculture familiale (2019-2028).

Sans doute faut-il rappeler à nos dirigeants tous ces engagements qu’ils ont pris ! Il ne s’agit pas là de rapports édités par des organismes ici et là, certains même étant gouvernementaux. Non ! il s’agit là d’engagements qu’ils ont ratifiés de façon très officielle.

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En mai 2021, l’Agence Internationale de l’Energie a publié, à la demande de la présidence de la COP 26, un rapport ‘Net Zéro by 2050’ (lien ici) sur la trajectoire à adopter pour décarboner le secteur de l’énergie d’ici 2050. Elle y appelait en particulier à ne plus investir dans de nouvelles installations charbonnières, pétrolières et gazières, à un déploiement massif et immédiat de toutes les sources d’énergie propres et à faire de l’investissement dans l’innovation l’une des priorités. Elle y évoquait aussi le recours nécessaire au nucléaire.

Mais elle avertissait que, même si toutes les promesses étaient tenues, cela ne permettra pas de limiter le réchauffement climatique à 1.5 °C ; surtout que nombre des engagements ne se sont pas traduits par des mesures concrètes.

Dans son édition 2021 du ‘World Energy Outlook’ (voir ici), l’Agence Internationale de l’Energie confirme que le développement au rythme actuel des énergies renouvelables (solaire, éolien), des véhicules électriques et des autres technologies bas carbone n’est pas suffisant pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle appelle ainsi à pousser encore plus l’électrification bas carbone des usages.

Le Directeur exécutif de l’AIE avertit ainsi les décideurs que « le secteur de l’énergie doit réaliser une transformation totale d’ici à 2050 ». Et il regrette que « jusqu’ici, beaucoup d’entre eux l’ont mal compris. » Et il appelle à « un signal clair d’ambition et d’action de la part des gouvernements à Glasgow ». Sera-t-il entendu ?

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En France, de nombreux rapports sont publiés dans l’optique de proposer au niveau national des scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et limiter ainsi le réchauffement climatique dans les limites de l’Accord de Paris.

Le 25 octobre, RTE, le gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité, a publié ses scénarios de production et de consommation électrique permettant l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 (lien ici). Il insiste sur le fait que « quel que soit le scénario choisi, il y a urgence à se mobiliser ».

6 scénarios sont ainsi présentés qui, tous conduisent à ce que, en 2050, la neutralité carbone – à savoir l’équilibre entre les émissions de GES et leur absorption par les puits de carbone – soit atteinte et à ce que « nous ne consommerons plus de pétrole ni de gaz fossile ». 3 sont bâtis sur la sortie du nucléaire et un mix à 100% en énergies renouvelables ; 3 le sont sur un mix incluant le nucléaire dans des proportions plus ou moins importantes en 2050.

Le 26 octobre, cela a été le tour de l’association Négawatt de présenter son scénario de transition énergétique pour la France (à voir ici). S’appuyant sur deux grands piliers, la sobriété et l’efficacité énergétique, il vise la neutralité carbone en 2050 sans recourir au nucléaire.

Le rapport couvre des domaines excédant la seule production d’énergie. La transition énergétique doit s’accompagner d’une transition sociétale ; ce qui implique de passer aussi par une transformation de nos modes de production et de consommation. Il s’attache ainsi à suivre les émissions des GES non seulement sur le territoire national mais aussi sur les biens et services importés. Il souligne aussi les impacts positifs sur la santé de cette transition, notamment du fait de la baisse de la pollution de l’air, d’une nette diminution des émissions de particules fines et d’une augmentation de l’activité physique liée à une pratique plus soutenue du vélo et de la marche à pied.

L’ADEME, l’agence de la transition écologique, devrait produire son rapport vers la mi-novembre à l’exception notable du volet électricité, reporté sine die. Est-ce parce que la version de travail qui a fuité offre une vision différente de celle de RTE sur des points sensibles tels que le niveau de consommation et la place du nouveau nucléaire ? Les quatre scénarios examinés par l’ADEME (contre six pour RTE) correspondent en effet à des modèles de société allant du très sobre au très énergivore, avec des niveaux de consommation très contrastés allant de 400 à 800 TWh contre 550 à 770 TWh chez RTE et un minimum chez Négawatt de 540 TWh. Des variations sont également appliquées selon le niveau de flexibilité et d’électrification du système.

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Le Directeur de Négawatt alerte : « Si l’on veut atteindre nos objectifs, ce quinquennat est celui de la dernière chance. On ne peut plus attendre encore et encore. Il faut passer de la politique des petits pas à celle des grandes enjambées. » Tant sur la base des travaux de son association que sur celles d’autres études et analyses (RTE, ADEME, il y en a certainement d’autres), toutes les informations pour élaborer et proposer des orientations politiques argumentées sont disponibles. Les candidats à la Présidentielle doivent impérativement s’emparer de ces problématiques et ne pas les réduire, comme c’est trop souvent encore le cas, à quelques slogans !

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Tous les rapports de transition énergétique tablent de façon plus ou moins importante sur l’efficacité énergétique que l’on peut définir comme étant la diminution de la quantité d’énergie nécessaire pour satisfaire un même besoin.

La sobriété y est nettement moins présente. Elle vise à modérer, à réduire notre consommation d’énergie et de biens matériels par un changement de nos comportements et de nos modes de vie, tant au niveau individuel que collectif. Elle est souvent opposée à ‘l’ébriété’ qui caractérise souvent nos sociétés de surabondance.

Quelques exemples. L’efficacité est de remplacer les lampes à incandescence par des lampes LED ; la sobriété, c’est de ne pas laisser nos appareils en mode veille quand nous ne nous en servons pas ; ou d’éteindre l’éclairage publique à certaines heures la nuit. La sobriété, c’est concevoir les produits pour qu’ils puissent être réparés plutôt que de devoir être remplacés. La sobriété, c’est de s’interroger sur l’utilisation d’une voiture pesant 1200 kg pour faire 5 km pour aller travailler quand un transport collectif est disponible ou que le faire à vélo est possible ; ou sur la nécessité de toutes les fonctions gadget dont nombre de nos produits sont pourvus…

La sobriété a ainsi fait l’objet d’études très abouties qui couvrent tous les aspects de notre vie. On peut citer, parmi certainement plusieurs autres, celle de Négawatt (ici) et celle de l’ADEME () – toutes deux, à mon avis, très intéressantes et instructives bien que différentes.

La sobriété est souvent ignorée de nos politiques dans les actions qu’ils proposent et/ou mettent en place, même s’ils la citent régulièrement, car elle suppose un effort particulier. Il lui préfère l’efficacité énergétique qui repose essentiellement sur de nouvelles solutions technologiques.

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Pour finir, je tiens à indiquer cette étude scientifique (en lien ici) publiée en septembre 2021 et qui a été menée auprès de 10.000 jeunes de 16 à 25 ans dans une dizaine de pays [3].

Sa conclusion est sans appel : « Les personnes interrogées dans tous les pays ont fait part d’un niveau d’inquiétude important, près de 60 % d’entre elles déclarant se sentir « très » ou « extrêmement » inquiets du changement climatique. Plus de 45 % ont déclaré que leurs sentiments à l’égard du changement climatique avaient un impact négatif sur leur vie quotidienne. »

Et leur avenir fait peur à 75% d’entre eux (74% en France) ! Ils sont aussi 56% (48% dans notre pays) à penser que l’humanité est condamnée ! C’est effrayant, n’est-ce pas ? Qu’en disent nos dirigeants ?

Car ces jeunes hommes et ces jeunes femmes sont aussi très critiques envers leurs dirigeants et les réponses qu’ils apportent au changement climatique. Ils sont ainsi 65% à se sentir abandonnés par leur gouvernement (55% en France) et 64% à penser qu’il leur ment sur les résultats des actions entreprises (58% en France). A l’inverse, ils ne sont que 33% (27% en France) à juger que leurs dirigeants les protègent, eux mais aussi la planète et les générations futures, du changement climatique.

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Le temps des annonces politiciennes, des coups de menton se voulant volontaires et des grandiloquents effets de manche doit cesser ! Il devient de plus en plus important que tous les gouvernants, tous les décideurs, en France et dans le monde, prennent conscience de la réalité climatique et s’engagent résolument dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il doit en être de même dans notre pays pour tous les candidats à l’élection présidentielle. Il est encore temps !

Pas pour eux.

Pour leurs enfants et petits-enfants, pour leur avenir, pour leur bien-être futur !!!

Pour l’humanité, pour les générations actuelles et futures, pour le bien-être futur de toutes et à tous sur Terre !!!

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Dans tout voyage, aussi long et difficile soit-il, il y a toujours un premier pas. Dans cette lutte contre le réchauffement climatique, jusqu’à maintenant, nous n’avons fait que piétiner. Il est temps que nos dirigeants fassent, que nous fassions toutes et tous un premier pas ! Un premier pas ferme, résolu, déterminé.

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Une seule planète, une seule humanité, un seul futur !

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29 octobre 2021                                

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[1]  A voir sur ce sujet ce documentaire d’Arte « Tabac, la conspiration – dans les rouages d’une industrie meurtrière« 

[2]  Je ne peux m’empêcher de citer ici l’étude d’Oxfam : « Oxfam décrypte les ressorts du greenwashing de Total« . Cette étude a été réalisé après que le groupe Total ait décidé de changer de son nom en ‘Total Energies’, ait annoncé sa transformation vers une entreprise « multi-énergies » et ait proclamé son engagement dans la transition énergétique. Ce qui n’est que du ‘pur greenwashing’ : la feuille de route sur le climat présentée va en effet à l’encontre des objectifs de l’Accord de Paris mais aussi du dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

[3]  « Young people’s voices on climate anxiety, government betrayal and moral injury : a global phenomenon ». Enquête menée en Australie, au Brésil, aux États-Unis, en Finlande, en France, en Inde, au Nigeria, aux Philippines, au Portugal et au Royaume-Uni.

Vers une privatisation de la Banque de France ?

Ci-dessous la note parue sur le site de l’Institut Rousseau, think-tank que je vous recommande chaleureusement. Vous pouvez aussi la lire ici ou aller faire un tour sur leur site.

François Villeroy de Galhau a été nommé gouverneur de la Banque de France en novembre 2015 après une mission d’étude de quelques mois destiné à faire oublier que, jusqu’en avril 2015, il était le numéro 3 de BNP Paribas. Cette nomination avait soulevé des objections de la part de nombreux économistes[1]. Il est désormais en passe d’être reconduit à la tête de la Banque de France par Emmanuel Macron[2].

Sa nomination a pourtant fait l’objet, tant dans le monde financier et économique qu’en interne, de très fortes critiques du fait des conflits d’intérêt qu’elle soulevait ; son expérience, son réseau, sa vision des choses, son état d’esprit risquait de l’amener à défendre les intérêts du secteur bancaire plutôt que ceux de la collectivité. La Banque de France est en effet par plusieurs de ses missions et attributions la « banque des banques » et son gouverneur est le président du Collège de supervision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), organisme chargé du contrôle des banques. Sa reconduction, en 2021, pose les mêmes questions au regard de l’analyse de son action.

Quel bilan à l’heure de sa reconduction ? Fin 2020, François Villeroy de Galhau appelait à ramener le taux des Plans d’Épargne Logement – les PEL – ouvert avant 2011, et dont la rémunération s’élève à 4,4 % au minimum, à 1 % seulement[3]. Selon lui, cette rémunération met en danger les banques commerciales, lesquelles, en 2020, ont pourtant réalisé un niveau record de 21 milliards d’euros de bénéfices.

Le gouverneur de la Banque de France s’est également opposé à la proposition d’annulation des dettes publiques détenues par la BCE portée par l’Institut Rousseau et par près de 150 économistes à travers l’Europe[4], tout comme il s’est opposé à l’idée de monnaie hélicoptère[5], prônant au contraire le retour à la maîtrise du déficit et de la dette publique en coupant dans les dépenses.

Il s’est enfin longtemps opposé à la rupture avec le dogme de la neutralité monétaire qui empêche la banque centrale de jouer un rôle, qui serait pourtant essentiel, dans la lutte contre le changement climatique en déclarant : « Ne nous trompons pas sur la nature de la politique monétaire. Elle doit permettre d’atteindre des objectifs macroéconomiques, plutôt que des objectifs spécifiques liés à tel ou tel secteur »[6] avant de reconnaître partiellement, plusieurs années plus tard, que la politique monétaire pouvait bien jouer un rôle dans ce domaine. Cela n’a toutefois pas empêché la BCE, dans sa revue récente de politique monétaire, de conserver ce dogme absurde de la neutralité monétaire[7].

François Villeroy de Galhau milite également activement pour qu’il n’y ait aucune hausse de la fiscalité. Il pense sans aucun doute à l’ISF qui a été supprimé et qu’il ne faut pas rétablir, au Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) sur les dividendes – la “flat tax” qui s’est substituée à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus – qu’il faut maintenir en l’état, aux niveaux de prélèvements sur les stock-options qu’on ne doit pas remonter et à toutes les mesures élargissant les avantages fiscaux fait sur les placements financiers qu’il ne fait pas toucher. De beaux exemples d’idéologie économique conservatrice, toute entière tournée vers la préservation du capitalisme financier.

Et si sa reconduction à la tête de la Banque de France visait à parachever une autre œuvre, celle de sa privatisation rampante ? Examinons les faits.

La Banque de France comptait fin 2015, 12 269 agents équivalents Temps Plein (ETP)[8]. Fin 2020, ceux-ci ne sont plus que 9 535 (soit -22 %). Cette baisse des effectifs était certes amorcée depuis des années mais elle a été fortement amplifiée sous la gouvernance de François Villeroy de Galhau. Entre 2010 et 2015, la baisse des effectifs avait été de l’ordre de 9 %. Fin 2024, selon les prévisions établies par la Banque de France, le nombre d’emplois devrait être descendu à 8 800. Selon les syndicats unanimes, celui-ci devrait être en fait inférieur à 8700 ; soit une diminution supplémentaire de près de 10 %.

François Villeroy de Galhau a donc appliqué, à la tête de la Banque de France, le dogme du moins-d’État et le crédo qu’il faut sans cesse et partout “dégraisser le mammouth” pour réduire les dépenses. Le nombre d’emplois supprimés et celui des missions de services publics dégradées au cours de ces dernières années constituent ainsi sa véritable marque à la tête de la Banque de France (et bien évidemment celle de sa tutelle).

François Villeroy de Galhau peut aussi s’enorgueillir que les sommes versées par la Banque de France à son actionnaire unique, l’État, sont en hausse régulière : la contribution de notre Banque Centrale Nationale au budget de l’État (impôts sur les sociétés et dividendes) a été en 2019 de 6 milliards d’euros, soit 2,7 % des recettes nettes du budget général de l’État, alors qu’elle n’était que de 1,6 % en 2015. Mais cette évolution doit beaucoup à la conduite de la politique monétaire non-conventionnelle de la BCE. La BDF perçoit des intérêts (ou en paye en cas de taux négatifs) sur les titres acquis dans ce cadre du quantitative-easing ; titres en majorité émis par l’Etat (bons du Trésor) ainsi que par des collectivités et des grandes entreprises françaises. Ces intérêts alimentent ainsi ses résultats pour une part très significative ; et donc, les impôts et les dividendes versés à l’Etat.

En fait, les évolutions de la Banque de France au cours des dernières années nous renvoient à un triple échec. Le premier échec réside dans une contribution “négative” à l’aménagement du territoire ; le second dans une moindre participation aux services publics que l’État doit rendre à ses administrés ; et le dernier dans le recul de la mission régalienne qui est celle de la Banque de France de l’entretien de la monnaie fiduciaire, à travers ce que l’on pourrait même considérer comme une privatisation de cette activité.

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1. Premier échec : une contribution négative à l’aménagement du territoire et un affaiblissement considérable de l’institution Banque de France

1. Une baisse massive des effectifs et une modification de certains statuts.

La baisse des effectifs n’est pas également répartie au sein de la Banque de France. Mais “l’effort d’adaptation” accompli – pour reprendre les termes de la communication officielle – s’est partout accompagné d’une pression accrue sur le personnel.

Ainsi, les effectifs parisiens du siège (4.242 fin 2019 ; – 5 % en 3 ans), où est concentré l’ensemble des services de politique monétaire (peu d’agents en fait), d’études et de support, ont diminué nettement moins vite que ceux du réseau, à savoir l’ensemble des succursales dont la Banque de France dispose sur tout le territoire national (4 017 à cette même date ; – 15 % de 2017 à 2019).

L’ACPR – Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – qui a pour mission le suivi et le contrôle des banques implantées en France, n’a en revanche pas connu cette érosion ; et ceci bien qu’une partie de ses responsabilités ait été transférée à la Banque centrale européenne dans le cadre du Mécanisme de surveillance unique – MSU – qui supervise notamment les quatre grands groupes bancaires français. Ses effectifs (1.050) connaissent même une légère progression.

Une mention particulière doit être faite pour l’activité de production papetière portée par la Banque de France. Cette activité historique a connu comme les autres branches de la Banque de France une diminution drastique de ses effectifs. Mais cette activité a, en octobre 2015, été transférée dans une entité juridique distincte de la Banque de France, Europafi. Et en 2017, une partie de son capital, alors détenu à 100% par la Banque de France, a été cédé à d’autres banques centrales européennes.

Plus symptomatique de cette privatisation rampante est la gestion du personnel de cette structure. Le personnel présent au moment de la filialisation est maintenant considéré comme mis à disposition d’Europafi ; il est en diminution régulière. Mais les renforcements d’effectifs sont réalisés sous statut Europafi, aux conditions du marché donc. Comme cela s’est produit dans de nombreuses autres entités publiques, on a ainsi la cohabitation de personnes “sous statut de leur administration d’origine” et de personnes “sous contrat privé”. Il peut se concevoir que d’autres banques centrales nationales européennes entrent au capital d’Europafi mais il faudra s’assurer qu’aucune prise de participation d’une entreprise privée ne puisse intervenir.

2. Le retrait des petites et moyennes villes sur le territoire.

La diminution des effectifs du réseau de succursales de la Banque de France s’est faite tout d’abord par la fermeture d’unités qui sont passées de 211 en 2003 à seulement 95 aujourd’hui. Toutes les unités infra-départementales, donc situées exclusivement dans des villes petites et moyennes, ont été fermées, contribuant ainsi à l’accélération de la diminution de leur nombre d’habitants et au recul du dynamisme de ces territoires. Comme n’ont cessé de le dire élus et citoyens : « c’est encore une fois, un autre service public qui est supprimé ».

Dans le même temps, une majeure partie des travaux d’analyse et traitement, faite auparavant sur la base départementale, a été concentrée sur un nombre réduit de centres de traitement, le plus souvent dans les unités les plus importantes et donc situées dans les villes les plus grandes. Ces activités étaient essentiellement liées au traitement des situations de surendettement des ménages qui permet à des personnes ne pouvant faire face à leur endettement de trouver des solutions et à la cotation des entreprises qui sert entre autres pour le suivi de l’activité économique et pour la surveillance prudentielle des banques.

Ainsi, des succursales de plein exercice qui comptaient parfois des dizaines d’agents ont vu leurs effectifs passer, plus ou moins rapidement, à 5, 6, 7 personnes dans la quasi-totalité des cas.

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2. Deuxième échec : un fort recul du service rendu au public, notamment dans sa dimension de service public de proximité

De par les missions qui lui sont confiées, la Banque de France est en relation avec un large public. C’est en particulier le cas pour les questions liées au surendettement ainsi que dans le cadre des contacts fréquents qu’elle entretient avec les entreprises, que cela soit pour l’attribution de leur cotation ou lors des enquêtes de conjoncture qu’elle réalise auprès d’elles.

La transformation de succursales de plein exercice en “succursale de présence de place” – selon la terminologie Banque de France – s’est en outre accompagnée d’une digitalisation des procédures. Ainsi, les surendettés et les travailleurs sociaux qui les accompagnent souvent dans leurs démarches, n’ont accès aux dossiers de surendettement que par Internet[9] quand on ne les confie pas à des chatbots sur la plateforme téléphonique ! Une rencontre avec le gestionnaire du dossier est devenue quasi impossible. D’abord car le traitement des dossiers est très parcellisé ; ensuite car les personnes travaillant sur le dossier peuvent maintenant se trouver à l’autre bout de la France. Pour le service public proche du citoyen, accessible et amical, on repassera !

Les relations avec les entreprises sont aussi plus distendues. Lors de la cotation par exemple, le contact doit souvent être pris avec le dirigeant pour faire une analyse qualitative et pas seulement chiffrée, des évolutions récentes de son entreprise et de ses perspectives. Auparavant, ces entretiens étaient principalement réalisés par des agents de la succursale départementale ou infra-départementale connaissant bien le tissu économique local et ayant souvent des relations anciennes avec ces chefs d’entreprises. Dorénavant, ces contacts, le plus souvent téléphoniques, sont réalisés par des agents situés dans un centre de traitement éloigné et n’ayant donc que peu de connaissances des spécificités locales et historiques de l’entreprise. La Banque de France perd ainsi en acuité sur la connaissance du tissu économique.

Enfin, les difficultés rencontrées par le public, souvent le plus fragile, pour actionner la procédure du droit au compte ou pour avoir des informations sur l’offre bancaire spécifique aux personnes en situation de fragilité financière, sont considérablement augmentées[10]. Il lui faut maintenant rechercher l’information, voire faire sa demande, sur Internet alors qu’il lui suffisait auparavant de se présenter à un guichet de la BDF pour avoir tout le service souhaité. Idem pour obtenir un rendez-vous, alors même que certaines personnes ne disposent pas d’internet. Il en est de même pour les personnes souhaitant consulter les grands fichiers que gère la Banque de France, au premier rang desquels se trouve le Fichier Central des Chèques. Jadis, il suffisait de se présenter au guichet de la Banque de France pour avoir immédiatement sa situation au regard de ces fichiers. Maintenant, il faut faire sa demande par Internet ou prendre rendez-vous, de préférence par Internet.

Il est donc nécessaire de revenir à une obligation d’accueil au guichet. Mais cette obligation d’accueil au guichet ne doit pas se limiter à la Banque de France. Elle doit en fait concerner l’ensemble des administrations qui, depuis des années, ne reçoivent que sur rendez-vous. Rendez-vous qu’il est parfois très difficile d’obtenir. Les capacités d’accueil téléphonique pour les questions non-nominatives doivent aussi être renforcées ; quand elles ne doivent pas être totalement reconstituées.

Proposition : Obliger la Banque de France à recevoir la clientèle sans rendez-vous sur des plages horaires élargies et renforcer les capacités d’accueil téléphonique.

Proposition : les Maisons de Service au Public – MSAP, ce palliatif créé par l’État pour limiter le recul de l’accueil de ses administrations, doivent être encouragées. Mais leur financement ne doit pas reposer pour partie sur les collectivités locales qui les portent. C’est à l’État d’assurer le coût des missions régaliennes qui sont les siennes. En outre, les agents y accueillant le public doivent bénéficier d’un soutien téléphonique prioritaire dans les différentes administrations partenaires pour pouvoir aider au mieux les personnes reçues.

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3. Troisième échec : un abandon de plus en plus important par la BDF de sa mission régalienne d’entretien de la monnaie fiduciaire au bénéfice d’acteurs privés

La Banque de France comptait 71 caisses à fin 2012. Celles-ci ont pour mission d’assurer l’entretien des billets qui reviennent dans ses caisses. Quand elles étaient assez nombreuses, elles permettaient une bonne irrigation de l’ensemble du territoire national en billets neufs et en bon état ainsi qu’en pièces de monnaie.

Les caisses n’étaient plus que 49 fin 2017 et 37 fin 2019. Et le plan 2022 – 2024 qui vient d’être annoncé par François Villeroy de Galhau prévoit la fermeture de 13 caisses du réseau supplémentaires d’ici fin 2022 ! Avec une “clause de revoyure” à cette date, ce qui laisse augurer d’autres fermetures. Concomitamment, il est prévu la suppression de 130 emplois.

Cette réorganisation se fait avec l’aval du gouvernement. Le Conseil général de la Banque de France, son Conseil d’administration qui délibère sur les questions relatives à la gestion des activités autres que celles qui relèvent des missions du système européen des banques centrales (SEBC), compte en son sein deux représentants du ministère de l’Économie et des finances. Le Conseil général a approuvé ce dernier plan de réduction du réseau des caisses avec les voix des représentants de l’État ; ces derniers avaient cependant la possibilité et le pouvoir de s’y opposer.

Les raisons de ce désengagement sont multiples. Mais il faut mettre en avant la volonté du gouvernement de la Banque de France de faire effectuer le tri et le recyclage des billets par des opérateurs privés (banques, transporteurs de fonds, grande distribution). Ainsi, ces derniers trient et remettent en circulation des billets qui, auparavant, transitaient par les caisses de la BDF. Ils assurent alors l’entretien de la monnaie fiduciaire, qui est pourtant une mission régalienne. Cette externalisation de la mission régalienne d’entretien de la monnaie fiduciaire est allée croissant au fur et à mesure que le nombre de caisses diminuait. Le développement du e-commerce, la progression continue des paiements par carte bancaire et, ces derniers mois, l’explosion des paiements sans contact expliquent évidemment aussi le recul de la circulation de la monnaie fiduciaire. Mais on ne peut pas anticiper ce qu’il en sera ces prochaines années !

Depuis des années, les banques privées, l’État et la direction des finances publiques sont clairement défavorables à l’utilisation des espèces. Les banques commerciales ont ainsi supprimé plus de 5000 points de retrait de billets en cinq ans, complexifiant de ce fait l’accès aux espèces et au paiement en numéraire. Ainsi, 60 % des communes françaises ne sont pas équipées d’un distributeur de billets et près d’un million de nos concitoyens doivent dorénavant faire plus de 15 minutes de trajet en voiture pour accéder à un distributeur automatique de billets.

Il faut bien voir par ailleurs que la baisse du nombre de caisses crée les conditions pour les banques de détail et les transporteurs de fonds d’augmenter leur emprise sur le volume d’espèces qu’ils manipulent et donc de baisser les coûts unitaires de traitement des billets. Selon certaines estimations, cette réduction du coût logistique et de traitement pourrait avoisiner 13 %. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la Banque de France comme elle l’indique dans la présentation de son projet, mettant ainsi en avant un avantage pour les banques commerciales au détriment de sa propre activité.

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4. Vers une privatisation de l’entretien de la monnaie fiduciaire ?

Pour pallier le faible maillage territorial des caisses de la BDF, François Villeroy de Galhau prévoit la création de stocks auxiliaires de billets (SAB) dans les zones trop éloignées d’une caisse de la BDF, confiés à des acteurs privés. Ce projet est une réelle opportunité pour les acteurs privés de la filière car ces SAB, leur mise en place et leur fonctionnement, seront intégralement financés par la BdF à hauteur de 200 000 € par SAB par an (soit 3 millions d’euros annuels pour les 15 SAB prévisionnels). La Banque de France va payer des acteurs privés pour remplir l’une de ses missions régaliennes ! Sur les 19 membres de l’Eurosystème, seuls six ont pourtant mis en place des SAB. Par ailleurs, la France se distinguerait par cette prise en charge financière qui n’est pas la règle ; en Espagne, pays le mieux doté en SAB (46), ce sont les banques privées qui les financent.

Proposition : l’État français doit s’opposer à ce nouveau plan de fermeture de caisses locales d’autant plus que la Banque de France dispose en interne de capacités de tri largement suffisantes.

Proposition : Une limitation du tri et de l’entretien des billets externalisés au secteur privé doit être rapidement instaurée à hauteur de 40 % maximum. Toutes les conventions conclues et renouvelées devront se baser strictement et sans clause dérogatoire sur ce taux. La commission ci-dessous aura à voir si un taux inférieur ne doit pas être poursuivi dans un deuxième temps.

Dans tous les cas, il doit être procédé à un examen impartial de la circulation et de l’entretien de la monnaie fiduciaire dans la perspective plus large que ce moyen de paiement doit rester, aujourd’hui et demain, facile d’accès et accessible à tous.

Proposition : Une commission réunissant l’ensemble des partenaires concernés (État, Banque de France, secteur bancaire, transporteurs de fonds, commerce, usagers) doit être mise sur pied.

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En conclusion, il convient de rappeler que l’indépendance de la Banque de France ne concerne que la détermination de la politique monétaire et de sa mise en œuvre. En dehors de cette mission, la Banque de France demeure une administration publique chargée de plusieurs autres missions de service public. Cette indépendance ne concerne donc en aucune façon les missions qui sont confiées à la Banque de France par des décisions légales ou réglementaires ou qui sont décidées par son actionnaire unique, l’État français.

Fortement affaiblie au cours des dernières années, l’institution Banque de France est aujourd’hui menacée de ne plus être en mesure d’exécuter correctement ses missions de service public du fait de la réduction de ses effectifs, des réorganisations internes réalisées mais aussi de son retrait de certaines activités au profit notamment du secteur bancaire privé auquel les décisions prises ces dernières années, sous le mandat de François Villeroy de Galhau, n’ont cessé de profiter.

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[1]https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/09/15/banque-de-france-les-parlementaires-doivent-rejeter-le-choix-de-l-elysee_4757539_3232.html

[2]elysee.fr/emmanuel-macron/2021/10/06/proposition-de-nomination-de-m-francois-villeroy-de-galhau-en-qualite-de-gouverneur-de-la-banque-de-france

[3]https://www.boursorama.com/patrimoine/actualites/pel-le-taux-de-rendement-de-votre-vieux-pel-va-t-il-etre-abaisse-a-1-a57b0810b4098447d8c6e1c6f89708d0

[4] https://annulation-dette-publique-bce.com/

[5]https://www.lesechos.fr/monde/europe/lidee-de-monnaie-helicoptere-suscite-de-vives-reactions-1324237

[6] http://www.cepii.fr/BLOG/BI/post.asp?IDcommunique=442

[7] https://www.institut-rousseau.fr/la-revue-monetaire-de-limmobilisme/#_ftn5

[8] L’ensemble des données chiffrées relatives aux effectifs sont de source interne à la Banque de France, soit directe soit syndicale.

[9]  Il n’est pas inutile de rappeler qu’en France, environ 15% des personnes de 15 ans et plus, soit 1 sur 6, n’utilisent pas Internet, que 1 sur 5 est incapable de communiquer via Internet, que 1 sur 4 ne sait pas s’informer sur Internet et que 1 sur 3 manque de compétences numériques de base  –  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4241397

[10] Cette offre spécifique permet aux titulaires et cotitulaires des comptes concernés de bénéficier d’un ensemble de services bancaires ainsi que d’une limitation des frais bancaires. Selon le rapport 2020 de l’Observatoire de l’Inclusion bancaire, 3.81 millions de clients des banques sont identifiés comme fragiles (+12 % en un an). Seuls 598.000 (soit 15.7 %) bénéficient à fin 2020 de l’offre qui leur est réservée.              https://www.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/oib2020_web.pdf

La Banque Postale engage sa sortie des secteurs du pétrole et du gaz. Un exemple à suivre par la Place de Paris

Après avoir annoncé il y a quelques mois sa sortie du charbon, La Banque Postale s’engage à sortir totalement du pétrole et du gaz d’ici 2030.

En mai dernier, peu de jours après le Crédit Agricole, la Banque postale a présenté sa trajectoire de sortie totale du charbon à horizon 2030 (1). Cet engagement qui concerne toutes les entreprises de ce secteur listées par la ‘Global Coal Exit List’ (GCEL) de l’ONG allemande Urgewalg (2), couvre aussi bien la décision de ne dorénavant plus financer des projets de mines et centrales au charbon ou d’infrastructures liées au secteur – telles que les voies ferrées ou les terminaux d’importation et d’exportation de charbon – que l’objectif de désinvestir et gérer en extinction ses encours de financement d’entreprises exposées au charbon jusqu’en 2030. Mais la Banque Postale maintiendra ses relations commerciales avec les entreprises listées dans la GCEL dès lors qu’elles auront adopté une stratégie publique et crédible de sortie des secteurs du charbon avant 2030 dans les pays de l’UE et de l’OCDE, 2040 en Chine et 2050 ailleurs. La Banque Postale précise utilement qu’il faut en l’espèce fermer les actifs concernés et non juste les vendre ; il s’agit en la demeure de participer réellement à la décarbonation du mix mondial.

Le 14 octobre, la Banque Postale a annoncé sa sortie totale du pétrole et du gaz, tant conventionnel que non conventionnel – pétrole et gaz de schiste, forages en eaux profondes et en zones arctiques – d’ici 2030 (3). Et ceci, tant dans son fonctionnement quotidien (émissions de ses bâtiments et de ses véhicules) que dans ses activités financières.

Cette annonce est intervenue le lendemain de la publication de l’édition 2021 du « World Energy Outlook » (« WEO ») dans lequel l’AIE souligne, pour la première fois avec autant d’insistance, la nécessité de cesser dès à présent tout investissement dans de nouvelles installations liées aux énergies fossiles.

Cette trajectoire de décarbonation a été reconnue compatible par la Science Based Targets Initiative (SBTi) (4) qui a validé la trajectoire de décarbonation de La Banque Postale à l’horizon 2030 et l’a reconnue compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement en-deçà de 1.5°C fixé par l’Accord de Paris.

Toutes les activités des filières Pétrole et Gaz sont visées ; que ce soit l’exploration, l’extraction et toutes les activités qui y sont liées (études sismiques, obtention des permis d’exploration) ou le stockage, le commerce et le transport du brut et des hydrocarbures.

La Banque Postale prévoit ainsi, comme pour le charbon, de ne plus investir dans ces entreprises, de ne plus leur fournir de services financiers (crédits, tenue de compte, moyens de paiements, affacturage…) et de gérer en extinction les services, encours et investissements existants pour une sortie totale d’ici 2030. Elle va s’appuyer pour cela sur la ‘Global Oil and Gas Exit List’ (GOGEL) de l’ONG Urgewalg qui recense 900 entreprises liées à l’industrie du pétrole et du gaz et couvre ainsi plus de 80% du secteur (5).

Cet établissement financier va même plus loin en décidant de ne plus soutenir les entreprises activement impliquées dans le lobbying en faveur du pétrole ou du gaz, ou celles ralentissant ou bloquant les efforts pour sortir de ces secteurs d’ici 2040.

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La Banque Postale est ainsi la première banque à reconnaitre l’impératif et l’urgence de ne plus exploiter les énergies fossiles. Et même si elle n’est pas un acteur important des financements des énergies fossiles, cela constitue un signal fort pour la place financière. Notamment pour toutes les banques, toutes les assurances et tous les investisseurs un tant soit peu honnêtes dans leur engagement à contribuer à respecter l’Accord de Paris.

Car sur 3800 milliards de dollars (3300 milliards d’euros) accordés depuis 2016 par les 60 plus grandes banques mondiales aux entreprises actives dans les secteurs du pétrole, du gaz et du charbon, 295 milliards de dollars (255 milliards d’euros) l’ont été par les banques françaises ; ce qui amène ‘Reclaim Finance’ à titrer après la publication du ‘Banking on Climate Chaos report 2021’ (6) : « Paris : capitale de l’hypocrisie climatique » (7).

L’ensemble des banques françaises ont augmenté leurs financements aux entreprises actives dans les énergies fossiles de 19% par an entre 2016 et 2020 et de 36% entre 2019 et 2020 ! Et en 2020, les 3 plus grosses banques françaises, sont dans le top 15 des plus gros financeurs des énergies fossiles :  BNP Paribas, 4ème ; Société Générale, 14ème ; Crédit Agricole, 13ème.

La palme revenant sans conteste à BNP Paribas qui ne rate jamais une occasion de mettre en avant ses engagements climatiques. Elle est la 10ème banque au monde à avoir le plus financé les énergies fossiles sur ces 5 dernières années. Et c’est celle qui a le plus augmenté ses soutiens à l’ensemble des filières du pétrole et du gaz au niveau international entre 2019 et 2020. C’est aussi le groupe bancaire qui, officiellement, exclut le financement de projets visant à exploiter de nouveaux gisements d’hydrocarbures non conventionnels mais qui, dans les faits, accepte de financer les entreprises qui mènent ces projets.

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Les appels de Bruno Le Maire, dans ce domaine comme dans tant d’autres où il est uniquement compté sur la bonne volonté des acteurs concernés, sonnent creux et vains.

Que ce soit au travers du plan climat du 12 octobre 2020 pour les financements exports publics (8) dont le premier des 3 volets prône la « mise en place d’une trajectoire de sortie du financement des énergies fossiles à l’étranger » et qui prévoit l’exclusion des garanties export pour les projets d’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels dès 2021 et de nouveaux gisements pétroliers à partir de 2025.

Ou son exhortation à la Place de Paris à développer une stratégie de sortie du financement des activités pétrolières non-conventionnelles lors du Climate Finance Day du 29 octobre 2020. Il y mettait en avant que la « la Place de Paris est l’une des places les plus engagées en matière de finance verte ».

Une position plus volontariste du gouvernement qui n’a de cesse depuis 2017 de clamer son ambition de faire de Paris la capitale de la finance durable, ne serait-elle pas nécessaire ?

Ceci en lien avec les travaux de l’AMF et de l’ACPR en vue d’identifier et mesurer les risques découlant du changement climatique et d’assurer le suivi et l’évaluation des engagements sur le climat. Travaux et analyses qui doivent être menés sans complaisance.

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La position de la Banque Centrale Européenne est aussi à questionner dans le contexte des refinancements massifs qu’elle accorde depuis des années au secteur bancaire.

Et notamment son dogme absurde de la dite ‘neutralité monétaire’ (9) qui interdit des objectifs spécifiques pour tel ou tel secteur, qu’ils soient avantageants ou pénalisants.

La prise en compte de l’urgence climatique et la reconnaissance du rôle primordial du secteur bancaire quant à la trajectoire des secteurs fortement émetteurs de GES – et particulièrement celui des énergies fossiles – permettraient pourtant d’influer sur leur évolution ; ceci par la prise en compte de critères ‘climatiques’ dans l’éligibilité des créances admises aux opérations de refinancement des banques.

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NOTES :

(1) Politique Maitrise des Risques, Secteur Charbon : https://www.labanquepostale.com/content/dam/lbp/documents/institutionnel/rse/politique-charbon-lbp-2021.pdf

(2) La Global Coal Exit List est la liste d’entreprises identifiées par l’ONG Urgewald comme ayant une activité significative dans le secteur du charbon. Elle a été adoptée par la place comme référentiel commun par de nombreux acteurs financiers.

(3) Communiqué de presse de La Banque Postale : https://www.groupelaposte.com/fr/actualite/la-banque-postale-accelere-sa-strategie-de-decarbonation

(4) Le SBTi est pilotée par quatre grandes organisations internationales, le Carbon Disclosure Project (CDP), le World Resources Institute (WRI), le Pacte mondial des Nations unies (UNGC) et le Fonds mondial pour la nature (WWF). Cf. plaquette présentant cette initiative : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Evenements/56ef2388-a190-46d0-aa25-dac5570ec03d/files/84a22fff-81da-4260-931a-cb793f62503c

(5) La ‘Global Oil and Gas Exit List’ sera rendue publique le 4 novembre 2021.

(6) Les auteurs de ce rapport sont les ONG Rainforest Action Network, Reclaim Finance, BankTrack, Indigenous Environmental Network, Oil Change International et Sierra Club, avec 312 signataires (organisations) de 50 pays. Rapport complet (en anglais) par ce lien : https://reclaimfinance.org/site/wp-content/uploads/2021/03/BOCC__2021_vF.pdf

(7) https://reclaimfinance.org/site/2021/03/24/paris-capitale-de-lhypocrisie-climatique/

(8) https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2020/10/13/lancement-du-plan-climat-pour-les-financements-export-publics

(9) https://www.institut-rousseau.fr/la-revue-monetaire-de-limmobilisme/#_ftn5

Thomas Sankara : son discours sur la dette de juillet 1987 est d’une incroyable actualité

Thomas Sankara est une figure quasi-mythique dans son pays, le Burkina Faso – ‘Le Pays des hommes intègres’ comme il l’a rebaptisé lorsqu’il était au pouvoir ; il l’est tout autant dans l’ensemble du continent africain. Thomas Sankara est en effet considéré comme le « Che Guevara Africain ».

Socialiste, anti-impérialiste, démocrate, anticolonialiste ; mais aussi homme idéaliste, intègre, altruiste, rigoureux, plein d’humour. Les qualificatifs pour le nommer sont nombreux. Il a laissé à la postérité de nombreux discours expliquant ses pensées et ses actions lorsqu’il était à la tête du Burkina Faso.

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Le discours qu’il a prononcé pendant le sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine du 29 juillet 1987 à Addis-Abeba est certainement le plus célèbre.

[ Vidéo de ce discours par ce lien ]

[ Texte de ce discours à cette adresse ]

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Thomas Sankara y fait le lien entre le colonialisme et la dette qui, déjà il y a plus de 30 ans, étranglait certains pays africains. Mais surtout, il appelle les membres de l’Organisation de l’Unité Africaine à constituer un front uni pour refuser de la payer.

Il n’y a, bien sûr, aucune relation de cause à effet entre ce discours et son assassinat, intervenu 3 mois plus tard, le 15 octobre 1987. Juste une fâcheuse coïncidence ! Coïncidence qu’il prévoyait peut-être lorsqu’il dit : « si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ».

Certains passages de ce discours sont aujourd’hui d’une incroyable actualité.

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Lorsque Thomas Sankara dit en 1987 que la dette fait « en sorte que chacun d’entre nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser », il aurait tout aussi bien pu le dire il y a 20 ans, il y a 10 ans ; il pourrait tout aussi bien le dire aujourd’hui.

Sont maintenant bien connues les ‘techniques’ mises en place depuis le début des années 1980 par les institutions financières internationales – principalement le FMI et la Banque Mondiale –qui ont conduit de nombreux pays de par le monde à la situation d’endettement très élevé, voire de surendettement, qu’ils connaissent aujourd’hui. Sans pour autant qu’ils ne soient sortis des graves difficultés économiques qui avaient nécessité la mise en place de ces prêts. Ces techniques sont connues sous le terme très ‘savant’ de ‘programmes d’ajustement structurel’.

Programmes d’ajustement structurels généralement extorqués par un chantage du type : « si vous voulez qu’on vous prête, vous devez / vous devez continuer / vous devez encore plus, faire de l’austérité, privatiser, libéraliser, flexibiliser, ouvrir vos frontières… Et donc ouvrir votre pays aux vautours entreprises multinationales qui vont acquérir des pans entiers de votre économie dans le seul but de leur propre enrichissement, sans viser celui de votre peuple et sans tenir aucun compte de ses besoins et de ses intérêts… Bien sûr, il faudra faire en sorte que ces sociétés paient le minimum d’impôts et aient toute latitude pour faire ce qu’elles veulent comme elles le veulent… Et qui dit austérité dit aussi coupes dans les services publics, la santé, l’éducation, les infrastructures… Ah oui ! Le prêt sera libellé en dollars… Oui, on sait, cela va vous obliger à privilégier les exportations au détriment des besoins directs de votre peuple… Mais c’est comme ça ! »

Caricaturale, cette présentation ? Très peu, en fait ; juste peut-être dans la formulation peu ‘diplomatique’. Les dégâts causés par ces programmes sont nombreux et ont amenés de très nombreux pays à demander de nouvelles aides, donc de nouveaux ajustements structurels, donc… Du néolibéralisme pur jus ! Reconnu, il faut le dire pour être totalement honnête, comme inadapté et abandonné par le FMI depuis quelques années – cette appréciation est, par contre, dite de façon fortement diplomatique.

Ces derniers mois, le FMI a décidé d’alléger, sous forme de dons, la dette de 28 pays. Le G20, quant à lui, vient d’annoncer une nouvelle extension pour six mois du moratoire sur les intérêts de la dette vers ces pays ; moratoire sur les intérêts mais on ne touche pas au capital ! Le minimum donc.

Aujourd’hui, les appels à l’annulation sont de plus en plus pressants ; pour des raisons humanitaires immédiates certes mais aussi afin d’aider dans une optique de moyen et long terme ces pays dont beaucoup vont être directement confrontés aux conséquences du réchauffement climatique.

Le non-remboursement de leur dette par les pays les plus pauvres leur permettrait de sortir de la spirale infernale de l’endettement et de s’orienter vers des développements économiques plus tournés vers l’intérieur et non sur les exportations vers les pays développés, qui soient socialement justes et écologiquement durables.

N’est-ce pas ce qui disait Thomas Sankara lorsqu’il disait : « Faisons-en sorte que le marché africain soit le marché des Africains. Produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique. Produisons ce dont nous avons besoin et consommons ce que nous produisons au lieu de l’importer ».

Ou encore : « en évitant de payer, nous pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement ».

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Lorsque Thomas Sankara mentionne « la ruse, la fourberie » de certains bailleurs de fonds, il ne connaissait pas les créanciers de la Grèce – en grande partie français et allemands – mais il parlait déjà d’eux.

Car ce sont bien eux qui, avec l’aide de Goldman Sachs, ont trafiqué la dette du pays, un peu trop lourde pour permettre son entrée dans la zone euro en 2001. Et certains gouvernements, qui avaient fermés les yeux sur ces magouilles, se sont mués en parfaits défenseurs de ces créanciers : « il faut rembourser la dette ». Et la Troïka – Commission Européenne, BCE (qui, à un moment crucial, avait autoritairement suspendu toutes ses aides aux banques grecques, précipitant la ‘chute’ de ce pays) et FMI – a mis en place en 2010, au mépris de la volonté exprimée démocratiquement par le peuple grec, un plan qui n’avait rien à envier aux programmes d’ajustement structurel.

Là encore, laissons la parole à Thomas Sankara ; « maintenant qu’ils perdent au jeu, ils nous exigent le remboursement. Et on parle de crise ! Non, ils ont joué. Ils ont perdu, c’est la règle du jeu. Et la vie continue ». Le problème, c’est qu’en 1987, en 2010, aujourd’hui, la règle du jeu n’est pas respectée.

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Sur ce sujet, on ne peut éviter de parler de l’annulation de la majeure partie de la dette allemande en février 1953, le solde ayant fait l’objet d’aménagements à des conditions exceptionnelles. Certes, l’origine de cette dette, portant sur des périodes précédant et suivant la 2ème Guerre mondiale, est différente. Mais surtout, c’est le contexte qui l’est : nous étions en pleine guerre froide et il était nécessaire que l’économie de l’Allemagne de l’Ouest redémarre.

Dans le cas de la Grèce, les grandes puissances et les institutions financières internationales ont imposées des politiques conformes aux intérêts des créanciers et n’ont donc pas du tout été disposées à annuler des dettes. Il ne fallait surtout pas créer un précédent dont auraient pu se saisir les pays endettés !

Par ailleurs, la question des réparations de guerre réclamées par la Grèce à L’Allemagne n’a jamais été traité. Selon l’estimation grecque faite au moment de cette crise, elles s’élèvent à 279 milliards d’euros. Ce sujet a été vigoureusement écarté par le gouvernement allemand ; sur la base notamment du Traité de 1953 portant sur l’aménagement de la dette allemande.

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« Il y a crise aujourd’hui parce que les masses refusent que les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus. […] Il y a crise parce que face à ces richesses individuelles qu’on peut nommer, les masses populaires refusent de vivre dans les ghettos et les bas quartiers ».

L’accroissement des inégalités, son explosion pourrais-je même dire si on regarde l’accroissement de la précarité et de la pauvreté ces derniers mois, fait totalement écho à cette affirmation. Et il y a tant à dire sur ce sujet.

Hurler plutôt contre la suppression de l’ISF ; le Prélèvement Forfaitaire Unique des dividendes – la ‘flat tax’ qui s’est substitué à la taxation selon le barème progressif de l’impôt sur les revenus ; la diminution des prélèvements sur les stock-options ; la suppression de la tranche de la taxe sur les salaires supérieurs à plus de 150 000 €/an appliquée dans les métiers de la finance ; le refus d’introduire de nouvelles tranches supérieures de l’impôt sur les revenus ; le refus d’alourdir la contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus (revenu fiscal de référence supérieure à 250 000 €) ; les mesures élargissant les avantages fiscaux fait ces dernières années sur les placements financiers…

S’époumoner sur la réduction des APL – qui a pénalisé de nombreux jeunes et a augmenté le nombre de pauvres en 2018 par rapport à 2017 d’environ 190 000 personnes ; les ordonnances Pénicaud – détricotage, dans le droit fil des lois François Hollande / Myriam El Khomri, du droit du travail pour ceux qui l’ont oublié – qui a accru la précarité et donc la pauvreté – plus de 9 millions de personnes ‘pauvres’ selon la dernière estimation de l’Insee sur 2019 ; les Plans de Sauvegarde de l’Emploi qui permettent de diminuer les salaires, augmenter le temps de travail, revoir les conditions de travail mais n’imposent aucunement la limitation des dividendes ; le plan de relance du Gouvernement qui fait la part belle aux entreprises, sans contreparties sociales ou environnementales, mais est très chiche pour lutter contre la précarité, la pauvreté, la détresse sociale ; la mise en place de l’assurance chômage, suspendue quelques mois, mais qui entre ne vigueur en plein 3ème confinement et qui va précariser encore plus des dizaines de milliers de personnes déjà précarisées ; etc… ; etc. ; etc…

On n’arrête pas de le dire, de le crier pourtant. A preuve les multiples manifestations et contestations sous toutes leurs formes intervenues ces dernières années – contre les lois Travail sous François Hollande ou Emmanuel Macron ; contre la réforme des retraites ; celles de Gilets Jaunes ; pour la réelle prise en compte de l’urgence climatique ; pour la défense de services publics de qualité dans la santé, l’éducation, la justice, la police, l’aide aux plus démunis ; contre la privatisation d’ADP ; contre les lois liberticides et les violences policières…

Il ne faut pas s’arrêter !

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Lorsque je regarde cette phrase prononcée par Thomas Sankara : « la dette ne peut pas être remboursée parce que, d’abord, si nous ne la payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûr. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mourir », je ne peux pas m’empêcher de penser à la controverse existant actuellement sur l’annulation des dettes détenues par la BCE, en réalité par les Banques Centrales Nationales – la Banque de France en ce qui nous concerne.

On ne peut que s’irriter face à la propagande que mènent les tenants du néolibéralisme pour que des mesures de « maîtrise des dépenses » – nom hypocrite qu’ils donnent à l’austérité – soient mises en place pour rembourser la dette ; toute la dette ; même celle directement liée aux crises sanitaire, économique, écologique, sociale, sociétale que nous connaissons ; sans tenir aucun compte des impératifs environnementaux et climatiques qui sont les nôtres aujourd’hui.

Soyons clair ! Selon ce schéma, nous ne lésons aucun créancier privé en annulant ces dettes ; même si « ils ont perdu ». La Banque de France est détenue à 100% par l’Etat français ; par nous. Sans entrer dans des débats techniques aisément surmontables, on parle donc d’annuler des dettes que nous détenons. « Je me dois à moi-même 100 €. J’annule cette dette ». En définitive, je ne suis ni plus riche, ni plus pauvre.

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Il est difficile de conclure un tel article.

Laissons donc la conclusion, une double conclusion en fait, à Thomas Sankara. Elle montre sa totale et complète actualité :

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« La libération de la femme : une exigence du futur ! » (8 mars 1987 à Ouagadougou à l’occasion de la Journée de la femme).

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Et aussi :

« L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère » (Discours à l’ONU le 4 octobre 1984)

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Les États-Unis ‘mettent le paquet’ dans leurs plans de relance et souhaitent un taux minimum d’imposition des entreprises au niveau mondial

Et pendant ce temps, l’Europe chipote et programme même le retour de l’austérité.

Aux USA, pour relancer la machine à très court terme, pour renforcer l’économie à court et moyen terme, pour aider ceux qui ont le plus souffert de la pandémie du Sars-CoV-2, des moyens colossaux sont mis en œuvre.

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Ainsi, après le Plan Trump de relance de l’économie de près de 1000 milliards de dollars en fin d’année 2020, il y a eu le mois dernier le Plan Biden de relance de l’économie de 1900 milliards de dollars. Soit environ le montant du PIB en 2020 de l’Italie.

Mais ce plan de relance est, pour nombre d’observateurs, autant une réponse à l’urgence de la pandémie qu’un plan ambitieux et massif de lutte contre la pauvreté qui prolifère aux USA depuis des années et que la crise du Covid19 a notablement amplifiée. Ce plan a été voté par les seuls Démocrates. Les Républicains qui aspiraient, dans le cadre d’un consensus bipartisan, à notablement amoindrir certaines des dispositions qui ont été in fine adoptées, s’y sont opposés. Il faut par ailleurs noter que le consensus Démocrates-Républicains est depuis des années fondé sur le fait que, pour lutter contre la pauvreté, il était inefficace de donner directement de l’argent aux plus pauvres et qu’il valait mieux leur accorder des crédits d’impôts.

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Et voici, il y a quelques jours, la présentation d’un Plan d’investissement dans les infrastructures publiques à 2300 milliards de dollars sur 8 ans.

Plan indispensable toutefois pour compenser les manques d’investissements réalisés depuis des décennies. Les dépenses en la matière sont en effet nettement orientées à la baisse depuis les années 1980 ; et l’élection de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis.

Il est surprenant en effet de constater que les Etats-Unis affichent une situation très dégradée dans ce domaine. Dans son rapport 2021, l’American Society of Civil Engineers (ASCE), qui établit régulièrement un état des lieux en la matière, donne à l’ensemble du système américain la note de ‘C-‘ – sur une échelle allant de ‘A’ (très bonne qualité) à ‘F’ (inutilisable). Et sur les 17 secteurs analysés par les ingénieurs américains, 11 ont une note de ‘D+’, ‘D’ ou ‘D-‘. Un mauvais élève !

L’objectif affiché est de remettre le pays à niveau et de dynamiser son potentiel de croissance sur le long terme.

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Et déjà s’annonce un autre plan à 1000 milliards aux objectifs clairement sociaux. Seront ainsi notamment ciblées la santé et l’éducation.

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Et en Europe ?

Le plan de 750 milliards d’euros (900 milliards de dollars environ), accouché dans la douleur l’été dernier, n’est toujours pas mis en place. Une avancée remarquable de ce plan est qu’il repose sur un mécanisme sans précédent de dette commune à tous les Etats membres. Mais seule une partie de l’argent sera versée sous forme de subventions ; près de 50% de ce plan est constitué de prêts aux pays qui en auront besoin !

On est bien loin, pour ne pas dire à des années-lumière, du volontarisme étatsunien. Comme en 2008, l’Europe dépense moins et moins rapidement que les Etats-Unis. Selon les analystes, la relance aux USA (et aussi en Chine selon des mécanismes différents) porte sur des montants cinq à dix fois plus élevés et est bien plus concentrée dans le temps

L’Europe sortira ainsi bien plus lentement et bien moins vigoureusement de la crise actuelle que les 2 super-puissances mondiales ; comme cela a déjà été le cas en 2008 / 2010.

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Pour financer ces milliers de milliards de dollars de dépenses et d’aides, les USA ne se préoccupent plus du tout du niveau de leur endettement ou de leurs déficits. Il faut relancer l’économie alors ‘faisons-le’ !

En France, mais aussi au niveau de la Commission européenne, nos gouvernants annoncent d’ores et déjà le nécessaire retour au respect du sacro-saint ratio ‘déficit sur PIB inférieur à 3%’ et de son jumeau ‘dettes publiques sur PIB inférieur à…’ – selon les traités à 60% mais un consensus semble se dessiner pour 100%. Et donc annoncent sans vraiment oser le dire la mise en œuvre prochaine (dès 2022 a priori) de mesures de rigueur budgétaire et de politiques d’austérité ; ce qui signifie de nouvelles contractions des dépenses publiques – et donc de nouvelles dégradations des services publiques et encore plus de privatisations ; ce qui implique aussi des ‘efforts supplémentaires’ demandés aux classes moyennes et laborieuses – et donc une nouvelle progression des inégalités et un accroissement de la pauvreté.

Et ce qui, surtout, cassera la reprise qui semble s’amorcer.

Il suffit de regarder les conclusions de la commission Arthuis sur la « dette Covid » mise en place fin 2020 par le Gouvernement Macron / Macron / Castex. Son rapport final était très prévisible au vu de sa composition. Il n’utilise certes jamais le terme ‘austérité’ mais préconise une limitation des dépenses publiques dans l’optique de rembourser la dette. Nous savons tous ce que cela veut dire ! Mais nous pouvons être sûr que ce rapport sera mis en avant par les zélotes du néolibéralisme pour « vendre » toutes ces mesures.

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Pour financer en partie ces dépenses, les Etats-Unis veulent entre autres, augmenter les taxes sur les plus riches ainsi que l’impôt sur les sociétés.

Espérons qu’Emmanuel Macron entendra cela et reviendra sur les innombrables cadeaux faits aux plus riches sous le fumeux prétexte que les sommes non prélevées par l’Etat au titre des impôts « ruissellent » ensuite dans l’économie. Cela semble toutefois mal parti ; Bruno Le Maire a émis l’idée de remonter fortement les seuils – déjà bien hauts – à partir desquels les donations sont imposées. Un nouveau cadeau aux plus riches !

Le taux des impôts sur les bénéfices va passer outre-Atlantique de 21 % à 28 %. A côté d’autres mesures pour lutter contre l’optimisation fiscale, une taxation a minima de 15 % a été instituée. En outre, la nouvelle administration démocrate cible par diverses mesures, dans une optique de lutte contre le réchauffement climatique, les industries fossiles.

En France, on fait l’inverse : le taux d’imposition des bénéfices va passer de 26,5 % en 2021 à 25 % en 2022. Et toujours rien n’est fait pour combler les très larges écarts des taux d’imposition effectifs existant entre les TPE et PME et les grandes entreprises d’envergure internationale.

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Mais la Secrétaire au Trésor, Janet Yellen, veut aller plus loin.

La Ministre de l’Economie et des Finances de Joe Biden souhaite que soit instauré un taux minimum mondial d’imposition des bénéfices des entreprises, quels que soient les pays dans lesquels elles sont établies.

Un projet d’accord a été déposé au niveau du G20 et est à l’ordre du jour de la réunion qui commence ce 7 avril. Tous les secteurs d’activité sont concernés ; et notamment les multinationales du numérique dont les impôts qu’elles règlent sont souvent sans réel rapport avec le montant de leurs bénéfices.

Janet Yellen appelle ainsi de ses vœux la fin de la course au moins-disant des impositions des entreprises que se livrent les différents pays au titre de la compétitivité fiscal.

Cela constitue une réelle rupture avec la pensée économique néolibérale / ultralibérale dont le postulat de départ est que la concurrence fiscale et, plus généralement, la réduction des impôts et taxes sont positives car elles obligent les états à réduire leurs dépenses ; avec toutes les conséquences que nous connaissons aujourd’hui ! Ceci étant fondé sur la croyance quasi-mystique que les marchés sont efficients et efficaces et que, s’ils sont ‘libres d’agir’, tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Et cette évolution du crédo néolibéral est d’autant plus importante que les USA proposent aujourd’hui un taux minimum de 21% qui est bien supérieur au taux de 12.5% sur lequel des discussions étaient menées sans réelle conviction à l’OCDE depuis des mois. Il se rapproche aussi des 25% que prônent nombre d’économistes depuis des années.

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J’imagine les sueurs froides qui assaillent les dirigeants des paradis fiscaux.

Et j’ai une ‘pensée émue particulière’ pour les paradis fiscaux situés dans la Zone Euro : l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Chypre, Malte…

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